Le 13 mai dernier, le Colonel Doumbouya a décrété l’interdiction «jusqu’aux périodes de campagne électorale» de toute manifestation sur la voie publique «de nature à compromettre la quiétude sociale et l’exécution correcte des activités». En clair, cette interdiction restera en vigueur jusqu’à l’ouverture de la campagne électorale de l’élection devant consacrer le retour de la Guinée dans le concert des nations démocratiques.
Fin de non recevoir opposée par le Front national pour la défense de la constitution (FNDC), le collectif à l’avant-garde des manifestations contre le troisième mandat d’Alpha Condé. Dans un communiqué dénonçant ce qu’il appelle la dictature de la junte, le FNDC exprime son refus catégorique de se soumettre à cette ‘’interdiction illégale et inopportune’’.
Quelques semaines auparavant, le 1er avril 2022, Lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba avait été le premier à annoncer dans une adresse à la nation une telle mesure à travers le Faso.
Juin 2022. Il se murmure que les colonels maliens s’apprêtent, à leur tour, à emboîter le pas à leurs homologues guinéens et burkinabés. Dans ce pays où il n’y a plus de secret, les rumeurs ne sont pas toujours sans fondement. Déjà, les autorités administratives, notamment celles du District de Bamako, émettent systématiquement un avis défavorable à plusieurs demandes de manifestations.
C’est par la mobilisation de la rue que l’ex-Cnsp et alliés aux affaires depuis le 24 mai 2021 ont montré à la communauté internationale que leur pouvoir de fait dispose d’un ressort populaire non négligeable. Des premières autorités désignées pour la Transition à la phase dite de rectification, bien des alliances ont été faites et défaites. Des opposants d’hier sont devenus des alliés d’aujourd’hui et des alliés d’hier sont des opposants. Ce serait un miracle si, au terme des tractations en cours pour la levée des sanctions de la Cedeao, des soutiens actuels n’hésiteront pas à porter le costume d’opposants.
Au Mali, en Guinée ou au pays des hommes intègres, les coups d’Etat ont été précédés par un pourrissement du climat sociopolitique suite à des manifestations plus ou moins violentes. Les putschistes du Faso venus à la faveur des manifestations populaires ont peur de la rue, comme en témoignent ces interdictions des marches ou autres rencontres de masse. Ils ont raison d’avoir peur. Sauf que ces mesures musclées ne sauraient les sauver de la colère populaire si les frustrations devaient s’accumuler davantage. La situation sécuritaire ne s’améliore guerre au Burkina Faso comme illustre l’attaque meurtrière contre les populations civiles du village de Seytenga avec plus de 70 morts. En Guinée, la tension politique et sociale est palpable. Une manifestation spontanée contre l’augmentation du prix des carburants a fait le mai dernier un mort. Le FNDC prévoit de manifester malgré l’interdiction de la junte militaire.
Les causes qui ont favorisé l’avènement des militaires au pouvoir pourraient de nouveau pousser dans la rue des populations éprouvées par la montée des prix des hydrocarbures et des produits de première nécessité. Car non contenues à des niveaux supportables, ces flambées de prix et pénuries pourraient susciter de vives tensions sociales. Et rien ne peut arrêter un peuple affamé. Les vents violents secouent même les grands pays à plus forte raison des pays très fragiles.
Le mieux à faire pour les actuels décideurs au Mali, en Guinée et au Burkina Faso est de jeter rapidement les bases d’un retour à la légalité constitutionnelle. Et non de bander les muscles car Dieu seul sait à quoi cela pourrait aboutir. «Celui règne par l’épée périt par l’épée», dit un adage bien connu.
Par Chiaka Doumbia
Source: Le Challenger