Le mini-sommet de Nouakchott ne suffira pas à sortir le contingent panafricain G5 de l’ornière, ni la France du Sahel.
Si elle persiste à « monter en puissance » ainsi, la force conjointe G5-Sahel finira par ne plus toucher terre ni sable. Voilà des mois, voire des années, que l’on annonce au son du clairon le décollage de ce contingent panafricain, assemblage de sept bataillons -soit 5000 hommes environ- venus du Mali, du Niger, du Tchad, du Burkina Faso et de Mauritanie, censé prendre le relais du dispositif français Barkhane, déployé depuis août 2014 sur un espace aride et hostile vaste comme l’Europe occidentale. Mais le mini-forum qui, en marge du 31e sommet de l’Union africaine, a réuni le 2 juillet à Nouakchott, autour d’Emmanuel Macron, les cinq chefs d’État concernés, n’aura nullement dissipé le brouillard flottant sur cette armée virtuelle.
Le verbe et les bombes
Et ce d’autant moins que deux attentats-suicides meurtriers, perpétrés sur le territoire malien peu avant ces énièmes retrouvailles, ont obscurci l’horizon, démontrant la vigueur intacte de la menace que fait planer le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), alliance djihadiste forgée au printemps 2017 sous la férule du Touareg Iyad ag-Ghali, émule d’al-Qaïda. Commis le 29 juin à Sévaré, au centre du Mali, et fatal à deux militaires locaux, le premier a -cruel raccourci- détruit partiellement le quartier-général d’une force régionale pas même opérationnelle. Quant au second, il a frappé le surlendemain Gao, un peu plus au nord; donc en lisière de l’emprise majeure de Barkhane. Bilan : quatre civils tués et une trentaine de blessés, dont quatre soldats français. Montée en puissance ou aveu d’impuissance ?
« Enormément de failles »
Bien sûr, Macron et ses homologues sahéliens ont inauguré aux portes de la capitale mauritanienne le « collège de défense » appelé à former les officiers estampillés G5. Bien sûr, le Marcheur élyséen promet un « redéploiement » et des « décisions concrètes ». Reste que les retards s’accumulent, que l’échéancier s’étire, et que les quatre opérations de ratissage au long cours menées jusqu’alors, galops d’essai guère concluants, ont surtout mis en évidence les défauts de la cuirasse. Coordination, équipement, entraînement, renseignement : à vrai dire, rien n’est au point. « Il y a encore énormément de failles », déplore l’ex-putschiste et chef d’Etat Mohamed Ould Abdel Aziz, hôte du raout sécuritaire.
Un pognon de dingue
L’intendance ne suit que de loin et le nerf de la guerre se fait désirer Sur les 414 millions d’euros annoncés, seul l’écot symbolique du Rwanda (500000 €) garnit les caisses. L’Union européenne traîne les rangers. Quant à la contribution de l’Arabie saoudite, estimée à 100 millions, elle a vocation pour l’essentiel à financer l’acquisition de matériels français -blindés légers et systèmes de transmissions notamment- qui, au mieux, muscleront les arsenaux de la force au début de l’exercice 2019. Au passage, il y a quelque chose de baroque à solliciter du royaume wahhabite, dont on sait la tenace propension à promouvoir l’islamisme radical, le financement du quart d’une opération anti-djihadiste.
Bavures
Autant dire que les rodomontades du président malien Ibrahim Boubacar Keïta sonnent creux. IBK, qui briguera -sauf report- le 29 juillet un second mandat à la tête d’un pays sans Etat, fait serment de « traquer les terroristes jusque dans leurs derniers retranchements ». On les voit trembler d’ici… « Nos forces armées, poursuit-il, ont repris du poil de la bête. » Pour l’heure, lesdites FAMa paient cash leur impréparation et s’échinent en vain à restaurer une image ternie par leurs bavures et leurs exactions. La Minusma, mission onusienne forte de 12500 Casques bleus, a ainsi annoncé le 26 juin l’ouverture d’une enquête sur l’exécution sommaire de douze civils. Les faits allégués remontent au 19 mai : ce jour-là, sur le marché au bétail de Boulkessy, les compagnons d’armes d’un soldat mortellement agressé ont semble-t-il déclenché des représailles dévastatrices
« Pas à la hauteur »
Le vernis craque. Ce qui se murmurait hier « off the record », à l’Elysée, au Quai d’Orsay, à l’état-major ou chez les gradés de Barkhane, se dit désormais à haute voix : l’exécutif bamakois « n’est pas à la hauteur des enjeux ». Telle est, au mot près, l’expression employée lundi sur RFI par le député LREM Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale. On imagine mal ce macroniste « se lâcher » de la sorte sans l’aval au moins implicite du Château ; où l’on voit s’éloigner la perspective d’un désengagement significatif à court ou moyen terme. De fait, si le locataire du palais de Koulouba n’est pas le seul, loin s’en faut, à rechigner à mettre en oeuvre l’accord inter-malien conclu au printemps 2015 à Alger, son peu d’entrain a alimenté la défiance au sein des communautés touarègues du Nord. Et le sortant suscite aussi l’irritation de plusieurs de ses pairs.
Non-dits et maillons faibles
C’est ainsi : l’unité affichée par le quintette sahélien n’est qu’un leurre. Hors micros et caméras, le Tchadien Idriss Déby Itno et son homologue mauritanien Abdel Aziz dénoncent volontiers les carences militaires de leurs partenaires, considérés comme les « maillons faibles » de la chaîne G5 : le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Un autre non-dit complique la donne : au sommet de nations jeunes et fragiles, jalouses de leur souveraineté, persiste une forme de réticence envers le partage d’informations « sensibles » comme à l’égard de l’ouverture des frontières aux troupes alliées, deux préalables à la mise en oeuvre d’une coopération efficace. Sur le même registre, l’hypothèque algérienne pèse lourd. Pour d’évidentes raisons politico-historico-affairistes, le clan des galonnés qui, dans l’ombre du spectre Abdelaziz Bouteflika, tire les ficelles, ne supporte pas « l’ingérence » française dans son arrière-cour sahélienne. D’où sa mansuétude insolite à l’égard de caïds djihadistes enclins à naviguer dans les confins sud du pays, quitte à s’y planquer ou à s’y ravitailler.
Impasse tactique
N’en jetons plus : la cour -de la caserne- est plus que pleine. Si, pourtant. Reste une dernière embûche, et pas la moindre. Malgré les efforts intenses d’adaptation conduits par les stratèges français, le dispositif Barkhane s’enfonce dans une impasse tactique, voire stratégique. Son équipement -souvent à bout de souffle d’ailleurs-, ses contraintes logistiques et ses modes opératoires se heurtent à la mue de l’ennemi. Face à une adversité, éclatée, fragmentée, légère, mobile, profondément enracinée dans un tissu social complexe, apte à instrumentaliser à son profit des contentieux communautaires ancestraux, ce corps expéditionnaire postmoderne patine. Constat que reflète le glissement sémantique du discours élyséen : en décembre dernier, Emmanuel Macron exigeait des « victoires » au premier semestre 2018 ; à Nouakchott, il a plus modestement émis le « souhait » d’éradiquer le terrorisme. Mais voilà : impossible de plier les gaules avant d’être en mesure de revendiquer un triomphe chimérique ou de transmettre le témoin à une force africaine taillée pour la course. Autant dire qu’au Sahel, quoi qu’on en pense et dise en haut-lieu, la France est partie pour rester.
Source: L’Express.fr