Après l’évasion du 16 janvier de la prison centrale de Bamako, la gendarmerie avait procédé à l’arrestation du régisseur, le Commandant Abdoulaye Idrissa Maïga. Celui-ci s’était rendu à la brigade territoriale de gendarmerie de Bamako-Coura, contiguë à la prison centrale, pour s’enquérir de l’état de six évadés qui avaient été molestés par la foule. Sur place, il a été informé par le chef du service des investigations judiciaires, le capitaine Abdoulaye Haïdara, que sur instruction du ministre de la sécurité, le général Sada Samaké, il est en état d’arrestation. Malgré l’insistance du régisseur pour informer le directeur général-adjoint de l’administration pénitentiaire qui se trouvait alors à la prison centrale, le capitaine ne l’y autorisa point. De la brigade territoriale de Bamako-Coura, il fut immédiatement conduit au service des investigations judiciaires au camp I de la gendarmerie pour être entendu sur les circonstances de l’évasion du 16 juin 2014. Et, le jeudi 19 juin, il a été présenté à un juge d’instruction qui, faute d’éléments accablants, finira par le libérer.
Interpol chargé de l’enquête
Actuellement, c’est Interpol qui a été sollicité pour mener des investigations plus approfondies. Ce service est chargé de d’établir les circonstances réelles de l’évasion de Mohamed Aly Ag Wadoussène et des autres détenus. Il a aussi pour mission de découvrir comment le pistolet automatique, utilisé par le sous-traitant d’AQMI, a pu atterrir dans la cellule de ce dernier. Enfin, il s’attèlera à faire le lien entre les informations fournies au régisseur pour le prévenir d’ une éventuelle attaque terroriste contre la prison centrale et les doléances de ce dernier adressées au ministère de la justice ( direction nationale de l’administration pénitentiaire) relatives à l’acquisition du matériel de sécurité et auxquelles le département était resté insensible.
A la suite d’une série d’investigations et des témoignages recueillis, il nous revient que le régisseur sortant, le Commandant Abdoulaye Idrissa Maïga après sa prise de fonction à la prison centrale, le 24 janvier 2014, avait informé le ministère de la justice, à travers l’administration pénitentiaire, des problèmes liés au dysfonctionnement de la maison centrale d’arrêt. Dans cette correspondance en date du 14 février 2014, il écrit : » j’ai l’honneur de venir très respectueusement auprès de votre haute bienveillance vous informer que depuis quelque temps, la maison centrale d’arrêt de Bamako reçoit des criminels très dangereux et des hautes personnalités impliquées dans les affaires d’atteinte aux biens de l’Etat « . En vue de renforcer la sécurité à cet endroit, » 100 pistolets mitrailleurs (PM), 20 caisses de munitions, 200 paires de menottes et 20 détecteurs de métaux » avaient été demandés par la maison centrale. Cette correspondance a été suivie d’une autre en date du 10 mars 2014 sur » l’insuffisance du personnel de sécurité « .
69 agents techniques pour 2250 détenus
La lettre est libellée comme suit : » J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que le personnel de sécurité au nombre de 69 agents techniques est insuffisant pour une population carcérale de 2 250 détenus. La maison centrale se caractérise par sa vétusté et sa vulnérabilité. Car elle renferme en son sein des détenus très dangereux audacieux et aguerris aux nouvelles techniques de la criminalité parmi lesquels des terroristes, des narcotrafiquants, de hautes personnalités. Ainsi pour la sécurisation et en vue de renforcer cet effectif, il serait nécessaire de mettre à notre disposition 50 agents techniques de la surveillance « .
Le 17 mars 2014, une autre correspondance relative à la réparation du système de vidéosurveillance est adressée à la hiérarchie. Le Commandant Abdoulaye Idrissa Maïga écrivait que la vidéosurveillance de la prison n’est plus opérationnelle alors qu’elle joue un rôle très important dans le renforcement de la sécurité. Cette correspondance tout comme les précédentes envoyées à la direction de l’administration pénitentiaire et au département de la justice n’eurent droit à aucun traitement.
Indifférence de l’administration pénitentiaire
Il nous revient que lorsque le régisseur a été informé par la Sécurité d’Etat d’une éventuelle attaque terroriste contre la prison centrale suivie d’une évasion, il avait pris soin d’adresser une nouvelle correspondance à sa hiérarchie avec pour objet : » Menaces terroristes et narcotrafiquants « . Il écrit : » Selon les informations provenant de la direction générale de la Sécurité, la maison centrale d’arrêt de Bamako serait la principale cible d’une attaque terroriste pour libérer les terroristes et les narcotrafiquants détenus « .
Abdoulaye Idrissa Maïga renouvela sa doléance du renforcement de la sécurité et de l’acquisition de matériels. Sans succès. La direction de l’administration pénitentiaire et le département de la justice sont, une fois de plus, restés sourds à la menace d’attentat terroriste et au risque d’évasion de détenus terroristes.
Le 16 juin, il y avait en tout et pour tout 25 éléments pour 2019 détenus
Ainsi, les événements du 16 juin surviennent dans ces conditions où les surveillants de prison n’ont pas pu empêcher cette évasion pourtant planifiée. En effet, le jour de l’évasion, l’équipe de garde était compsée de 25 éléments pour une population carcérale de 2019 détenus soit un taux rationnel de 81 détenus pour un agent. L’armement était constitué de 15 carabines chinoises en très mauvais état. C’est une arme réformée au sein des forces de sécurité. Les munitions étaient au nombre de 415 dont les deux tiers défectueuses pour cause de vétusté (dotation de 1996).
Le 30 juin dernier, le Commandant Abdoulaye Idrissa Maïga a adressé un rapport à la direction de l’administration pénitentiaire dans lequel il a fait un compte rendu de l’évasion du 16 juin et réaffirmé sa disponibilité à travailler avec les enquêteurs pour la manifestation de la vérité.
Beaucoup déplorent le traitement réservé à ce régisseur pourtant bien apprécié dans la famille pénitentiaire et qui a été récompensé pendant la transition pour la qualité de son travail. Ancien directeur général de l’administration pénitentiaire de Tombouctou (2009-2011) et de Mopti (2011-2014), le Commandant Abdoulaye Idrissa Maïga a reçu, le 11 septembre 2012, une lettre de félicitation de l’ex-garde des sceaux, Malick Coulibaly par rapport aux efforts qu’il a déployés à travers la sécurisation des armes du service et le transfert des pensionnaires des maisons d’arrêt. L’homme est diplômé d’études spécialisées en surveillance pénitentiaire de l’université Paris II. Il serait l’un des rares spécialistes dans son domaine au Mali.
Nous y reviendrons
ABDOULAYE DIARRA