Séga avait introduit de l’ordre et de la méthode dans l’exécution de ses coups. Mais il avait une autre occupation plutôt étonnante pour un voleur
On ne peut pas dire que le milieu des délinquants fourmille d’intellectuels. En effet, la possession de diplômes n’aide pas beaucoup dans le genre d’activités que pratiquent les bandes. Mais de temps en temps, les policiers tombent sur des cas assez particuliers. Comme celui que représente le surnommé Séga, considéré comme un gros poisson et qui a fini la nuit du 7 au 8 août dernier en compagnie d’un de ses complices entre les mains des agents du 13ème Arrondissement. La nouvelle de son arrestation a été accueillie avec soulagement du côté des propriétaires de magasins et de grosses boutiques, cibles préférées du chef de bande. Pendant un bon moment, ce dernier, un homme assez jeune encore et qui n’a pas atteint la trentaine, a en effet semé la désolation dans le milieu des commerçants de la rive gauche du district de Bamako.
Avant d’entrer dans les détails de la capture du caïd, il est utile de rappeler certains des faits pout lesquels le malfrat et ses ouailles (une bande dont l’importance variait entre six et huit membres) étaient activement recherchés à travers la capitale et ses environs. Au mois de juillet dernier, en pleine nuit, des cambrioleurs s’étaient introduits dans le magasin d’un certain Diallo à Niaréla, après avoir forcé les cadenas qui protégeaient les portes du local. Le butin emporté était assez modeste, 75 000 francs CFA. Mais la manière d’opérer de la bande rappela aux policiers la méthode utilisée quelques semaines plus tôt par des individus qui dans le même quartier avaient dépouillé un autre boutiquier du nom de Doumbia.
L’équipée nocturne avait été plutôt fructueuse cette fois là, puisqu’elle rapporté à la bande environ 1,5 million de FCFA et un téléphone portable en bonus. Leur coup réussi, les voleurs s’étaient littéralement évanouis dans la nature, en ne laissant aucun indice derrière eux. Les deux pillages se plaçant dans un intervalle relativement court, les rumeurs les plus folles commencèrent à enfler dans le milieu des commerçants propriétaires de grandes boutiques dans le secteur de Niaréla. Après avoir soupçonné presque tout le monde, les négociants finirent par s’en remettre à la volonté divine. Cependant, les victimes avaient pris soin de se rendre au commissariat du 3ème Arrondissement dont relève le quartier Niaréla au plan sécuritaire pour y faire enregistrer leurs plaintes par les limiers du dit commissariat.
PLUS DE HUIT MILLIONS DE FRANCS. Les agents qui ne sous-estimaient pas la complexité des investigations qu’il leur allait falloir mener, activèrent leurs réseaux d’indicateurs. Ils demandèrent que leur soient rapportés tous les cas de vol frappant de gros commerçants et exécutés avec un soin particulier. Les policiers avaient en effet remarqué que la bande devait prendre le soin de repérer soigneusement les lieux et qu’elle ciblait les magasins où se conservait habituellement une recette confortable.
Mais pendant un bon bout de temps rien de substantiel ne remonta vers les limiers Comme s’ils avaient été informés qu’ils se trouvaient dans le viseur des enquêteurs, les bandits décidèrent de délocaliser leurs actions et de se transporter sur la rive droite. Là également, ils s’attaquaient aux mêmes cibles et conservaient pratiquement inchangé leur mode opératoire.
La bande en agissant ainsi avait un calcul bien précis en tête. Son intention était de faire baisser la vigilance de ses victimes potentielles et de revenir ensuite sur son terrain de chasse de prédilection, le centre-ville de la rive gauche. Les voleurs firent leur grand retour dans la nuit du 7 au 8 aout. L’adjectif « grand » convient parfaitement pour ce qu’ils ont réussi. La bande choisit d’opérer dans sa zone favorite, celle de Niaréla. Elle avait jeté son dévolu sur la boutique d’un certain Djigué. Elle ne changea pas sa méthode habituelle et après avoir réussi à défoncer le coffre du maître des lieux, elle se retira avec une somme qui excédait légèrement les 8 millions de francs CFA.
Seule innovation par rapport aux coups précédents, un des membres du gang possédait une arme à feu avec laquelle il tint en respect le gardien qui se resta coi jusqu’à ce que les bandits terminent leur expédition. Les malfrats avaient donc toutes les raisons de se réjouir de leur opération. Mais ils ne se doutaient pas ce gros coup allait faire monter d’un cran le dispositif de recherche. Plusieurs commissariats allaient travailler de concert pour les repérer et les neutraliser. Les mailles du filet étaient tellement serrées que la traque allait être exceptionnellement brève. Le jour là où les bandits ont été repérés, un « pion » des policiers du 13ème Arrondissement informa aux environs de 10 heures le commissaire Sirima Ba Tangara de la présence de deux individus suspects qui se trouvaient à bord d’un taxi. Le véhicule venait de quitter le quartier Sabalibougou-Courani, dans la périphérie de Yirimadio et se dirigeait avec ses passagers vers le centre-ville. L’informateur donna des informations d’une telle précision que les policiers n’eurent aucun mal à identifier leurs clients et le véhicule qui les transportait.
CINQ ANS DANS LA « PROFESSION ». Le tout nouveau chef de la brigade des recherches, l’inspecteur principal Souleymane Fané, et certains de ses éléments se lancèrent aux trousses des passagers un peu particuliers du taxi. Les deux hommes furent interpelés sans qu’ils n’opposent de résistance. Ils seront assez rapidement identifiés comme étant Séga, le chef de la bande et un complice à lui du nom de Bako. Dans les locaux du commissariat du 13ème, le tandem fut soumis à un interrogatoire qui s’avéra fructueux. Les deux hommes avaient d’autant moins de raisons de finasser que la fouille à laquelle l’inspecteur principal Fané les avait fait soumettre avait livré un résultat éloquent. Dans un sac que tenait Séga se trouvait la somme d’un million de francs en diverses coupures. Le chef de bande ne pouvait, bien sûr, pas indiquer la provenance de ce mini pactole.
Les policiers mirent les suspects au frais quelques heures avant de procéder à des interrogatoires beaucoup plus poussées. Les malfaiteurs passèrent à des aveux détaillés. En commençant par Séga lui-même qui a reconnu son statut de chef d’une bande de six à huit malfrats aguerris. L’homme indiqua qu’il était dans la « profession » depuis cinq ans déjà et qu’il n’avait pas chômé, puisqu’il a à son actif plusieurs dizaines de cambriolages dans la capitale et ses environs. Le jeune bandit détailla sans se faire prier la manière de procéder de sa bande.
Il insista sur le fait que l’organisation et la méthode constituaient les clés des performances du gang. Chacun dans la bande avait un rôle précis et n’en sortait sous aucun prétexte. Chaque coup faisait l’objet d’une préparation soignée et devait se dérouler selon un scénario bien huilé depuis le repérage des lieux jusqu’au repli avec le butin. Concernant justement le butin, Séga indiqua que dans les boutiques « visitées », ses hommes ne prenaient que l’argent en espèces. Ils ne touchaient jamais aux marchandises. Celles-ci étaient en effet difficiles à transporter, compliquées à écouler et susceptibles d’aider les policiers à remonter jusqu’à eux.
Le jeune chef de bande insista sur un autre fait. Il avait interdit à ses hommes de faire usage d’une arme quelconque, même si les choses tournaient mal. Aucune victime n’a donc été à déplorer dans les opérations dirigées par lui pendant ses cinq ans d’activité. « Je n’ai jamais évolué avec une arme à feu. Nous n’avons jamais ôté une vie humaine. Il est arrivé un moment où quelqu’un m’a proposé une arme à feu, mais j’ai catégoriquement rejeté cette offre », aurait déclaré le jeune homme durant son interrogatoire, devant des policiers visiblement étonnés.
EN PLEIN MARCHÉ. Avec un sang-froid étonnant, Séga a aussi détaillé ce jour là un trait de sa conduite qui le différenciait des autres membres de la bande, et même de la plupart des délinquants de la capitale. Après chacune de ses opérations réussies, le chef de bande partait régulièrement faire le tour des certaines capitales de la sous-région. Avec l’argent du cambriolage, il achetait des marchandises à Bamako par exemple pour aller les écouler à Ouagadougou. Il lui arrivait d’aller beaucoup plus loin en Afrique. Et même de tenter de passer en Europe. Lorsqu’il était dans ses périples, il laissait ses compagnons monter leur coup sans lui. « L’international l’intéressait », nous a confié avec un sourire notre interlocuteur chargé du dossier.
La boutade de l’officier de police n’en était pas véritablement une. La preuve, pendant qu’il était activement recherché par la police à Bamako à la suite de l’opération de la boutique de Djigué, Séga se trouvait à Dakar et cherchait à obtenir un visa pour l’Europe. Faute d’avoir eu gain de cause, il s’en était retourné à Bamako. C’est ainsi qu’il a été appréhendé en plein marché par l’inspecteur Souleymane Fané et ses hommes. Il était en train d’acheter des marchandises et s’apprêtait à prendre le car pour le Burkina Faso. « Il a été interpelé alors qu’il avait son ticket de voyage en main », nous a confirmé l’officier de police. Comme nous nous étonnions du comportement atypique du chef de bande, notre interlocuteur nous a expliqué que Séga avait les moyens de monter son négoce. En effet, la série de vols avec effraction dont sa bande et lui s’étaient rendus coupables à Bamako et ses environs, a apporté à ses auteurs au total plusieurs dizaines de millions de francs CFA dans un temps relativement court. Séga ne courait donc pas le risque de se trouver ruiné si ses transactions commerciales ne lui rapportaient pas ce qu’il escomptait.
Après s’être longuement confessés devant les policiers, Séga et son complice Bako ont exprimé leurs regrets et demandé toute la clémence de la justice pour les faits qu’ils ont commis durant tout le temps qu’ils étaient en activité. Il reste à savoir quelle importance la justice accordera à ce repentir. En effet, en dépit de leur comportement particulier, les voleurs ont été déjà convoqués à la barre du tribunal et se sont morfondus entre les quatre murs de la prison centrale. Atypique, Séga ? Certainement. Candide ? Sûrement pas.
MH.TRAORÉ
source : L’ Essor