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Enquête : la mort des grandes entreprises maliennes

Avec quelque 80 unités industrielles en activité, le Mali fait piètre figure face ses voisins sénégalais (4000 unités) et ivoirien (6000 unités). Pis: de JEMENI à HUICOMA, en passant par FITINA et SAMPANA SA, la plupart des grandes entreprises maliennes battent de l’aile ou sont déjà mortes de leur belle mort. Leur principal tueur en série ? L’Etat!

siege Jemeni societe credit

Le bal des morts commence avec l’Union des Caisses d’épargne et de Crédit « Jemeni », structure de microfinance qui comptait, au temps de sa splendeur, 50.000 clients issus généralement de milieux défavorisés – marchands ambulants, vendeuses, ouvriers, etc.

 

 

La descente aux enfers de « Jemeni »

Ces clients ont déposé des sommes qui, à partir de 2010, n’ont pu être remboursées, faute de trésorerie suffisante. Du coup, les structures statutaires de l’entreprises (conseil d’administration et direction générale) sont dissoutes par le ministre des Finances et remplacées par un administrateur provisoire chargé de redresser la boîte. Assiégé journellement par des clients mécontents, le premier administrateur rest relevé. Le second n’a pas plus de résultats, l’Etat, qui l’a désigné, ne lui ayant versé qu’un milliard et demi de FCFA pour rembourser des dettes de…9,5 milliards. Ses rares biens faisant l’objet de saisies anarchiques de la part de débiteurs furieux, qui ont vendu aux enchères même les tables de travail, « Jemeni » obtient, en août 2012, du tribunal de commerce de Bamako une ordonnance de suspension des poursuites individuelles dans le cadre d’un règlement préventif.

 

En vertu de l’ordonnance, les créanciers sont tenus d’interrompre leurs actions judiciaires individuelles en attendant qu’un expert désigné par le tribunal évalue les possibilités de redressement de l’entreprise. Le rapport de l’expert conclut à une évidence : sans liquidités nouvelles, « Jemeni » ne peut survivre car elle détient des actifs de 5 milliards de FCFA contre des dettes de 9,5 milliards. L’Etat, pour sa part, refuse d’investir le moindre franc pour sauver l’entreprise. Pis, il décourage deux sérieux candidats à la reprise.Le premier, entreprise sénégalaise dénommée CCMAO (Confédération des caisses mutuelles d’Afrique de l’Ouest), s’engage à reprendre « Jemeni » et à rembourser les créanciers à condition que l’Etat malien émette à son profit une « lettre de reconfort », sorte de promesse d’accompagnement administratif et politique des investissements qu’elle projette. L’Etat refuse. Quant à l’entreprise américaine « 3B Holdings Corporation », elle propose à reprendre « Jemeni » et à apurer ses dettes à la condition que l’Etat malien permette à la nouvelle « Jemeni » d’effectuer des activités bancaires. L’Etat refuse encore une fois alors que les autorisations que les repreneurs lui demandent n’engagent pas ses finances !

 

 

L’extrême frilosité étatique condamne « Jemeni » à mort. Le tribunal de commerce décide, par jugement du 22 novembre 2013, la liquidation des biens de l’entreprise. Le liquidateur désigné, menacé par la foule des petits créanciers qui craignent de faire les frais de la liquidation, finit par démissionner le 11 août 2014.« Jemeni », devenue un fantôme, doit une bonne part de ses malheurs à l’Etat. En effet, ayant accepté, à la demande du gouvernement malien, de financer les écoles privées, elle avait, pour garantir ses prêts, passé une convention avec l’Etat et les écoles: les subventions publiques destinées aux écoles devait transiter par « Jemeni » afin que cette dernière y prélève son dû et reverse le reliquat aux écoles. En fraude des droits de « Jemeni », des trésoriers publics ont trouvé le moyen de verser, à Bamako et dans les régions, les subventions directement aux indélicates écoles, ce qui a précipité la faillite de « Jemeni », alors deuxième plus grand réseau de microfinance malien.

 

Les malheurs de Fitina SA

L’Unité industrielle de Fils et tissus naturels d’Afrique (Fitina SA) est l’unique entreprise qui transforme sur place le coton malien alors que les autres acteurs du secteur se contentent d’acheter le coton de la CMDT pour le revendre, sans valeur ajoutée. C’est dire l’importance de Fitina dans un pays qui passe pour le 1er producteur de coton de l’espace CEDEAO mais qui arrive à transformer à peine 1% de son coton. Fitina SA est lancée, en 2004, par des privés maliens (12,5% du capital), mauriciens (5%) et français (82,5%). L’investissement de départ égale 4,7 milliards de FCFA. Faute de graines de coton, sa matière première, Fitina ferme ses portes en 2006. Elle redémarre en mai 2011 après que les actionnaires ont remis la main à la poche à hauteur de 1,7 milliard de FCFA. Avec ses 274 employés et travaillant 24 h sur 24, elle produit annuellement 3.000 tonnes de produits finis exportés en Côte d’Ivoire, en Guinée, en Tunisie et au Maroc. En décembre 2013, le ministre de l’Industrie, Boubou Cissé, vient même saluer la reprise des activités et les performances de Fitina.

 

 

En 2014, patatras ! La matière première manque au rendez-vous.Sans elle, point de production ni, bien sûr, de profits. Jeudi 17 juillet 2014, à la faveur d’un entretien avec le PDG de la CMDT, Kalifa Sanogo, sousl’égide de l’Organisation Patronale des Industriels, Fitina apprend, avec consternation, que l’unique producteur de coton du Mali, la CMDT, ne peut plus vendre son or blanc aux prix anciens: ces prix étaient bas car subventionnés par l’Etat qui imposait des tarifs à la CMDT en raison des dettes de cette dernière envers lui. Le PDG a révélé que depuis le 31 décembre 2013, la CMDT ne devait plus rien à l’Etat et vendait désormais son coton à des tarifs plus élevés qu’auparavant, d’autant qu’elle reste une société commerciale tenue à des résultats vis-à-vis de ses actionnaires. La seule facilité que la CMDT suggère, c’est qu’on lui donne accès au capital de Fitina! Laquelle éprouve des difficultés même pour débloquer les 16 millions de FCFA nécessaires à l’enlèvement de la quantité de coton que la CDMT a récemment mise à sa disposition. Fitina sollicite alors la mansuétude des autorités politiques. Dans un mémorandum adressé, le 7 juillet 2014, au Premier Ministre, elle souligne ses déboires financiers et les pistes de solutions. Pas de suite. Dans une pathétique lettre du 3 septembre 2014, Fitina rappelle à la même autorité que « depuis le 1er mai 2014, FITINA SA est totalement à l’arrêt ». Elle évoque le sort des 274 travailleurs en chômage technique et l’impossibilité juridique de les maintenir dans cette situation au-delà du 31 octobre 2014, date à laquelle ils devront être licenciés. Fitina, d’abord réticente à l’idée d’ouvrir son capital à la CMDT, prie le gouvernement de faciliter cette solution. A ce jour, l’Etat n’a pas réagi. Lenteur d’autant plus incompréhensible qu’il n’a pas à débourser un rotin dans l’opération et que la CMDT a les liquidités nécessaires pour prendre pied dans Fitina et la relancer ?

 

 

 

Batexi au ralenti

Bâtie, en 2006, sur les ruines la défunte « Industrie Textile du Mali », la Batexi bat de l’aile. Le promoteur, Bakary Cissé, parviendra-t-il à sauvegarder les 480 emplois ? A-t-il pu réaliser les investissements lourds promis ? Beaucoup de sources estiment que non. Elles soulignent que l’entreprise ne tourne qu’à l’aide d’antiques machines et qu’au lieu de mettre en valeur le coton malien, elle importe de l’étranger 80% du coton qu’elle utilise, ce qui met en péril le secteur cotonnier local. La vétusté des locaux témoigne, en tout cas, de la morosité ambiante. Batexi occupe pourtant plusieurs hectares au coeur de la zone industrielle de la commune 2 de Bamako. Rien ne dit que le contrat décennal de concession accordé qui la lie à l’Etat sera reconduit.

 

Huicoma dans le coma

 En ses beaux (et déjà fort lointains jours), l’« Huilerie Cotonnière du Mali » (Huicoma SA) constituait le fleuron industriel de la région de Koulikoro. Deux ans après son acquisition par le « Groupe Tomota », Huicoma voit fermer ses trois usines de Koutiala, de Koulikoro et de Kita. Ses 800 travailleurs sont mis au chômage technique. La cause ? La CMDT n’arrive plus à lui fournir assez de coton-graine, matière première sans laquelle Huicoma ne peut fonctionner, ses principaux produits (huile, savon et aliment-bétail) étant à base de coton. Dans un premier temps, l’entreprise, qui n’a reçu que 91.000 tonnes de graines alors qu’elle a besoin de 350.000 tonnes, impute le défaut de fourniture à la mauvaise saison 2006-2007 de la CMDT (410. 000 tonnes de coton-graine au lieu de 600.000 l’année précédente). Mais elle a l’immense surprise de voir atterrir sur sa table une réclamation d’arriérés de paiement de factures formulée par la CMDT. L’addition s’élève à 20 milliards de FCFA (rien de moins !). Huicoma conteste bruyamment la facture, arguant qu’elle n’a pas été portée à la connaissance du « Groupe Tomota » en 2005, quand celui-ci achetait, pour 9 milliards de FCFA, la majorité du capital de l’huilerie. Les parties se crêpent le chignon en justice, la CMDT réclamant ses milliards et Huicoma exigeant des dommages et intérêts pour violation du contrat de fourniture passé avec la CMDT. L’Etat ne fait, bien entendu, rien pour éviter la mort de Huicoma; il laisse même la CMDT vendre son coton à une centaine de petites unités cotonnières informelles au lieu de veiller au ravitaillement du géant industriel de Koulikoro. Bien que le « Groupe Tomota » ait investi 15 milliards de FCFA dans l’Office du Niger pour produire des matières premières alternatives (tournesol, arachides et un peu de coton), Huicoma ne se tire guère d’affaire. En août 2014, la Cour d’appel de Bamako, se fondant sur un rapport d’expertise produit par la CMDT, infirme les jugements rendus par le tribunal de commerce de Bamako et condamne Huicoma à payer 21 milliards de FCFA à la CMDT. A Huicoma, le verdict produit l’effet d’une bombe atomique. « La Cour n’aurait pas dû statuer car le rapport d’expert qui lui a servi de base fait l’objet d’une plainte pour faux. Or en droit, un principe veut que le criminel tienne le civil en l’état: le juge civil d’appel aurait dû surseoir à statuer sur les demandes civiles de la CMDT jusqu’à ce que la plainte pour faux soit jugée », explique une source.

 

 

Dossier réalisé par Tiékorobani

SOURCE: Procès Verbal
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