L’invitation en France adressée par Emmanuel Macron aux chefs d’États des pays du G5 Sahel, le 16 décembre, pour « clarifier » leur position à l’égard de la présence militaire française a créé la polémique au Mali et au Burkina Faso. Outre la forme de ce qui ressemble à une convocation, c’est aussi sur le fond que les critiques se concentrent.
Emmanuel Macron veut « des réponses claires ». Depuis Watford, près de Londres, où il prenait part à un sommet de l’OTAN, le président français a conditionné le 4 décembre le maintien de l’opération Barkhane à une « clarification » des pays du G5 Sahel à l’égard de la présence militaire française sur leurs territoires. « Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit à l’heure même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements antifrançais, parfois portée par des responsables politiques », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.
Pour « réévaluer les termes de notre présence légitime au Sahel », a-t-il twitté, le président français a convié ses homologues des pays membres le 16 décembre à Pau, dans le sud de la France, pour un sommet dédié à l’opération Barkhane.
Cette invitation à l’attention des présidents nigérien, malien, burkinabè, mauritanien et tchadien intervient après l’hommage national rendu aux treize soldats français morts le 25 novembre dans un accident d’hélicoptères dans le nord du Mali. Le choix de Pau n’est pas anodin : sept des treize militaires décédés étaient issus du régiment d’hélicoptères de combat qui y est basé.
Selon une source de Jeune Afrique à l’Élysée, Emmanuel Macron a contacté ses pairs sahéliens quelques jours après ce drame pour leur proposer ce rendez-vous du 16 décembre. Objectif : dissiper les malentendus et trouver des solutions concertées à la perception de plus en plus négative de l’intervention française au Sahel, tant dans les opinions publiques française que sahéliennes, en particulier au Burkina Faso et au Mali. Dans ces deux pays, la montée du sentiment anti-français est, de fait, perceptible ces derniers mois.
« Il faut qu’on sorte de Pau avec un message très clair des Sahéliens, qui doivent dire pourquoi ils demandent à la France d’être à leurs côtés. S’ils ne sont pas clairs ou qu’ils nous disent de partir, nous ne resterons pas. Ce n’est pas le scénario privilégié, mais l’option est sur la table », explique-t-on à l’Elysée.
« Ne pas mordre la main tendue »
Plus globalement, Emmanuel Macron veut faire évoluer l’engagement français au Sahel. Depuis son arrivée au pouvoir, la France, qui compte près de 4 500 militaires déployés dans la région, tente d’avoir un plus grand soutien de ses partenaires européens. Le président français a également réclamé une « plus grande implication » de ses alliés de l’OTAN contre « le terrorisme » dans la région. « Une véritable alliance, ce sont des actes, pas des mots », a ajouté le président français.
Les chefs d’États de la zone ont à plusieurs reprises réaffirmé leur demande de soutien de la France, ainsi qu’à d’autres partenaires, notamment pour le financement de la force conjointe du G5 Sahel. Interrogé par des médias burkinabè sur sa participation à cette rencontre, Roch Marc Christian Kaboré a assuré qu’il allait « répondre à cette invitation » qui est pour lui « l’occasion de nous parler franchement sur les questions qui se posent aujourd’hui et dans l’activité que nous menons ensemble pour la lutte contre le terrorisme ».
« Nous n’avons aucune raison de nous glorifier d’avoir tendu la main à ceux qui en avaient besoin hier », a assuré Ibrahim Boubacar Keïta, le 1er décembre, en référence à l’engagement de soldats maliens pendant les guerres mondiales ou dans les missions de paix. « Mais nous n’avons non plus aucune raison de mordre la main de ceux qui nous tendent les leurs aujourd’hui », a-t-il ajouté, avant de se rendre à la cérémonie d’hommage aux soldats français à Paris.
Critiques sur la forme
Cette invitation est mal perçue au sein de l’opinion publique. Les gens y voient une sorte de paternalisme : la France appelle ses valets en Afrique
L’invitation d’Emmanuel Macron a cependant suscité de nombreuses critiques au Mali et au Burkina Faso, au sein d’opinions publiques où les critiques à l’égard de l’ancienne puissance coloniale trouvent de plus en plus d’écho, en particulier contre la présence militaire française.
« De façon générale cette invitation est mal perçue au sein de l’opinion publique. Les gens font le rapprochement avec le sommet de la Baule de 1990 avec Mitterrand et y voient une sorte de paternalisme : la France appelle ses valets en Afrique », analyse Bréma Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako.
Pour le sociologue malien, les attentes des populations concernent « une synergie d’action et de meilleures concertation de Barkhane avec les forces armées locales ». « Alors que le sentiment anti-français se développe, cette rencontre ne garantira pas l’adhésion des populations », ajoute-t-il.
Pour Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali, « une rencontre autour de l’opération Barkhane pourrait être positive, dans un contexte où l’opération semble en difficulté par rapport à son objectif stratégique qui est la lutte contre le terrorisme ». Mais il regrette cependant la forme. « Il aurait été plus indiqué que cela apparaisse comme une rencontre communément convenue », glisse-t-il.
Défiance sur le fond
« La France est en partie responsable de la situation actuelle, car tout est parti du bombardement de la Libye », pointe Hervé Ouattara, à la tête du Front anti-CFA au Burkina, et très critique de la politique africaine de la France. « Il est temps que ces cinq chefs d’États réaffirment leur indépendance et que l’on discute d’égal à égal, avec un respect mutuel. De plus, nous avons l’impression que les militaires français spolient nos matières premières. Leur présence ne fait que prolonger la France-Afrique. »
Pour le politologue Abdoul Karim Saïdou, « dans le fond, Pau servira juste à renouveler l’allégeance à la France, car aucun de nos présidents ne demandera le départ de Barkhane. Ce qui est en jeu, c’est la contestation du monopole diplomatique des États. Les sociétés civiles africaines investissent de plus en plus l’arène internationale pour influencer les politiques étrangères de leurs États ». « Ce qui se joue ici participe à la reconfiguration de la politique internationale, longtemps considérée comme « la haute politique », à laquelle les gens d’en bas n’ont pas accès », ajoute-t-il.
Alors qu’un appel à la mobilisation des organisations de la société civile contre la présence des forces étrangères au Mali est lancé pour le 10 janvier à Bamako, pour la première fois, Paris semble envisager sérieusement le retrait de ses troupes comme une option. « Si les partenaires sahéliens ne sont pas clairs, on partira. À un moment où l’on demande un soutien des autres pays, personne ne va donner de l’argent si la seule puissance qui est engagée se fait taper dessus », confie-t-on dans l’entourage du président français.
Un discours qui semble ne laisser que peu de choix aux présidents « invités » à Pau le 16 décembre prochain… À moins qu’ils ne décident de suivre l’exemple du président malien Alpha Oumar Konaré. En 1995, celui-ci avait refusé de se rendre à Dakar, où il avait été « convié » par Jacques Chirac pour participer à un sommet rassemblant autour de lui tous les chefs d’État d’Afrique de l’Ouest. Alpha Oumar Konaré avait alors expliqué refuser de se soumettre à ce qu’il considérait comme une convocation émise par un ministre des Colonies en tournée d’inspection.
Jeune afrique