Depuis des décennies, la période de mars, avril et mai est caractérisée par une crise énergétique cyclique qui entraine un déséquilibre entre l’offre et la demande dans la fourniture du service public d’électricité.
A l’entame et au cours de cette période, la Société Energie du Mali SA (EDM SA) et les permissionnaires d’électrification rurale multiplient les initiatives de communication et de sensibilisation des usagers sur les difficultés de leurs systèmes électriques, le bon usage de l’électricité et surtout les actions urgentes engagées sur les plans techniques et financiers « pour assurer la continuité, la régularité et la qualité des fournitures de service public d’électricité dans l’intérêt économique générale ».
Malgré ces initiatives, le pays continue à faire face aux délestages cycliques qui dépassent souvent 8 heures par jour et par endroit à Bamako, dans les régions et les faubourgs, faisant ainsi l’électricité une denrée rare en cette période. En somme un produit de luxe pour les consommateurs.
Il faut rappeler que le délestage se définit comme l’action d’interrompre volontairement une ou plusieurs charges de consommation d’électricité déterminées d’avance dans un réseau d’alimentation électrique pour rétablir l’équilibre entre la production et la consommation en vue d’éviter tout risque d’effondrement de l’ensemble du système électrique. Il peut se faire de façon manuelle ou automatique. Elle a pour conséquence la non-disponibilité de l’électricité pour les entreprises, les industries, l’administration et les ménages.
De même et dans certaine mesure, on assiste impuissamment à la diminution progressive de la productivité du pays par manque de compétitivité et des émeutes sociales pour revendiquer l’électricité, qui est un produit marchand dont « aucun service, aucune prestation ou fourniture d’électricité à un tiers ne peut être effectuée à titre gratuit ».
Rappelons que les réformes institutionnelles et organisationnelles majeures du sous – secteur de l’électricité engagées par le gouvernement à partir de l’an 2000 avaient comme objectifs majeurs : i) assurer l’approvisionnement en électricité de la population dans les meilleures conditions de sûreté et de prix ; ii) accélérer la desserte de l’électrification rurale et urbaine du pays ; ii) consolider et améliorer substantiellement la productivité et l’efficacité en électricité; et iii) promouvoir le développement du secteur de l’énergie à travers une large implication du secteur privé.
Ces réformes et organisations visaient à asseoir une grande efficacité à court terme de la gestion du service public d’électricité et à long terme le développement des infrastructures électriques à travers le Partenariat Public Privé (PPP).
Cependant, deux décennies après ces réformes et organisations du secteur, toute la chaine de l’industrie électrique peine à satisfaire l’approvisionnement régulier de la population en électricité dans les meilleures conditions de sûreté et de prix. Elle est confrontée aux multiples défis notamment une planification cohérente et maitrisée, un déficit en investissement, le vieillissement des infrastructures existantes et surtout l’aggravation de la conjoncture internationale, de plus en plus défavorable aux pays importateurs de l’énergie fossiles en raison des flambées continues des prix.
Et pourtant, l’accès à l’électricité pour tous en qualité et à moindre coût est inscrit en bonne place dans les Objectifs Durables de Développement (ODD7, 2016 -2030) de l’Onu et du Cadre de Croissance Economique et de Développement Durable (CREDD 2019-2023), qui constituent des documents d’orientation de politique publique de lutte contre la pauvreté au Mali. Rappelons que l’objectif des ODD, dont le Mali est partie, vise un taux d’accès à l’électricité de 100 % à l’horizon 2030. En 2020 le taux d’accès national à l’électricité se situe environ à 50 %.
Il est mentionné dans le document du CREDD (2019-2023) que l’objectif 3 du cadre vise à « Promouvoir le développement social et l’accès aux services sociaux de base », et «l’électricité est un facteur clé de succès du plan de relance de l’économie pour assurer une croissance inclusive et durable, en faveur d’une réduction de la pauvreté et des inégalités dans un Mali uni et apaisé. L’important potentiel énergétique, principalement sous forme d’Energies Renouvelables (EnR), très faiblement valorisé, confère au Mali un avantage indéniable en ce qui concerne la fourniture d’un service énergétique abordable, fiable, durable et moderne pour tous ».
Dans un tel contexte, l’énergie électrique devient une question de sécurité et de stratégie de développement pour le pays sur laquelle il faut bâtir à partir d’une vision, d’un cap et des moyens pour atteindre les objectifs du CREDD et des ODD7. En effet, de nombreuses études de l’Organisation de coopération et de développement (OCDE) et Agence internationale de l’Energie (AIE) ont démontré que les rapides progrès de croissance économique et de réduction de la pauvreté dans les pays sont corrélés avec la progression de l’accès à l’électricité allégeant ainsi potentiellement les problèmes d’accessibilité financière.
Cependant, il est facile de constater que ce secteur stratégique est caractérisé depuis des décennies par un faible niveau d’investissement interne et une faible capacité de mobilisation de ressources externes. S’ajoutent à ceux-ci des ressources humaines de qualités et en quantité limitées, les lourdeurs administratives et la complexité des procédures d’investissement. Bref, la non-maitrise des délais d’exécution des projets d’infrastructures de soutien.
Par ailleurs, le taux de croissance démographique augmente de 3,6 % par an sur les dix dernières années au Mali et le besoin en électricité de la population croit environ 9 % par an. Le taux d’accès à l’électricité peine à évoluer de plus 4 % par an, à cause du manque d’investissement conséquent dans toutes les composantes du secteur.
L’achèvement des grands projets d’investissement (public et privé confondus) du secteur de l’énergie électrique coïncidence avec le dépassement de leur capacité d’absorption, avec une moyenne de 3 années de retard. Les études de planification stratégique du secteur sont en perpétuelle actualisation sans être mise en œuvre compromettant ainsi l’équilibre du secteur à long terme.
La gestion du service public d’électricité se trouve ainsi confrontée à la non – maitrise des charges d’exploitation, de difficulté de trésorerie, de fraudes, la très dominance de l’énergie fossile dans le mix énergétique et surtout des besoins importants d’investissements structurants.
C’est pourquoi, l’électricité semble considérée par les usagers comme un facteur d’exploitation très cher. Dès lors l’étouffement des secteurs productifs de l’économie (privé et public confondus) se comprend facilement.
En effet, la gestion du secteur de l’énergie électrique est constamment sous tension, instaurant ainsi un style de management de crise au détriment d’un management stratégique. Selon P.F Drucker, « si la meilleure structure ne constitue pas une garantie de succès et de performance, la mauvaise structure, elle, est la garantie de résultats nuls ».
Dianguina Bathily
Diplômé en Management et finances publiques
66 72 63 66
Source : Mali Tribune