L’épisiotomie devient systématique dans les centres de santé. De plus en plus de personnes dénoncent la généralisation d’une pratique symbolique d’un certain patriarcat du monde médical.
L’épisiotomie est aujourd’hui presque banalisée dans les centres de santé au Mali. Beaucoup ne la pratiquent que dans des situations de force majeure où le bébé et la maman seraient en danger. Elle est tellement pratiquée sous nos cieux qu’on l’a rendue sinon inoffensive en tout cas quasiment anodine dans son énonciation.
Dès qu’il est question d’accouchement, le mot est vite lâché, un peu comme on parlerait d’une anesthésie dentaire, un peu costaude, ou de n’importe quelle pratique chirurgicale pénible mais inévitable.
Or, l’épisiotomie n’a rien de drôle. Elle n’a rien d’insignifiant ou de léger. Elle pèse même de tout son poids sur la psyché de jeunes ou futures accouchées, sur leurs corps, leur santé physique, leur sexualité, le rapport à leur enfant, aux soignants, à la confiance que l’on est censé accorder à ces derniers. Elle n’a surtout rien d’inévitable. Elle peut être synonyme de douleur, de complications atroces, de bafouement de consentement, de violence gynécologique.
“Quand je commençais mon stage de perfectionnement comme sage-femme, l’épisiotomie était la pratique qui m’écœurait le plus. Pratiquer systématiquement au sein de nos CS-Réf, je me suis toujours demandée comment on pouvait déchirer un être humain sans ressentir de la peine pour lui. Je m’éclipsais chaque fois qu’il y avait un accouchement. Finalement, on m’obligeait à le faire. Cette pratique risque de perdurer si rien n’est fait parce que à chaque épisiotomie, les praticiennes gagnent 7500 CFA”, avoue Mariam Karembé, sage-femme dans une clinique de la place.
Pour s’en rendre compte et s’écarter un instant de l’aspect quasi insignifiant que l’on a fini par allouer à l’acte, il suffit de savoir exactement en quoi consiste une épisiotomie.
C’est une opération chirurgicale qui consiste à sectionner la muqueuse vaginale et les muscles superficielles du périnée afin d’agrandir l’orifice de la vulve et faciliter l’expulsion du fœtus lors de l’accouchement. Cette pratique consiste à agrandir à l’aide de ciseaux chirurgicaux le sexe de la femme.
Une intervention inutile
Il est urgent de prêter enfin l’oreille à la parole des premières concernées : les femmes en particulier, celles qui dénoncent leur douleur restée secrète et ce qu’il convient d’appeler une ” violence médicale délibérée”.
“Comme tout le monde, j’ai longtemps cru que l’épisiotomie était un passage obligée. Contre lequel on ne peut rien. C’est ce qu’on apprend lors de nos visites prénatales. Ensuite, après mon accouchement, j’ai compris que c’était faux”, explique Fatoumata Maïga.
Cette pratique courante se fait contre le gré de la patiente quand bien même elle prône l’accouchement normal. “En 2014, j’ai choisi d’accoucher le plus normalement possible. J’ai refusé de façon explicite de subir une épisiotomie. Au cours de mon accouchement, et alors que je maintenais mon refus de l’épisiotomie, et que moi et le bébé allions bien, on pratiquera l’épisiotomie contre mon gré. Je me suis retrouvé avec 13 points de sutures. J’ai même vu des cas où on recommençait l’épisiotomie d’une femme qui avait accouché depuis plus deux mois. Juste parce qu’ils ont dans la précipitation mal fait les choses”, témoigne la dame Maïga.
Pendant des années, on croyait l’épisiotomie capable d’empêcher les déchirures. Il était en effet facile de recoudre une entaille droite plutôt qu’une déchirure. Ils ont commencé à la pratique et au fil des années elle est devenue la norme.
Selon Kassoum Traoré, gynécologue, “il y a quelques années, on s’est rendu compte que l’épisiotomie n’empêchait absolument pas les déchirures. Au contraire, il y a très souvent des sur-déchirures sur épisiotomie. Il faut savoir qu’il existe plusieurs types de déchirures : déchirure du premier degré (la peau et un peu de muqueuse) ; déchirure du deuxième degré (tissus plus profond du muscle du périnée) ; déchirure du troisième degré (jusqu’à l’anus) ; déchirure du quatrième degré (anus plus muqueuse rectale)”.
Toujours selon le gynécologue, “l’épisiotomie équivaut à une grosse déchirure du 2e degré et peut entrainer des sur-déchirures de type 3 et 4. Les déchirures du 1er et 2e degré étant les plus fréquentes, il vaut mieux laisser venir la déchirure plutôt que de couper”.
En dépit des études qui prouvent son inefficacité, voire sa nocivité, l’épisiotomie continue à être largement pratiquée. Pourquoi voyons-nous de telles pratiques perdurer quand l’intérêt de la médecine est de se baser sur les preuves ?
La réponse réside dans l’examen des croyances culturelles et du statut qui entoure la médecine. Pour comprendre l’usage très répandu de l’épisiotomie aujourd’hui, la procédure doit être vue comme faisant partie de l’approche médico-chirurgicale de la naissance. Les taux inacceptables d’épisiotomie reflètent en partie le modèle biomédical de la santé qui domine la médecine.
Selon Djénéba Sissoko, infirmière dans un hôpital public à Paris, “ce modèle est caractérisé par le fait que le corps est vu comme une machine qui peut se casser et être séparée en pièces détachées. Dans ce système médical, l’esprit est distinct du corps, les médecins se sentant responsables prioritairement de la santé physique et non de la santé psychologique de leur patient. Un haut statut est donné à la technologie et à la chirurgie, au détriment d’interventions moins techniques”.
Elle poursuit : “La responsabilité individuelle en matière de santé abdique face à la connaissance qui fait autorité et que possède la profession médicale. De ce fait, les ramifications psychosociales de l’épisiotomie ne sont pas reconnues et la chirurgie, plutôt que le non-interventionniste technique, comme une compresse chaude, est considérée comme nécessaire pour améliorer un acte physiologique. C’est dans un tel contexte culturel que les décisions médicales ne sont pas contestées. Ici en France, l’accouchement normal est privilégié. L’épisiotomie et la césarienne ne viennent qu’en dernier recours. Cela après plus de 24 h. Pour d’autres le délai peut excéder les 48 h”.
Les pays en développement, comme d’autres régions du monde, font face au défi de faire le meilleur usage possible des ressources limitées, afin d’améliorer la santé des femmes et des enfants. Les interventions obstétricales devraient être basées sur des preuves, et des interventions qui sont efficaces uniquement pour les groupes à haut risque ne devraient pas être utilisées en routine.
Hawa Sy
Source: L’Indicateur du Renouveau