Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Enlèvements à Bamako : à quand de sérieuses enquêtes judiciaires pour rassurer les citoyens ?

Ces derniers temps, des citoyens disparaissent à Bamako et reviennent comme si de rien n’était. Et après, silence radio puisque les victimes ne disent plus rien et ne portent pas plainte ; la justice se garde d’ouvrir des enquêtes pour faire la lumière sans doute encouragée par l’indifférence des autorités. C’est pourquoi, il est temps d’agir parce que laisser cette pratique se perpétuer, c’est aussi sacrifier les maigres acquis de la démocratie et laisser le pays avancer sur une nouvelle pente glissante !

Si l’on ne prend garde le Mali n’aura bientôt rien à envier à la Colombie et au Mexique (des pays où au moins cinq personnes sont enlevées par jour pour les faire taire ou leur soutirer une rançon) où le kidnapping est devenu un moyen de pression et aussi une source de revenus pour les cartels de drogues et les réseaux de crimes organisés qui prolifèrent dans leur giron. En effet, le kidnapping est en train d’être banalisé dans notre pays, notamment dans la capitale où les gens disparaissent et réapparaissent comme par magie. Et cela sans qu’aucune autorité  publique ne condamne et sans que la justice ouvre une vraie enquête pour prouver la véracité des faits ou identifier et condamner les coupables.

L’un des derniers en date est celui de notre confrère et Directeur de publication de «Le Démocrate», Aliou Touré. Disparu sans laisser de traces le 6 avril dernier, il est réapparu quatre jours plus tard (dans la nuit 10 avril 2023). Et nous n’avons entendu aucune haute autorité faire une quelconque déclaration dans ce sens. Même pas le département chargé de la presse. Avait-il été réellement kidnappé (certains en doutent), détenu où, par qui et pourquoi ? Des questions pour le moment sans réponses et qui ne connaîtront peut-être jamais de réponses sans une sérieuse enquête judiciaire.

Il est vrai que cette brève, mais inquiétante disparition, semble avoir des motivations plutôt politiques puisque l’intéressé est un militant très engagé du CDR de Ras Bath (Mohamed Youssouf Bathily). Ce n’est donc pas le journaliste qui était forcément visé, mais certainement l’activiste.

Cette disparition a en tout cas semé l’émoi dans les rangs de la presse nationale malienne (vu les réactions sur les réseaux sociaux pendant les jours qui ont suivi cette disparition et la «libération» du jeune confrère) et les défenseurs des droits humains car les circonstances n’étaient pas sans rappeler celles de l’enlèvement de Birama Touré de «Le Sphinx» toujours introuvable.

En effet, 7 ans après, on est toujours sans aucune nouvelle de ce dernier qui a disparu le 29 janvier 2016. Et cette affaire est toujours pendante devant la justice malienne malgré le mandat d’arrêt international lancé le 5 juillet 2021 contre Karim Keïta, le fils de l’ancien et défunt président Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK, dont le nom est fréquemment évoqué dans la disparition forcée de Birama Touré.

 L’être humain jouit-il encore de sa sacralité ?

Avant Aliou, Mamady Dioula Dramé avait été enlevé en plein jour à Bamako et libéré dix jours plus tard en plein jour également. Et comme d’habitude aucune autorité n’avait levé le doigt pour dénoncer ce fait et aucune enquête n’a été visiblement ouverte pour faire la lumière sur cet enlèvement. Sans compter la multiplication des agressions par des hommes non identifiés dans l’indifférence générale.

Mais, curieusement, une unité spéciale des forces de sécurité est intervenue le 27 novembre 2022 pour libérer 10 otages maliens, dont trois femmes et six enfants, retenus en captivité depuis le 18 novembre courant par un groupe de criminels et de narcotrafiquants à Bamako. Il s’agissait des membres d’une famille qui avaient été enlevés par des preneurs d’otage, moyennant, soit le paiement d’une rançon de 900 millions de Franc CFA ou, à défaut, donner des informations permettant de localiser une quantité importante de cocaïne interceptée par les douanes maliennes quelques semaines plus tôt.

Et quatre ravisseurs avaient été arrêtés lors de l’opération de libération d’otages, dont un Franco-sénégalais, deux Français et un Franco-malien. Le ministre de la Sécurité et de la Protection civile avait promis que des enquêtes se poursuivraient pour démanteler ce réseau criminel ainsi que les complices. Mais, personne ne sait aujourd’hui à quoi cela a abouti.

L’article 2 de la constitution en vigueur stipule, «la personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne». Et cela doit se traduire dans les faits par des enquêtes judiciaires visant à faire la lumière sur ces kidnappings (faux ou vrais) afin que cela ne devienne une autre pratique inacceptable dans notre  pays. Il est vrai que nous sommes déjà habitués au rapt des touristes, des humanitaires, des religieux… par des réseaux terroristes au centre et dans le nord du pays pour financer leurs activités criminelles avec les rançons payées pour la libération des otages. Mais, nous devons nous battre pour que cela ne soit pas perpétué comme une méthode de faire taire des journalistes ou des opposants.

La Cellule de crise constituée par les organisations professionnelles de la presse suite à la disparition de Aliou Touré a donc raison d’insister sur la nécessité de l’ouverture d’une enquête afin que la lumière soit faite sur cet enlèvement et cette libération. Il y va aujourd’hui de la crédibilité de la profession et aussi de la sécurité des femmes et hommes des médias puisqu’un précédent cas (disparition simulée d’un confrère pour mieux profiter de la vie en dehors de sa famille) a déjà jeté l’opprobre sur la corporation.

Dans le temps, l’image de la presse a été ternie par un enlèvement qui n’en était pas finalement un puisque le confrère avait quitté son foyer pour des moments de plaisir ailleurs. Difficile donc, sans une enquête sérieuse et approfondie, d’en vouloir à ceux qui pensent que celle du jeune frère est aussi un cas similaire, «un montage grotesque» pour se donner de l’importance et ternir l’image des autorités de la transition qui ont arrêté son idole le 13 mars 2023.

 Une pratique embarrassante pour tout le monde

Et la justice ne doit pas se faire prier, normalement, pour faire la lumière sur une pratique qui n’honore ni la République, ni la démocratie. Elle ne sert pas non plus la Transition. Le principe de la justice veut que le procureur de la République ouvre une instruction judiciaire sur la disparition de notre confrère Aliou Touré parce que les Maliens ont besoin et ont le droit de savoir ce qui s’est réellement passé. Elle (justice) ne peut continuer à laisser les personnes disparaître et réapparaître sans que nous sachions pourquoi ils ont été enlevés, où ils étaient détenus, par qui et pourquoi ?

Il y va de la crédibilité de l’Etat qui est déjà sérieusement entachée à cause de son silence coupable. «Qui ne dit rien consent», dit l’adage. Comme l’a dit le président de la Maison de la Presse et coordonnateur de la cellule de crise pour la libération d’Aliou Touré, «quel que soit l’auteur de cette pratique, un doigt accusateur sera porté sur l’État qui a la responsabilité de protéger les citoyens» ! Le silence de nos autorités engage non seulement leur responsabilité, mais aussi leur culpabilité. Même si elles n’ont rien à avoir dans ces enlèvements, leur devoir c’est de quand même protéger les populations partout, notamment dans l’exercice de leurs activités professionnelles.

Cela est d’autant important que les victimes  de ces mystérieuses disparitions et réapparitions semblent si «traumatisées» qu’elles la ferment pour de bon. La réaction de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) suscite néanmoins l’espoir de la fin de l’omerta sur cette nouvelle menace qui menace la Liberté, toutes les libertés, notamment la liberté d’expression et celle de presse.

«Depuis un certain moment, nous enregistrons plusieurs allégations de disparition forcée dont la dernière concerne un journaliste répondant à l’identité de Aliou Touré», a souligné la CNDH dans un communiqué. Et conformément à son mandat légal, «nous avons ouvert un dossier d’investigation aux fins d’établissement des faits», a précisé la commission. «Nous souhaitons que toutes les personnes victimes de disparition forcée soient retrouvées saines et sauves», a-t-elle précisé. La CNDH a aussi rappelé que l’Etat a «l’obligation principale de respecter, faire respecter les droits fondamentaux, protéger toute personne et ses biens sur le territoire Malien».

Et, en vertu de la convention internationale (entrée en vigueur en 2010) à laquelle le Mali est partie et qui protège toutes les personnes contre les disparitions forcées, «les actes de disparition forcée peuvent être constitutifs de crimes» contre l’humanité.

Comme le disait un jeune confrère suite à la disparition de Aliou Touré, «il est temps de siffler la fin à cette série de disparitions et réapparitions de journalistes et d’acteurs de la société civile». En tout cas, la CNDH nous rappelle que «nul n’est à l’abri de la violation de ses droits». Autant alors se donner la main pour défendre nos droits humains. Et cela quel que soit le prix à payer. N’attendons pas d’être la cible pour nous dresser contre cette menace !

Moussa Bolly

Source : La Nouvelle République

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance