Le temps n’a pas effacé la douleur. Vingt-huit ans après avoir été violée par des soldats du Mouvement uni de libération du Liberia pour la démocratie (Ulimo), Esther N. a revécu l’enfer, mardi 25 octobre, devant la cour d’assises de Paris. « Ils m’ont attaché les jambes, les bras… », raconte-t-elle, en larmes. Puis la fermière, venue spécialement du Liberia pour témoigner au procès de Kunti Kamara, ancien « commandant officer » de l’Ulimo jugé pour « tortures, actes de barbarie et complicité de crimes contre l’humanité », s’est effondrée au sol.
« Le témoin est en état de choc et n’est pas en mesure de poursuivre », a expliqué un peu plus tard Sabrina Delattre, avocate de Civitas Maxima, une ONG suisse à l’origine de la plainte déposée contre le Libérien en 2018. Le lendemain, un message d’Esther N. a été lu par la partie civile :
« Je ne veux plus me présenter au tribunal car je ne veux plus revoir cet homme [Kunti Kamara]. Il sait ce qui m’est arrivé et il connaît très bien Babylon [le surnom du soldat de l’Ulimo qu’elle accuse de l’avoir violée]. Je ne suis pas venue en France pour mentir… Je demande à la cour que justice soit faite. »
« Ce procès est très important pour le Liberia et les Libériens, car il n’y a jamais eu de jugement dans notre pays sur les crimes commis pendant les guerres civiles des années 1990 », assure par téléphone Rodney Sieh, fondateur et directeur de Frontpage Africa, considéré comme le quotidien de référence au Liberia. Grâce à un partenariat avec New Narratives, une ONG américaine qui soutient les médias ouest-africains, le journaliste Anthony Stephens peut couvrir l’intégralité du procès. Chaque soir, ses articles et ses vidéos tournées en direct depuis le tribunal de Paris sont repris dans différents médias libériens, dont Frontpage Africa.
« Ce procès nous plonge dans la mémoire du Liberia, explique-t-il. Il est très suivi dans tout le pays, sur Facebook et dans les organes de presse. Après chaque article, je reçois des centaines de commentaires. Les Libériens ont envie de savoir, de comprendre. Ils me demandent par exemple si Kunti reviendra au Liberia, si d’autres procès sont prévus en France ou un jour peut-être au Liberia. Il y a une soif de justice. » Les articles publiés sur le site de Frontpage Africa sont vus « entre 10 000 et 15 000 fois, soit une très bonne moyenne », confirme Rodney Sieh.