En mars 1991, le paysage politico-social et institutionnel au Mali, venait de basculer suite à un soulèvement populaire animé par des milliers d’élèves, d’étudiants, de fonctionnaires et d’autres corporations d’associations et de syndicats, etc., groupés autour de ce qu’il convenait d’appeler à l’époque, le Mouvement Démocratique (associations, syndicats, organisations de la société civile, partis politiques clandestins). Au nom de la justice, de la paix, de la liberté et de la démocratie, ce mouvement engage une vaste lutte contre le régime de Moussa Traoré et son parti unique, l’UDPM (Union Démocratique du Peuple Malien). Outre Bamako, toutes les capitales régionales du pays ont pris part à cette lutte, dénonçant la dictature d’un régime qui aura duré plus de deux décennies (1968-1991), restreignant les libertés fondamentales des citoyens, interdisant la formation des partis politiques et associations, chassant jusque dans leurs derniers retranchements, les leaders du Mouvement Démocratique dont certains étaient obligés de prendre le chemin de l’exil.
Les folles journées de mars 1991 et l’espoir déçu des martyrs !
A la fin des années 80, la contestation s’intensifie notamment dans les milieux scolaires et estudiantins autour d’un leader charismatique, le camarade Abdoul Karim Camara dit Cabral alors, étudiant finaliste à l’Ecole Normale Supérieure de Bamako et secrétaire général de l’UNEEM (Union Nationale des Elèves et Etudiants du Mali). Suite aux nombreuses revendications de ce syndicat (amélioration des conditions de vie et d’études, quête d’une plus grande expression des libertés, etc.) et suite également aux exigences des masses populaires pour une large ouverture démocratique, le régime militaire et son parti unique UDPM, répriment dans le sang, toutes velléités de contestations, aux premiers rangs desquelles, les élèves et les étudiants dont le leader arrêté, meurt en détention le 17 mars 1980, sans qu’aucune lumière n’y soit faite à ce jour. Auparavant, le décès en détention en 1977 de Modibo Kéïta, premier Président de la République du Mali (1960-1968), entretenait déjà, une crise latente qui avait fini par prendre de l’ampleur et creuser le fossé entre les tenants d’un pouvoir dur et répressif et une bonne partie du Peuple du Mali qui, à partir des années 90, exprimera de plus en plus fort, son désir à un mieux-être et à une plus grande aspiration à la démocratie multipartiste qui constitue la matrice même de ce long combat qualifié de légitime et d’irréversible. L’année 1991 sera décisive face à un régime concentrant tous les pouvoirs, refusant l’ouverture démocratique, mais menacé sous le poids d’un cumul de difficultés socio-économiques et financières graves, qui sera mis à profit par le Mouvement Démocratique, pour mobiliser la population de Bamako et celle des villes et des campagnes de l’intérieur du pays. Le régime utilise la répression dans un bain de sang, comme ripostes. Le vendredi 22 mars 1991 ou « vendredi noir », enregistre des centaines de morts et de blessés, sous les balles du régime. Le 26 mars 1991, un coup d’Etat dirigé par le lieutenant Amadou Toumani Touré et ses camarades officiers, signe la fin du régime de Moussa Traoré qui aura duré 23 ans. La révolution de mars venait de triompher au nom de la démocratie intégrale et multipartiste obtenue par le sang des Martyrs qui reposent désormais au cimetière de Niaréla à Bamako.
Après la grande euphorie de la victoire de la révolution de 91, le premier Président de la République de l’ère démocratique, Alpha Oumar Konaré sera élu le 26 avril 1992, mais son élection sera contestée tout au long de son premier quinquennat par certains partis politiques, puis un apaisement du front survient à partir de 1994 avec l’arrivée d’Ibrahim Boubacar Kéïta à la Primature. Contrairement aux attentes du Peuple, ce régime se durcit et s’écarte de plus en plus des principes démocratiques en instaurant la terreur. L’illusion du Peuple se transforme en désillusion notamment, après l’émergence sur la scène politique, d’une nouvelle race d’hommes richissimes, les premiers fonctionnaires multimillionnaires et d’hommes d’affaires versés dans le grand business, oubliant les ultimes sacrifices des Martyrs de mars 1991. Ainsi dit-on, ils ont tué la révolution et l’espoir, souillé la mémoire des Martyrs. Lorsque Amadou Toumani Touré prend les rênes du pouvoir en 2002 lors d’une élection qui sera elle-aussi contestée, lui réussira par sa gouvernance dite de consensus, à maintenir une stabilité politique et institutionnelle relative, jusqu’en 2012, quand survient un autre coup d’état dirigé par le capitaine Amadou Aya Sanogo.
A analyser les trois décennies de pratique démocratique, d’Alpha Oumar Konaré (1992-2002), d’Amadou Toumani Touré (2002-2012), à Ibrahim Boubacar Kéïta (2013-2020), que de temps et d’énergies perdus ! Puis, on est amenés à dire que les acteurs du Mouvement Démocratique, y compris les dirigeants, sont tombés au cours de leur exercice du pouvoir, dans des travers encore plus révoltants, plus insultants, que ceux connus sous le régime de Moussa Traoré honni, contesté et chassé du pouvoir.
Ces travers étaient autres, la corruption à ciel ouvert, le mensonge d’Etat, la gabegie financière, le clientélisme, le népotisme, l’injustice et l’impunité, etc., érigés en mode de gouvernance qui, à partir de 2012, plonge le pays dans une longue série de crises profondes et multidimensionnelles (politiques, institutionnelles, sécuritaires), à l’origine d’un énième coup d’état militaire opéré en août 2020, sous la conduite du Colonel Assimi Goïta et ses camarades officiers. Il été facilité par les contestations populaires de plusieurs mois dans les rues.
Depuis, les nouvelles Autorités de la Transition en s’engageant dans la voie de la rectification de la trajectoire d’une démocratie multipartiste déviée et malmenée pendant trente années par les acteurs du Mouvement Démocratique et leurs dirigeants, décident de redonner espoir et confiance à un Peuple trop déçu et en perte totale de confiance en leurs anciens dirigeants. Ceci, sur la base d’un nouveau contrat social qui prend appui sur les pertinentes recommandations des Assises Nationales de la Refondation tenues en décembre 2021, au nom du « Mali Kura ».
Aujourd’hui, quelle leçon peut-on tirer de cette démocratie en panne ?
La démocratie arrachée en mars 1991 par le sang des Martyrs, a avalé l’espoir de tout un Peuple comme le malade avalerait ses pilules, sans retrouver son état de bonne santé. Alors, au regard du paysage politique imposé par les acteurs politiques du Mouvement Démocratique versés dans la « ploutocratie », plutôt que dans une démocratie vraie, la leçon à tirer aujourd’hui, est celle de la trahison, de la mythomanie, de l’immense déception portée par ces pseudo-démocrates contre le Peuple et particulièrement la mémoire des Martyrs qu’ils ont souillée.
Cependant, ce qu’on y peut retenir de réconfortant, c’est la reconnaissance faite aux ultimes sacrifices de ces Martyrs. Ils sont commémorés le 26 mars de chaque année, comme « Journée des Martyrs », chômée et payée, mais à laquelle journée, il conviendrait d’ajouter pour ma part, « Journée Nationale des Martyrs et de la Démocratie ». Cette Journée amorce ainsi, l’avènement d’une nouvelle ère, celle de la transformation en profondeur, du paysage politique du Mali, décidée par la volonté populaire au nom de la liberté et de la démocratie tant souhaitées. Une ère qui ouvre une nouvelle page de l’histoire contemporaine d’un nouveau Mali.
Dr. Allaye GARANGO, enseignant chercheur/ ENSup-Bamako
Source: Le Pélican