Abdoulaye Idrissa Maïga est le directeur général adjoint de la Compagnie malienne de navigation (COMANAV), chargé de la maintenance. Cet ingénieur du génie et des mines de 60 ans travaille pour la compagnie fluviale depuis plus d’une trentaine d’années. Rencontré à bord du bateau « Firhoune » transportant la caravane « Azalaï Kayes-Kidal », il recense les facteurs d’ensablement du fleuve et leurs conséquences sur la navigation dans notre pays.
L’Essor : Le fleuve Niger, semble-t-il, se meurt progressivement. Qu’en est-il véritablement ?
Abdoulaye I. Maïga. Le fleuve Niger connaît un ensablement inquiétant. Les années repères en la matière sont les décennies de grande sècheresse : 1970 et 1984. En 1973, le fleuve ne produisait presque pas le débit nécessaire à son écoulement. La période de navigation s’en est ressentie. Lors de la grande sécheresse de 1984, le fleuve était même coupé à certains période et endroits entre Koulikoro et Niamina. L’écoulement du fleuve ralentissait de manière drastique, pour la première fois. L’ensablement, à partir de cet instant, est perceptible en temps de grand étiage.
Les causes de ce phénomène d’ensablement sont multiples. La responsabilité première revient aux hommes eux-mêmes. Ils ont déboisé à outrance la couche végétale qui protège le fleuve à partir des berges. Pratiqué jadis à l’intérieur des terres, le jardinage se rapproche du fleuve, détruit les berges et fortifie le charriage des eaux de pluies vers le fleuve. Celles-ci entrainent le sable des collines vers le fleuve.
Les rapports d’études – allemands ou maliens – dénombrent depuis 1984 deux phénomènes d’ensablement. Il est éolien au Nord. Le vent transporte les grains de sable du désert vers le fleuve. Rencontrant certains obstacles ou l’humidité du fleuve, ce sable se dépose de Tombouctou jusqu’à Gao, principalement. Les zones Sud et le Delta sont, eux, victimes du charriage. Ces ruissèlements de terres appauvrissent la végétation. Cette dégradation se constate depuis le Niger supérieur en Guinée (Kankan) jusqu’à Mopti.
L’ensablement s’accentue à cause de la diminution du débit des pluies, de saison en saison. Alimenté par l’eau de pluie depuis le Niger supérieur, le fleuve ne bénéficie plus des précipitations qu’il recevait dans les années 1950 et 60. Le fleuve s’élargît, sa profondeur diminue. La conjugaison de ces phénomènes est une autre cause des difficultés actuelles.
La destruction des berges a engendré les éboulements de terre que l’on constate entre Koulikoro et Niamina, surtout sur la rive gauche. Nous observons aussi les berges s’écrouler en entrant dans les courbes concaves, sur la rive droite. Par exemple, il y a quelques années, la maison du sous-préfet de Niamina était distante du fleuve d’environ 200 m. Le fleuve est, aujourd’hui, à une dizaine de mètres de cet édifice.
Ces actions néfastes agressent le fleuve dans sa profondeur. A combien peut-on estimer la profondeur du fleuve en période de crue et de décrue ?
Il existe une échelle de relevée centenaire (1917). La Compagnie malienne de navigation se réfère à Koulikoro et Mopti pour la détermination de l’échelle de relevée. Nous nous intéressons aussi aux échelles de l’Hydraulique qui mesurent le niveau d’eau du barrage en provenance du Sankarani, comme ceux arrosant le Niger à Bankoumana.
Les bateaux commencent à naviguer à partir de 2,5 m à Koulikoro et Mopti. Ils s’arrêtent à cette profondeur aux mêmes endroits en période de décrue. La crue est observée début août généralement. La tendance est à 2,5 m vers la mi-novembre. Cette échelle donne une courbe de tarage entre Koulikoro et Mopti qui vous dit : attention, vous pouvez naviguer difficilement. Car si vous avez une telle échelle, vous aurez moins d’eau à tel endroit. Nous sommes alors obligés de nous arrêter.
C’est pourquoi nous calculons la période de navigation sur quatre à cinq mois d’août à la mi-novembre. Soit trois mois et demi de navigabilité. Toutefois, l’onde d’eau se déplace vers le Nord. Le tronçon Mopti-Gao est navigable jusqu’en fin décembre et début janvier. Ces échelles standards sont à reformer tous les dix ans. Elles peuvent ainsi être confirmées ou remodelées.
Comment comprendre le lien entre l’assemblement et la réduction de la profondeur ?
L’assemblement est tel l’exemple du verre d’eau dans lequel est mis du sable. Tu as moins d’eau, tu as moins de profondeur. Le verre étant plein si tu le remplis de sable à moitié, ça veut aussi dire que tu as moins de profondeur. Autant la quantité nominale utile à la navigation est en baisse, autant la profondeur est faible à cause du comblement du chenal navigable.
Il y a-t-il eu des actions de dragage par le passé pour débarrasser le fleuve du sable qui l’encombre ?
Dans le cadre du contrat plan État-Comanav, la compagnie drague des tronçons ciblés. La société a creusé sur 500 m, en 2010, l’entrée du lac Débo. Cette action a été bénéfique à la Comanav et aux propriétaires de pinasses. En 2007, nous avons aussi surcreusé sur 1,5 km l’entrée de Daï, de Niafunké, le canal d’entrée à Gao du nom de Kondon. Ces travaux ont facilité la navigation sur ces trajets. Nous avons tenté un désensablement en période sèche à Kolimana. Ces actes étaient ponctuels et ne suffisent pas. Quand on te demande, par exemple, d’enlever 55 000 m3 de sable, alors que tu as un volume de plus 600 000 m3 … Ces travaux nous ont néanmoins permis de dévier l’ensablement par le courant d’eau, en creusant vers la rive gauche. Cela permet d’orienter le sens de l’écoulement du dépôt de sable. Le sable s’oriente vers la gauche au lieu d’aller vers la droite.
Qu’est-ce qui pourrait, dans ce cas, faciliter la navigation ?
Nous insistons beaucoup sur le balisage pour la navigation. Avec comme partenaire la direction nationale de l’hydraulique qui longe les fonds pour l’aménagement du fleuve Niger dans le cadre le dudit contrat plan. Ce balisage doit être régulier. Le fleuve fait 1 308 km. Quand tu as mille balises, c’est nécessaire. Mais nous n’avons jamais dépassé les cent balises. L’écart est énorme.
Le balisage consiste au repérage par des moyens physiques du chenal navigation pour éviter les seuils qui retardent les bateaux. Ces seuils sont de deux sortes : rocheux et sablonneux. Les seuils rocheux peuvent percer les bateaux. Tandis que les seuils sablonneux peuvent stopper les bateaux dans leur progression.
Des solutions pour endiguer le fléau ?
L’Agence du bassin du fleuve Niger est chargée de la protection du fleuve Niger, au-delà de la direction nationale de l’hydraulique qui est un service technique. Cette agence a un grand projet de réhabilitation économique et sociale du fleuve Niger pour les cinq années à venir. Les études doivent commencer ce mois-ci afin de voir ce qu’il faut faire dans le Delta intérieur (de Koulikoro à Kémacina). Car l’impact socio-économique de ce programme doit être perçu au niveau des populations riveraines. La Banque mondiale qui parraine ce projet est très regardante sur cet aspect.
Il consiste à la protection des berges et la création des périmètres d’exploitation au profit des riverains. L’irrigation à Tamani (Ségou) par exemple. Il faut intéresser les populations à vivre des berges en les protégeant. Le vétiver (Ngo ngo dili) protège la berge. Ses graines peuvent servir de sources de revenu dans la fabrication de parfum comme d’autres plantes fourragères cultivables sur les berges.
Propos recueillis par
C. M. TRAORÉ
source : Essor