Dernière volonté ou contrainte du moment, le général de police Niamé Keïta repose désormais dans un coin de la cour de sa résidence à Kalabambougou. Son enterrement demeurera une amertume indicible pour beaucoup.
La rancune fait-elle bon ménage avec la fonction de président de la République, chef de l’État ? Cette question, c’est un officier de l’armée qui l’a posée, les larmes aux yeux, à ses voisins immédiats le vendredi 17 avril 2020, lors de l’enterrement de son frère, Contrôleur général de police, Niamé Keïta. Sa colère, au regard des réactions outrées murmurées par beaucoup, a été d’évidence partagée. Célèbre officier, émérite selon tous, qui a blanchi sous le harnais durant quarante ans au moins, Niamé Keïta est incontestablement le plus médaillé à ce jour de la police nationale. Pourtant, sans la présence des siens et de ses collègues de différentes générations, son enterrement aurait été celui d’un personnage anonyme, sans titre ni gloire.
En effet, pour la première fois dans l’histoire de la République du Mali, un officier supérieur dont les états de services sont bien marqués du sceau de la gloire est enterré sans cérémonial officiel digne de son rang. Une entorse horripilante à la conduite de l’État vis-à-vis de ses fils méritants, une ingratitude révoltante. Commentaire énervé d’un autre officier de la police : « IBK a saboté les obsèques de Niamé Keïta, il l’a privé des honneurs auxquels il a droit; il n’est même pas venu. Bon, il était absent, mais Dieu était présent. Que le Seigneur rende à IBK la pièce de sa monnaie! ».
Tout le public attristé savait que c’est parce que l’actuel président de la République voue au défunt une rancune tenace qualifiée d’indigne de la part de celui qui assume les plus hautes fonctions du pays. Qu’est-ce qui peut pousser un homme à ce niveau de haine? Toute l’affaire est bassement politique. Élu à Nara sous les couleurs du Rpm, parti d’Ibrahim Boubacar Keïta, le contrôleur général de police Niamé Keïta est sollicité pour briguer, conformément à ses compétences et qualités, le poste de président de la commission défense de l’Assemblée nationale. C’est, curieusement, à un jeunot sans aucune expérience du monde militaire et sécuritaire, fils du président IBK, qu’est dévolu le poste hautement stratégique. L’inimitié naît déjà dans le coeur d’Ibrahim Boubacar Keïta. Puis, plus tard, pour plusieurs raisons politiques sur lesquelles il est difficile que Niamé Keïta, homme de franc-parler, se taise, celui-ci est amené à quitter le Rpm pour adhérer à l’Urd, parti de l’ennemi mortel d’IBK, Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition. L’inimitié se transforme en rancune tenace, puis en haine. Mais la question est de savoir si un homme, fût-il un demi-dieu parachuté sur Koulouba, peut dénier à un citoyen les honneurs que la république lui donne.
Bogodana Isidore Théra
LE COMBAT