Nommé il y a un an procureur de la République près le tribunal de grande instance de Kidal, Cheick Moussa Diakité réside à Bamako.
Pour une raison simple : il n’y a pas physiquement de tribunal malien dans la capitale des Ifoghas, où font la loi les rebelles de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA). Le magistrat tente tant bien que mal de redonner vie à la justice de Kidal à partir de… Gao. Et encore à Gao, il n’a ni locaux ni personnel, les rebelles se tenant là aussi à l’affût et les populations ayant la plus grande peur de s’adresser à la justice.
Jeudi 23 février 2017, vers 11 h, le procureur se trouve dans une circulation embouteillée sur l’artère bitumée qui longe les Halles, en commune 6 de Bamako. Il conduit un véhicule 4X4 de service que lui a affecté le département de tutelle. Soudain, deux hommes à moto frappent à sa vitre. Ils portent le turban et ne sont pas reconnaissables. La vitre descendue, les inconnus lui demandent si c’est bien lui le procureur de Kidal. Il répond que oui. Ils lui lancent alors cet avertissement: « Monsieur le procureur, nous vous interpellons au sujet des récentes plaintes déposées contre le GATIA auprès de vous; ne vous en mêlez pas, sinon vous ne serez pas de ce monde pour assister à la suite ! ». Après avoir proféré ces menaces, les deux hommes disparaissent.
Le procureur est sonné; il prend cependant la précaution d’informer le ministère de la Justice ainsi que les deux syndicats de la magistrature (le SAM et le SYLIMA). Selon nos informations, les plaintes auxquelles font allusion les deux individus ont trait à de présumées exactions reprochées au GATIA, cette milice d’autodéfense touarègue proche de l’Etat malien. Il y aurait environ 100 plaintes déposées chez le procureur en deux vagues successives. Elles émanent de citoyens de Kidal qui se disent victimes d’attaques du GATIA. Depuis qu’il a reçu ces dossiers, le magistrat n’a posé aucun acte de poursuite, n’ayant pas la possibilité matérielle de le faire en raison du contexte de guerre qui règne au septentrion. Or, les auteurs des plaintes bénéficient de soutiens très puissants. En effet, à plusieurs reprises, le procureur a été interpellé par de hauts émissaires européens qui disent déplorer les « lenteurs » dans le traitement des plaintes. Conclusion: des puissances internationales tiennent à ce que les animateurs du GATIA soient jugés et pourraient même avoir encouragé le dépôt des plaintes. L’objectif nous paraît clair: le Mali étant éliminé militairement du nord ou, en tout cas, de Kidal, les rebelles et leurs soutiens internationaux veulent faire éliminer par les propres juges du Mali le GATIA, réputé agir pour le compte de l’armée malienne.
Abdoulaye Koné
Source: proces-verbal