Chronique. Il n’est pas forcément facile – et certainement pas anodin – d’être une licorne en Afrique. Ainsi nomme-t-on, en jargon financier, les start-up valorisées plus de 1 milliard de dollars. Tel est le cas de Jumia, le leader du commerce en ligne sur le continent.
Peu connue hors de son marché, l’entreprise s’est retrouvée en bonne place dans les colonnes de la presse financière mondiale lors de son introduction, mi-avril, au New York Stock Exchange (NYSE). Et pour cause : Jumia est la première société technologique d’Afrique à entrer à Wall Street. Un baptême boursier en forme de success story : le titre a aussitôt flambé, comme pour célébrer la promesse d’une transformation numérique du continent et l’avènement d’une nouvelle classe de consommateurs.
Las. Une marée de polémiques a vite recouvert l’enthousiasme ambiant. Le cours de l’action est retombé aussi vite qu’il avait grimpé après des allégations de fraude portées par le courtier Citron Research. Le cabinet d’analyse accuse Jumia d’avoir gonflé le nombre de ses clients comme de ses vendeurs et omis certaines informations, comme le taux très élevé de commandes retournées.
Fondée par le sulfureux Andrew Left, Citron Research est connue pour « jouer » les titres à la baisse. Mais la firme a réveillé les doutes sur la viabilité d’un modèle économique pionnier en Afrique. Marchés fragmentés, infrastructures déficientes, instabilité économique, faible pénétration d’Internet, sous-bancarisation de la population… Les défis ne manquent pas. Les opportunités non plus, réplique Jumia. Et si la rentabilité est loin d’être au rendez-vous, n’a-t-il pas fallu dix ans à Amazon avant de commencer à gagner de l’argent ?
Pedigree polémique
C’est bien parce qu’il s’agit d’un pari de longue haleine que le groupe a jeté son dévolu sur Wall Street plutôt que Nairobi ou Lagos. Balayons ici la deuxième controverse. « Il s’agissait de la décision la plus sensée du point de vue de l’entreprise », écrivait, mi-juin, Eliot Pence, du Center for Strategic and International Studies, un think tank de Washington. Comme le rappelle l’analyste, les places africaines sont encore étroites et peu liquides. Une cotation sur le NYSE offrait l’accès le plus direct à des investisseurs aux poches profondes, susceptibles de miser avant tout sur le « potentiel » de l’affaire.
Tout cela conduit à la troisième polémique, de loin la plus toxique : celle portant sur l’identité de Jumia. Latente depuis les débuts de l’aventure, en 2012, elle s’est déployée à la faveur du buzz de l’introduction en Bourse. Ses détracteurs ne supportent pas d’entendre la société se présenter comme « africaine ». Oui, Jumia opère dans quatorze pays du continent. Mais n’est-elle pas d’abord la création de l’incubateur allemand Rocket Internet ? Dirigée par deux Français établis à Dubaï ? Dotée d’un centre technologique basé au Portugal ?..Lire la suite sur le monde.fr