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Faits divers : CELA VA DE MAL EN PIS POUR LE SDF

M. avait cru se tirer d’affaire en disant qu’il cherchait juste un endroit où dormir. Mais il risque de connaître de sérieux ennuis

Faits diversDans une grande ville comme Bamako, ce ne sont pas les situations sortant de l’ordinaire qui manquent. La faune urbaine recèle toutes sortes de spécimens à la dangerosité variable et il est bien souvent difficile de distinguer le parfait hurluberlu du petit malin qui joue à l’innocent. Les agents d’un des postes de police de la Commune VI se sont retrouvés il y a un peu plus d’une dizaine de jours devant un cas sur lequel ils ont encore du mal à se faire une opinion tranchée. En attendant de voir un peu plus clair et d’appliquer à la situation le traitement adapté, ils gardent l’œil sur l’homme qui leur cause un embarras certain.

Tout a commencé dans la cour d’un des grands services publics de Bamako. Il était très tôt ce matin là quand un des vigiles de service effectua son dernier tour d’inspection. L’homme – que nous désignerons par l’initiale L. – tomba tout d’un coup sur un inconnu qui semblait surgir de nulle part. Agé d’une trentaine d’années, habillé d’un ensemble jogging très froissé, le jeune homme paraissait avoir quelques difficultés à se tenir droit sur ses jambes. Le garde lui intima l’ordre de ne pas bouger et jeta un coup d’œil autour de lui pour essayer de comprendre d’où pouvait bien venir l’inconnu. Le vigile avait toutes les raisons de vouloir percer ce mystère. En effet, ses collègues et lui avaient passé la nuit à patrouiller dans la cour et à surveiller les différentes entrées. Personne en principe n’aurait pu entrer et à plus forte s’installer sans qu’ils ne s’en rendent compte.
En examinant bien les alentours, L. arriva à la conclusion qu’il n’y avait qu’un seul endroit où l’inconnu aurait pu se dissimuler. C’était une sorte de parking improvisé où étaient garés quelques véhicules hors de service qui attendaient d’être évacués par les services chargés de la réforme des voitures usagées. En dévisageant plus attentivement son vis-à-vis, L. eut la surprise de constater que l’inconnu avait toute l’apparence de quelqu’un qui venait de se réveiller. Il avait le visage encore bouffi par le sommeil, ses yeux papillotaient en essayant de s’accommoder aux premières lueurs du jour et il avait les joues barbouillées de salive comme quelqu’un qui aurait bavé en dormant. En outre, l’homme puait l’alcool et son élocution pâteuse rendait incompréhensible la moitié de ses paroles.

L’AFFAIRE A FAIT GRAND BRUIT. L. fit ce qu’il avait à faire : il interrogea l’homme sur les raisons de sa présence en ces lieux et sur la manière dont il s’était introduit. Son interlocuteur – que nous appellerons M. – ne put rien lui apprendre de précis. Non pas parce qu’il refusait de répondre. Mais parce qu’il était en train de cuver son vin. L’élocution toujours aussi laborieuse, le jeune homme cherchait laborieusement ses mots alors que son regard divaguait de gauche à droite. Exaspéré, L. lui enjoignit tout d’abord de déguerpir au plus tôt. Mais le gardien se rendit aussitôt compte qu’il avait tort de laisser partir ainsi un homme qui n’avait pas justifié sa présence dans la cour à une heure aussi étonnante. Il changea donc d’avis et demanda à M. de ne plus bouger. Le jeune homme obtempéra sans discussion.
L. avait une raison supplémentaire de bloquer l’inconnu. Depuis quelques mois, les responsables du service se plaignaient de vols réguliers effectués dans leurs locaux. L’acte le plus grave s’était produit quelques jours seulement avant que M. ne soit intercepté dans la cour. Quelques semaines auparavant, la structure avait bénéficié de nouveaux ordinateurs. Une fois le remplacement des machines opéré, les responsables avaient chargé les gardiens d’entreposer le matériel obsolète dans un coin du bâtiment. Quelques jours plus tard, les vieux ordinateurs avaient mystérieusement disparu et personne n’avait la moindre idée sur la manière dont le vol s’était produit. A l’époque, la direction de la structure avait saisi le service employeur des vigiles et lui avait fait savoir sans fard qu’elle soupçonnait les gardiens d’être impliqués dans le vol des ordinateurs. L’affaire avait fait grand bruit et avait même failli coûter leur emploi à quatre agents de la société de gardiennage. Il avait fallu tout le professionnalisme des policiers pour que les agents soient entièrement innocentés.
Mais les machines étaient demeurées introuvables. Cette affaire non élucidée était restée en travers de la gorge des agents de sécurité qui se jugeaient indirectement responsables de la disparition du matériel. Ils avaient donc redoublé de vigilance dans leurs différents tours de garde. Leur espoir était que le voleur encouragé par la réussite de son coup récidive et leur permettent par sa capture de se laver définitivement de tout soupçon. Si cela n’était pas le cas, les vigiles craignaient que l’affaire n’impacte sur les rapports qui liaient la structure victime à celle employeuse, et par ricochet leur propre emploi à eux. L’inconnu représentait donc pour les vigiles un suspect sérieux qu’il ne fallait pas laisser partir sans tout soit clarifié en ce qui concernait sa présence dans la cour du service.
C’est ainsi que le jeune homme fut gardé dans un coin de la cour sous bonne garde pendant plusieurs heures. A l’arrivée du premier responsable des lieux, il fut immédiatement conduit jusque dans le bureau de celui-ci. Les vigiles expliquèrent au chef les circonstances dans lesquelles ils avaient mis la main sur l’inconnu. Tout naturellement le responsable du service ordonna que l’homme soit conduit devant les policiers pour qu’il puisse s’expliquer plus clairement.
Pour M. qui croyait pouvoir s’en tirer avec une réprimande de L. les choses se compliquaient sérieusement. A l’officier de police chargé de son interrogatoire, il expliqua qu’il était un SDF (sans domicile fixe), ressortissant d’un pays de l’Afrique centrale. Il serait arrivé à Bamako depuis moins d’un mois. Mais pendant tout ce temps, il n’avait pas réussi à trouver un endroit où dormir. La nuit qui avait précédé sa capture, il avait passé plusieurs heures dans un des bars-restaurants de la place. Lorsqu’il avait senti que l’aube s’approchait, il s’était dirigé directement vers les locaux du service où il avait passé la nuit au milieu des vieilles voitures.

M. A COMPLIQUÉ SON CAS. Pour convaincre ses interlocuteurs de ce qu’il disait, le jeune homme assura qu’il allait se montrer « honnête et franc ». Il avoua ainsi que c’était la troisième nuit de suite qu’il passait au même endroit, et cela sans avoir jamais rencontré la moindre difficulté. Chaque fois qu’il quittait le centre-ville pour venir se coucher, il escaladait le mur d’enceinte du service, se dirigeait vers le parking des véhicules usagés, aménageait sa « chambre à coucher » en étalant des vieux cartons dans l’habitacle d’une voiture. Au petit matin, il se levait très tôt, démontait sa couchette, cachait les cartons en les dissimulant entre les voitures et quittait les lieux sur la pointe des pieds. Pas vu, pas pris. « En aucun moment, je n’ai touché à un quelconque objet appartenant au service », aurait assuré M.
L’étrange hôte sentait qu’il s’était quand même mis dans un mauvais cas. Il pensait qu’en exposant dans les détails sa manière de faire, il convaincrait les policiers qu’il n’était pas un délinquant et que les agents en tiendraient compte au moment de monter son dossier pour la justice. Mais en réalité M. avait compliqué son cas et l’officier de police n’a pas hésité à le lui faire savoir. « Vous croyez que vous aviez le droit d’escalader nuitamment le mur d’enceinte d’un service public au motif que vous n’aviez pas un endroit où passer la nuit ? », lui avait-il lancé d’une voix abrupte.
M. a bien essayé de faire voir la particularité de sa situation en se présentant comme un parfait étranger, complètement perdu à Bamako. « Je n’ai aucune connaissance dans cette ville. Je me considère comme un sans domicile fixe. Je voulais juste mettre un petit temps à profit pour me familiariser un peu avec Bamako et voir si par chance, je tombais sur un ressortissant du même pays que moi. Dans ce cas là, j’aurais demandé à ce dernier s’il pouvait m’héberger en attendant… ». Cette manière de présenter les choses n’a guère convaincu le policier. Ce dernier a interrogé M. pour savoir s’il était au courant de la disparition des ordinateurs et autres objets dans les locaux du service où il passait la nuit. Le jeune homme avait nié en bloc toute implication dans ces vols. Il a juré qu’il n’était qu’un SDF qui cherchait juste un endroit où il pouvait passer ses nuits.
Visiblement, le « sans domicile fixe » semble être tombé au mauvais endroit au mauvais moment. De sérieux soupçons pèsent désormais sur lui concernant notamment le vol des ordinateurs. L’officier de police n’a pas mis M. au cachot pour me moment. Mais il a notifié à ce dernier qu’il devait rester à la disposition de la police jusqu’à ce que l’affaire de la disparition des ordinateurs soit clarifiée. Mais sans lui donner de délai.
M. bénéficie donc d’un léger sursis et il prie le Tout Puissant pour que la suite des enquêtes le blanchisse lui aussi, comme cela avait été le cas pour les agents de sécurité. En attendant, il serait intéressant de lui demander s’il parvient à trouver le sommeil avec cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête.

MH.TRAORÉ

source : Essor

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