Le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme (2/6). Avec la montée de l’insécurité dans le nord du pays, le racisme grandit à l’égard des Touareg et des réfugiés maliens.
C’est l’une des zones les plus fréquentées de Ouagadougou. Autour du grand marché de la capitale du Burkina Faso, les taxis et les motos jouent des coudes pour se frayer un passage entre les piétons. Cet après-midi du 24 mars, un homme d’origine touareg – une ethnie majoritairement implantée au Mali – descend d’un bus, devant un grand magasin de la place. Les regards des commerçants convergent immédiatement vers lui. Il a la peau claire, porte un turban beige et une veste large : c’est suffisant pour le considérer comme suspect. Présumé « coupable », il finira par être fouillé puis remis aux forces de sécurité. Faute de preuves, il sera vite relâché.
Présentation de notre série Le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme
Quelques minutes plus tard, sa photo est publiée sur la page Facebook d’une radio burkinabée. « Regardez-le… Il me met dans tous mes états, ce que je ressens pour lui, c’est plus que de la haine. » « De vrais criminels. » « Belle action qui doit se généraliser. » Les commentaires postés sous la photo en disent long sur un phénomène qui, depuis l’accélération du rythme des attaques terroristes dans le nord du Burkina Faso, prend de l’ampleur. Les Touaregs, ou « peaux claires », comme les appellent les Burkinabés, sont de plus en plus stigmatisés.
Délit de faciès
Touaregs, terroristes, réfugiés. La confusion est courante. Son origine est à chercher du côté de la guerre au Mali. Après le début des combats, en 2012, la population touareg a massivement fui en Mauritanie, au Niger et au Burkina Faso. Dans les deux camps de réfugiés du nord du pays, Mentao et Goudoubo, cette ethnie est aujourd’hui majoritaire, si bien que pour beaucoup de Burkinabés, Touaregs et réfugiés ne font qu’un.
Sur le front malien, un groupe indépendantiste touareg, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), a annoncé au début de la guerre son alliance avec l’organisation terroriste Ansar Dine pour lutter contre l’Etat. Il a fini par se rétracter, mais, dans les esprits de la sous-région, une autre assimilation est restée : celle entre Touaregs et terroristes.
Le délit de faciès contre le Touareg interpellé à Ouagadougou est intervenu quelques heures après une conférence de presse du ministère de la sécurité annonçant qu’un commanditaire présumé des attentats de Ouagadougou, en janvier 2016, avait été identifié : Mimi Ould Baba Ould Cheikh, un nom malien à consonance touareg… La gendarmerie le présente comme un ancien pensionnaire du camp de réfugiés de Mentao. Un site immense, planté dans la province du Soum, parsemé de bâches blanches sous lesquelles sont encore réfugiés 12 300 Maliens. Selon nos informations, malgré des passages réguliers dans le camp de Mentao, Mimi Ould Baba Cheikh n’a jamais figuré sur la liste des réfugiés.
« Maintenant, quand il y a une attaque, les gens disent que ce sont nous, les réfugiés »
Pour les autorités, ce site pose problème. « Le camp est proche de la frontière malienne, les allers-retours des réfugiés sont difficiles à contrôler », explique une source sécuritaire. Il y a six mois, un fils de réfugiés maliens installés à Djibo a été identifié sur une vidéo, kalachnikov à la main. Il était connu pour ses passages fréquents dans le camp de Mentao. Depuis cet épisode, la crainte des autorités monte, les amalgames aussi. « Maintenant, quand il y a une attaque, les gens disent que ce sont nous, les réfugiés. Nous sommes clairs et ils pensent que les terroristes sont forcément clairs », regrette Aziz*, réfugié depuis 2012 à Dori, dans le nord-est du pays.
Chasse à l’homme
A quelques encablures de chez Aziz, Salif* s’apprête à faire le thé. Lui aussi est réfugié au Burkina Faso depuis 2012. Avec la recrudescence des attaques terroristes, il affirme également avoir vu monter un sentiment anti-« peau claire ». « Nous, les Touareg, nous avons trois maladies. Deux que nous pouvons soigner, l’autre non. La maladie du turban, ça, on peut l’enlever. La maladie de la barbe, ça, on peut la raser. Mais la maladie de la peau blanche, ça, on ne peut rien y faire », explique-t-il calmement, le regard baissé.
Début mars, ce racisme a pris des proportions inquiétantes. A Djibo, épicentre de la menace terroriste qui endeuille la province du Soum depuis des mois, un appel à la chasse à l’homme a circulé sur les réseaux sociaux et dans les téléphones portables : « A toute la population de Djibo, province du Soum, levez-vous comme un seul homme pour chasser les réfugiés touareg qui sont dans les environs de Djibo. Qu’ils retournent d’où ils viennent. C’est la guerre au Mali qui a fait que les autorités les ont accueillis et pourtant, ce sont les mêmes qui sont en train de faire du mal dans la région. »
« Certains ont voulu partir, mais pour aller où ? Nous sommes coincés »
Sous les tentes du camp de Mentao, un vent de panique a soufflé. « Nous avons eu très peur. Certains ont voulu partir, mais pour aller où ? Nous sommes coincés », s’inquiète un réfugié. Face à l’insécurité qui persiste au Mali, les quelque 32 000 réfugiés au Burkina Faso attendent toujours de pouvoir rentrer chez eux. Avec la peur de voir leurs frères burkinabés céder de plus en plus à la facilité de la stigmatisation et de l’amalgame.
* Les prénoms ont été changés.
Morgane Le Cam contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou