Les récents accrochages entre les groupes armés au Nord n’ont pas fini de livrer tous leurs secrets.
Après la publication d’un communiqué de la Minusma confirmant de graves abus des droits de l’homme, le Directeur de la Division des droits de l’homme et de la protection (DDHP) de la Mission de l’ONU lève un autre coin du voile sur ce qu’il convient désormais d’appeler l’affaire dite des fausses communes. Au cours de cet entretien qu’il a accordé à nos confrères de Mikado FM, Guillaume Ngefa a détaillé la typologie des violations et abus que l’équipe d’enquêteurs de la DDHP a pu vérifier et corroborer sur le terrain. Des actes répréhensibles qui font froid dans le dos et pour la perpétration desquels, il n’a pas hésité à pointer d’un doigt accusateur à la CMA et la Plateforme. Révélation…
Au cours de cet entretien, M. Guillaume Ngefa a reconnu qu’une équipe d’enquêteurs de la Division des droits de l’homme et de la protection (DDHP) de la MINUSMA, qui vient de produire son rapport, s’est rendu courant le mois de juin dans la région de Kidal et dans une partie de celle de Gao et Ménaka, afin de vérifier des allégations relatives à de graves abus des droits de l’homme qui ont été imputés à la Coordination des Mouvements de l’Azawad ainsi qu’à la Plateforme, deux mouvements signataires de l’Accord pour la paix.
Selon le Représentant du Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, la récurrence des faits corroborés par des témoignages crédibles ont conduit la MINUSMA à déployer une mission spéciale d’établissement des faits. Du récit fait par ce dernier, ce sont au total 7 missions qui ont été conduites sur le terrain, notamment, à Takalot, à Amacine, dans la région de Kidal, à Anéfis et dans les régions de Gao et Ménaka où les investigations ont été complétées en raison de mouvements de ces différents groupes armés dans la région. Autant donc, dire que ces allégations concernent les mouvements signataires de l’Accord politique, ce qui est encore assez sérieux, a-t-il affirmé.
Outre la responsabilité des groupes, c’est le nombre d’allégations reçues, qui doit aussi attirer l’attention de la de la Division des droits de l’homme et de la protection : « Nous avons reçu 67 allégations d’abus grave et les conclusions de nos enquêtes c’est que 34 d’entre elles ont non seulement été corroborées, mais confirmées » explique Ngefa avant d’en détailler la typologie des violations et abus : « il s’agit de cas d’exécutions sommaires, d’enlèvements et de tortures, de destruction de propriétés, ainsi que des vols ».
Et le Représentant du Haut-Commissaire des droits de l’homme de poursuivre : « Nous avons pu établir que les groupes armés utilisaient des mineurs dans leurs rangs. Ce qui est extrêmement grave parce que sur les 33 personnes actuellement détenues par la CMA à Kidal, huit sont des enfants. »
Les conclusions de l’enquête révèlent un autre élément macabre très inquiétant : la découverte de fausses communes.
« Nous avons pu confirmer l’existence, non pas de charniers, mais de deux fausses communes et de deux tombes individuelles, mais nous n’avons pas pour le moment les moyens de vérifier le nombre de corps contenus dans ces fausses communes, encore moins identifier les personnes qui ont été tuées ou exécutées, parce que l’on ne connait pas les circonstances (ndlr :… de leur mort). Donc, c’est quand même important que l’enquête continue pour faire la lumière sur ces allégations ».
La poursuite des enquêtes n’est pas mue que par la seule découverte du mystère qui entoure les fausses communes. La lumière doit aussi être faite sur les 33 allégations auxquelles une confirmation n’a pu être apportée pour le moment.
« Sur les 33 allégations qui n’ont pas pu être «encore», je dis bien «encore» confirmées, c’est que nous avons des éléments, mais il manque un ou deux éléments par exemple : les lieux de commissions de ces actes (…) les modus operandi, la manière dont ces exécutions ont été effectivement commises, ou bien des accusations d’enlèvement ou de destruction… C’est important parce que nous nous trouvons dans une situation où la manipulation de l’information, les rumeurs font partie des armes que les groupes armés utilisent. Donc, nous devons être très rigoureux dans la recherche de la vérité… »
Souligné par les résultats des enquêtes, la mise à mal de l’application de l’Accord est un fait. Une conséquence immédiate de ces nombreux manquements aux droits de l’homme que M. Ngefa pointe de façon on ne peut plus limpide : « Je crois que l’Accord est clair. Il prohibe les violations de cessez-le-feu qui s’accompagne toujours, dans la grande majorité des cas, de graves violations des droits de l’homme. C’est ça qu’il faut absolument déplorer.
C’est pourquoi il important que la justice fasse son travail. » Pour lui, les autorités judiciaires doivent : « agir promptement, ouvrir des enquêtes pour établir la vérité. Aussi, nous espérons que les groupes armés eux-mêmes pourront ouvrir des enquêtes internes pour coopérer bien sûr avec ceux qui ont la compétence de la recherche de la vérité. C’est essentiel parce que ça fait aussi partie de l’accord, puisque ce sont les parties signataires eux-mêmes qui ont la responsabilité de la mise en œuvre de l’accord politique ».
Dans la perspective de poursuites judiciaires et conformément à son mandat, la MINUSMA comme elle a déjà eu à le faire, continuera à apporter son soutien à l’État malien. Sur ce point, le Directeur Ngefa se veut rassurant : « les résultats des enquêtes préliminaires vont être partagés avec les autorités maliennes, mais aussi avec les groupes armés (…) Il appartient aux autorités judiciaires maliennes d’évaluer les besoins et sur base de cette évaluation, si elles veulent, la MINUSMA peut assister sur les domaines nécessaires. La MINUSMA a toujours aidé et nous sommes là pour aider l’État malien dans la recherche de la vérité et aussi dans leurs activités d’administration de la justice ».
« Les enquêtes vont continuer. Au-delà du fait d’établir les faits, il y a aussi les victimes qui ont droit à la réparation. » Cette phrase résume à elle seule l’état d’esprit du Représentant du Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU. Non seulement les enquêtes vont se poursuivre jusqu’à établissement des faits, l’État malien sera soutenu, conformément au mandat de la Mission, mais aussi et surtout, les victimes seront accompagnées vers cette réparation à laquelle elles ont droit.
« Nous devons accompagner les familles des victimes à porter plainte devant les instances compétentes. Nous devons nous assurer que la justice ouvre effectivement les enquêtes et qu’il y ait des poursuites ».
Déterminé à appliquer le mandat que le Conseil de sécurité a conféré à la MINUSMA en matière de droits de l’homme. M. Ngefa a souligné sa détermination pour la manifestation de la vérité dans cette affaire : « Il y a tout un travail de suivi, à travers un dialogue constructif et critique, avec les différentes instances en charge justement de la justice (…) et, nous allons rencontrer le ministre de la Justice et celui des droits de l’homme pour partager les conclusions de ce rapport ! ».
Par Mohamed D. DIAWARA
Source : minusma