Pluies abondantes, insalubrité récurrente, pénurie de médicaments et corruption, le mélange est meurtrier. Dans l’Angola pourtant riche de son pétrole, le paludisme continue obstinément à décimer la population, symptôme de la faillite de tout un Etat.
Plus de mille morts au cours des deux derniers mois, les statistiques font froid dans le dos. « Le nombre est effrayant », s’alarme Josefa Antonio, la responsable de la santé publique à Kilamba Kiaxe, un quartier pauvre de Luanda.
Depuis le début de l’année, plus de 300.000 cas ont été enregistrés sur l’ensemble du pays, selon les chiffres officiels.
Au palmarès des provinces touchées, celle de Luanda arrive en tête, avec plus de 75.225 cas et 117 décès, suivie de celle Benguela (centre-ouest) avec 43.751 cas et 213 décès.
En 2017, le pays a enregistré 7.000 morts.
L’Afrique subsaharienne enregistre 90% des cas de paludisme dans le monde et 92% des décès dus à cette maladie, qui se propage par des moustiques infectés. En Angola, le paludisme reste l’une des premières causes de mortalité.
Comme chaque année pendant la saison des pluies, les hôpitaux publics sont totalement dépassés.
Dans la clinique Cajueiros, au coeur du quartier populaire de Cazenga à Luanda, des dizaines de mères et leurs enfants font la queue dès l’aube pour une consultation.
– ‘Pas de médicaments’ –
« Nous enregistrons chaque jour au moins 15 à 20 cas de paludisme dans notre hôpital », contre un ou deux seulement en saison sèche, constate le médecin pédiatre Miguel Sebastiao.
« Ici, ils ne donnent pas de médicaments. Tu peux avoir une consultation gratuite, mais on te donne une ordonnance pour acheter les médicaments dans une pharmacie de rue », se plaint Rosa Eduarte, venue consulter pour sa fille de 5 ans.
Mais, faute de moyens, elle n’a pas d’autre choix que de frapper aux portes des hôpitaux publics.
Dans ces établissements, on manque de tout: coton, seringues, gants et surtout médicaments. « Nous n’avons pas de comprimés ici », reconnaît dépitée Marcelina Paulina, infirmière à l’hôpital Palanca Dona Paulina de Luanda.
Les conséquences de cette pénurie sont sans appel.
Ana Joaquina a perdu sa soeur fin février. « Les médecins ont diagnostiqué le paludisme. L’hôpital n’avait pas de médicaments et on n’avait pas d’argent pour en acheter. Elle est morte », constate-elle simplement entre deux sanglots.
Comme tous les autres services publics, la santé est étranglée par la crise économique qui frappe le pays depuis la chute en 2014 des cours du pétrole.
En 2016, une épidémie de fièvre jaune qui a fait près de 400 morts dans le pays avait déjà mis en lumière l’état déplorable des établissements de santé.
Le système est également gangréné depuis des années par la corruption, dénoncent l’opposition et des médecins.
– Corruption –
« Il est plus facile d’acheter des voitures de luxe pour les directeurs que d’acheter du matériel pour les hôpitaux », dénonce le Dr Maurilio Luyele, député de l’Unita (opposition).
Le mois dernier, trois hauts fonctionnaires ont été condamnés à huit ans de prison ferme pour avoir détourné 2 millions de dollars destinés à la lutte contre le paludisme.
Et quand bien même les hôpitaux publics auraient les « meilleurs médicaments du monde », la question du paludisme persistera « tant que nous ne résoudrons pas le problème des ordures entassées dans les rues, des eaux stagnantes et du manque d’assainissement », prévient Miguel Sebastiao.
Dans certains quartiers de Luanda, les éboueurs ne sont plus passés pour ramasser les déchets depuis des mois. Là encore, la corruption des autorités est montrée du doigt.
Avec la saison des pluies de septembre à mai, des routes en terre battue se transforment en mares où flottent les ordures, paradis pour les moustiques qui véhiculent le paludisme.
Devant l’ampleur de la crise, le gouvernement du président Joao Lourenço, qui a pris les rênes du pays en septembre, a lancé mi-février un plan d’urgence de lutte contre le paludisme, avec désinsectisation et distribution de moustiquaires.
Mais Fernanda Miguel Gaspar n’y croit pas trop. Son fils a été admis à l’hôpital et cette mère de famille craint que l’intervention d’un médecin ne suffise pas à garantir la survie de son enfant. Elle préfère remettre son sort entre les mains de son mari, et de Dieu.
« Par chance, nous avions encore des médicaments. Dieu fait parfois des miracles », se félicite-t-elle, « mon mari est parti à la recherche d’argent pour acheter ce qui nous manque ».