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« Entente » sur la partition du Mali

L’Entente du 19 juin 2016 s’apparente fort à un « deal » entre le Gouvernement malien et les responsables de la CMA et de la Plateforme sur l’installation des autorités intérimaires dans cinq régions : Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudénit et Ménaka.

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Plus que l’Accord de paix du 15 mai 2015 dont il est censé émaner, ce mini-accord venu d’Alger sous la dénomination d’ «Entente sur la mise en place des autorités intérimaires » consacre, encore plus et plus que l’Accord global, la partition du Mali.

Si le « marché » est exécuté à la lettre, il risque de y’ avoir un Mali Sud qui regroupera les régions de Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou et Mopti plus le District de Bamako et l’Azawad formée par les cinq régions du nord qui auront arraché leur autonomie.

Non seulement l’Entente est en contradiction notoire en plusieurs endroits avec la loi et le décret de l’Accord de paix (lire l’analyse d’un expert en pages 4 et 5), mais aussi elle prévoit des dispositions qui ne laissent aucun doute sur la volonté politique de diviser le Mali en deux (cf. notre encadré en page 5).

 

AUTORITES INTERIMAIRES

Analyse comparative de la loi/décret et de l’Entente

La Loi n°2016-013 du 10 mai 2016 portant modification du Code des Collectivités Territoriales avait institué à la place des Délégations Spéciales, des Autorités intérimaires en vue de gérer provisoirement -le temps de l’organisation de nouvelles élections-les collectivités territoriales en cas de dissolution de leurs conseils, de démission de tous leurs membres, d’annulation définitive de l’élection de tous leurs membres, d’impossibilité de les constituer ou en cas de non fonctionnalité. Cette loi avait été complétée par le Décret n°2016-0332/P-RM du 18 mai 2016 fixant les modalités de mise en place des autorités intérimaires dans les collectivités territoriales.

Contre toute attente cependant, le 19 juin 2016, une « Entente sur la mise en place des autorités intérimaires » signée entre le Gouvernement, la Plateforme et la CMA, est substituée à la Loi n°2016-013 du 10 mai 2016 et au Décret n°2016-0332/P-RM du 18 mai 2016.

Nous présentons ici une analyse comparative de la Loi/Décret et de l’Entente quant aux réponses qu’ils apportent chacun aux aspects suivants :

– Les raisons pouvant motiver la mise en place d’une autorité intérimaire ;

– La constatation de l’impossibilité de constitution d’un conseil ou de sa non fonctionnalité ;

– La désignation des membres des autorités intérimaires ;

– Les compétences des autorités intérimaires ;

– La durée des pouvoirs des autorités intérimaires ;

– Les implications des autorités intérimaires pour les circonscriptions administratives et les Représentants de l’Etat.

RAISONS POUVANT MOTIVER LA MISE EN PLACE D’UNE AUTORITE INTERIMAIRE

  1. La Loi (articles 11(Nouveau), 86(Nouveau), 152(Nouveau) :

Les autorités intérimaires sont mises en place partout sur le territoire national lorsque l’une des conditions suivantes sont réunies :

  • Dissolution du Conseil ;
  • Démission de tous ses membres ;
  • Annulation devenue définitive de l’élection de tous ses membres ;
  • Impossibilité de constitution du Conseil (expiration du mandat et impossibilité d’organisation de nouvelles élections) ;
  • Non fonctionnalité du conseil (absence de services offerts aux usagers et non tenue de deux sessions régulières minimum).
  1. L’Entente(Préambule) :

Les autorités intérimaires sont mises en place dans les collectivités territoriales des cinq (5) régions du Nord (Gao, Tombouctou, Kidal, Taoudénit et Menaka).

Cette mise en place se fait :

  • D’office dans tous les Conseils régionaux et les Conseils de cercle du Nord sans conditionnalité aucune ;
  • Dans toutes les communes du Nord « par souci d’uniformisation du statut » y compris les communes fonctionnelles qui sont automatiquement érigée en autorités intérimaires dans l’intégralité de leur composition sans aucun changement et les communes non fonctionnelles où sont désignés les membres devant constituer les autorités intérimaires.

CONCLUSION : Selon la loi, la mise en place des autorités intérimaires est soumise à certaines conditions qui doivent être préalablement remplies alors que l’Entente institue d’office les autorités intérimaires. Par ailleurs selon la loi, les autorités intérimaires peuvent être instituées partout sur le territoire national alors que l’Entente ne prévoit les autorités intérimaires que pour les cinq régions du Nord (Gao, Tombouctou, Kidal, Taoudénit et Menaka).

LA CONSTATATION DE L’IMPOSSIBILITE DE CONSTITUTION D’UN CONSEIL OU DE SA NON FONCTIONNALITE

  1. La Loi (articles 11(Nouveau), 86(Nouveau) et 152(Nouveau) et le Décret (articles 2, 3, 4 pour la Commune ; articles 6, 7 et 8 pour le Conseil de cercle et articles 10, 11 et 12 pour le Conseil régional et de District) :

La procédure est la suivante :

  • En ce qui concerne le Conseil communal et le Conseil de cercle : instruction du dossier par le Gouverneur de région (de sa propre initiative ou à la demande du ministre chargé des Collectivités Territoriales) qui dresse un rapport au ministre chargé des Collectivités Territoriales
  • En ce qui concerne le Conseil régional : instruction du dossier par le ministre en charge des Collectivités Territoriales qui dresse un rapport au Conseil des ministres.
  1. L’Entente (alinéa 4 du Point 2.5.) :

L’Entente ne prévoit aucune formalité particulière en la matière en ce qui concerne les Conseils de cercle et les Conseil régionaux. Un seul cas est prévu qui ne concerne que l’hypothèse de non fonctionnalité du Conseil communal où la constatation est faite par le Gouvernement, la Plateforme et la CMA.

CONCLUSION : Aux termes de la loi et du décret, la procédure d’instruction de la constatation de l’impossibilité de constitution ou de la non fonctionnalité d’un conseil est fonction de son statut communal, de cercle ou régional. Cette procédure implique le Gouverneur en ce qui concerne le Conseil communal et le Conseil de cercle et le ministre chargé des Collectivités Territoriales s’agissant du Conseil régional. Quant à l’Entente, elle ne prévoit aucune formalité de constatation d’impossibilité de constitution ou de non fonctionnalité ni pour le Conseil de cercle ni pour le Conseil régional. En revanche en ce qui concerne le Conseil communal, elle ne retient que la seule hypothèse de la non fonctionnalité dont le constat relève du Gouvernement, de la Plateforme et de la CMA.

LA DESIGNATION DES MEMBRES DES AUTORITES INTERIMAIRES

  1. La Loi (article 12(Nouveau), article 87(Nouveau), article 153(Nouveau) et le Décret (articles 5, 9 et 13) :

Les membres des autorités intérimaires sont désignés parmi les personnes résident dans la collectivité territoriale concernée et provenant des services déconcentrés, de la société civile et du secteur privé ainsi que des conseillers sortants, à l’exception de ceux d’un Conseil dissout ou démissionnaire :

– Par Arrêté du ministre en charge des Collectivités Territoriales pour ce qui concerne les Communes et les Conseils de cercle ;

– Par Décret pris en Conseil des ministres pour ce qui concerne les Conseils régionaux.

  1. L’Entente (alinéa 2 du Point 2.3., alinéa 2 du Point 2.4., alinéa 4 du Point 2.5.) :

Désignation consensuelle des membres par le Gouvernement, la Plateforme et la CMA parmi les agents des services déconcentrés de l’Etat, la société civile et les conseillers sortants.

CONCLUSION : Contrairement à la loi et au décret aux termes desquels les membres des autorités intérimaires des Communes et des Conseils de cercle sont désignés par le ministre en charge des Collectivités Territoriales et ceux des Conseils régionaux par décret pris en Conseil des ministres, l’Entente prévoit au contraire un mode de désignation consensuelle des membres par le Gouvernement, la Plateforme et la CMA. Par ailleurs si l’Entente, la loi et le décret prévoient de les choisir parmi les agents des services déconcentrés de l’Etat, la société civile et les conseillers sortants, il existe une spécificité en ce qui concerne l’Entente qui, contrairement à la loi et décret, n’exclut pas de manière expresse les conseillers sortants des conseils dissout ou démissionnaires.

LES COMPETENCES DES AUTORITES INTERIMAIRES

  1. La Loi (alinéa 2 de l’article 11(Nouveau), alinéa 2 de l’article 86(Nouveau), alinéa 2 de l’article 152(Nouveau)) :

Les autorités intérimaires exercent les fonctions normales des collectivités territoriales qu’elles remplacent. Toutefois, elles ne peuvent ni emprunter, ni aliéner un bien de la collectivité, ni créer un service, ou recruter du personnel.

  1. L’Entente (Point 3.1., Point 3.2., Point 5.4.) :
  2. Attribution au Président de chaque autorité intérimaire de la qualité de chef de l’exécutif local avec comme conséquences d’avoir sous son autorité les services techniques déconcentrés de l’Etat chargés des domaines suivants :
  • Enseignement préscolaire, primaire, secondaire, technique et professionnel ;
  • Centre de santé communautaire, centres de santé de référence et hôpitaux ;
  • Hydraulique rurale et urbaine ;
  • Industrie et commerce, artisanat, transport, tourisme ;
  • Environnement ;
  • Agriculture ;
  • Développement social ;
  • Protection et promotion de la femme, de l’enfant et de la famille ;
  • Elevage et pêche.

 

  1. Enumération des services placés sous l’autorité du Gouverneur :

 

Ces services sont les suivants :

  • Les chefs des circonscriptions administratives Cercles et Arrondissements ;
  • Les Forces armées et de sécurité ;
  • Les services du Trésor, du Budget, des Impôts, des Douanes, du Contrôle financier et des Marchés publics et des délégations de service public.
  1. Attribution des compétences suivantes aux autorités intérimaires :

 

  • Assurer la remise en marche et le fonctionnement des services sociaux de base ;
  • Programmer et coordonner la mise en œuvre des actions de développement et de relance économique, sociale, et culturelle ;
  • Participer à la révision des listes électorales ;
  • Participer à la consultation et à l’organisation de concertations des populations en vue du redécoupage territorial dans les cinq régions du nord ;
  • Participer à la préparation et à l’organisation des opérations électorales et référendaires;
  • Faciliter et préparer le retour, la réinstallation, la réinsertion des réfugiés, des déplacés et la réhabilitation des personnes sinistrées ;
  • Appuyer la mise en œuvre du Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC) ;
  • Assurer le suivi et la gestion des affaires foncières.

 

CONCLUSION : Alors que dans la loi, les compétences des autorités intérimaires ne vont pas au-delà et sont même ne deçà de celles qu’exercent habituellement les organes statutaires élus, l’Entente attribue toute une gamme de compétences nouvelles de portée significative aux autorités intérimaires.

 

LA DUREE DES POUVOIRS DES AUTORITES INTERIMAIRES

 

  1. La Loi (article 11(Nouveau) alinéa 1er, article 14(Nouveau) alinéa 2, article 86(Nouveau) alinéa 1er, article 89(Nouveau) alinéa 1er, 152(Nouveau) alinéa 1er, article 155(Nouveau) alinéa 2 :

La durée de base est de 6 mois pouvant être prorogés jusqu’à 12 mois au maximum. Ce qui fait une durée totale pouvant aller à 18 mois.

 

  1. L’Entente (renvoi à l’Annexe 1 de l’Accord d’Alger) :

Durée incertaine : l’Entente renvoie indirectement à l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger qui fixe à son Annexe 1 une période intérimaire allant de 18 à 24 mois à compter de sa signature. Or, aucun des chronogrammes annoncés dans cet Accord n’a jusque-là été respecté.

CONCLUSION : Contrairement à la loi qui fixe une durée maximum de 18 mois aux autorités intérimaires, nul ne saurait se prononcer de manière certaine sur la durée des pouvoirs des autorités intérimaires institués au Nord dans le cadre de l’Entente. Ces autorités donnent tout l’air de s’installer assez durablement pour ne pas dire indéfiniment dans le paysage institutionnel du Mali.

 

LES IMPLICATIONS DES AUTORITES INTERIMAIRES POUR LES CIRCONSCRIPTIONS ADMINISTRATIVES ET LES REPRESENTANTS DE L’ETAT

 

  1. La Loi et le Décret :

Néant

 

  1. L’Entente (Points 5.2. et 5.3., Point 4. Point 7. et Point 10.):
  2. Substitution de la tutelle à posteriori à la tutelle à priori

Selon l’Entente, les délibérations des Autorités intérimaires sont exécutoires dès leur publication et leur transmission au Représentant de l’Etat qui n’exerce que le contrôle de légalité à posteriori des actes administratifs des collectivités territoriales.

  1. Modifications opérées dans l’organisation des services des Représentants de l’Etat avec la création de postes de Conseillers spéciaux

Ces modifications concernent la création de postes de Conseillers spéciaux auprès des Gouverneurs, Préfets et Sous-Préfet. Ces postes de Conseillers spéciaux nommés par le Gouverneur sont réservés à la CMA et à la Plateforme à raison de deux (2) auprès du Gouverneur et d’un (1) auprès du Préfet et du Sous-Préfet. Il faut souligner que cette formulation pour le moins ambigüe n’est pas explicite s’il s’agit pour la CMA et la Plateforme de désigner chacun un représentant auprès du Gouverneur (donc deux au total) et de proposer tous les deux un seul représentant auprès du Préfet et du Sous-Préfet en se répartissant dans ce cas les cercles et les Arrondissement en fonction de l’influence qu’ils y exercent.

L’Entente précise que les Conseillers spéciaux ont pour missions de participer notamment à :

  • La gestion des questions de sécurité, de Démobilisation, de Désarmement et de Réinsertion (DDR) en rapport avec la Commission Nationale (CN-DDR) ;
  • L’accompagnement des missions de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) ;
  • La préparation et l’organisation des élections ;
  • La gestion de toute question relative à la mise en œuvre de l’Accord.
  1. Reconnaissance au Président de l’autorité intérimaire d’une responsabilité conjointe avec le Représentant de l’Etat en matière de mesures de police

En cas de menace à l’ordre public, le Représentant de l’Etat et le Président de l’autorité intérimaire prennent de manière conjointe les mesures de police nécessaires au rétablissement de l’ordre public.

  1. d. Création de Collèges transitoires dans les nouvelles circonscriptions administratives

L’Entente prévoit des Collèges transitoires dans les circonscriptions administratives nouvellement créées au Nord en attendant la loi de création des collectivités territoriales à l’intérieur de ces circonscriptions administratives.

La composition de ces Collèges transitoires est de quinze (15) conseillers au niveau de la région, onze (11) conseillers au niveau du cercle et sept (7) conseillers au niveau de l’Arrondissement.

Ces conseillers sont désignés de manière consensuelle par le Gouvernement, la Plateforme et la CMA parmi la société civile.

 

CONCLUSION : Si la loi et le décret ont enfermé l’institution des autorités intérimaires dans l’esprit et la lettre des anciennes Délégations Spéciales, il n’en pas de même en ce qui concerne l’Entente pour qui l’autorité intérimaire semble n’avoir été que le prétexte pour tripatouiller, avant même toute intervention du législateur compétent, les textes sur l’organisation administrative du territoire, les compétences des Représentants de l’Etat y compris les conditions et modalités d’exercice de la tutelle. Cette volonté de tripatouillage explique pourquoi l’Entente va jusqu’à prévoir la mise en place de Collèges transitoires dans les circonscriptions administratives nouvellement créées devant « exercer à titre provisoire les attributions des futures autorités intérimaires ».

 En définitive, l’Entente annonce clairement, de manière anticipée, prématurée et dans l’inconstitutionnalité absolue, la charpente institutionnelle du statut autonome des cinq régions du Nord constituées de Gao, Kidal, Tombouctou, Menaka et Taoudénit : l’Azawad.

Dr Brahima FOMBA

Chargé de Cours Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako(USJP)

 

Source : L’ Aube

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