Ce n’est évidemment pas une nouveauté. Tous les présidents sortants, ont, sous le Vème République, tardé à se déclarer quand ils étaient candidats à leur succession. C’était leur intérêt bien compris et ils ont tous pu profiter de cette distorsion de la concurrence, par ailleurs parfaitement légale. Jacques Chirac en 2002 s’était déclaré 70 jours avant le premier tour, François Mitterrand en 1988 à 33 jours de l’échéance…
Rien, dans le droit, ne leur interdit de prendre leur temps, de mener campagne dans leur tenue de président, ni d’affirmer haut et fort qu‘ils ont pour principal horizon d’habiter leur fonction jusqu’au terme de leur mandat. Jusqu’au « dernier quart d’heure » dit même Emmanuel Macron.
Dans de telles conditions, pourquoi se priver d’un accès privilégié aux médias, notamment audiovisuels, quand le temps de parole des autres y est mesuré à la décimale ? Comment ne pas être tenter de préparer sa succession en l’inscrivant dans son action de président en exercice, en s’appuyant sur l’activité du gouvernement et sur les moyens de l’appareil d’Etat ? Quand les autres en campagne se chamaillent, quel intérêt à descendre trop vite de son Aventin ?
Dans le cas d’Emmanuel Macron, s’ajoutent des arguments recevables liés à la gravité de l’heure. La crise sanitaire, les tensions diplomatiques – à l’Ukraine s’est ajouté le Mali – ou même économiques sur le pouvoir d’achat – préoccupation premières des Français – semblent renvoyer la bataille électorale au second plan.
Le chef de l’Etat déploie cet argumentaire à l’envi « J’ai d’abord l’obsession que la phase aigüe de l’épidémie et le pic de la crise géopolitique soient derrière nous » a-t- il expliqué dans la Voix du Nord le 1er février.
Mais cette logique offre aussi l’avantage de pouvoir choisir son tempo : quel meilleur moment pour se déclarer qu’à l’instant où l’horizon semblera se dégager ? Sur le front du Covid, la situation s’améliore et plusieurs restrictions ont été levées. A l’évidence, Emmanuel Macron attend la fin annoncée de l’épisode Omicron de la pandémie pour avancer ses pions. En attendant, il multiplie les déplacements en France et en Europe, comme président en exercice du Conseil européen.
On pourrait certes objecter que des crises en France et dans le monde, il y en aura toujours. Ses rivaux pressent donc le chef de l’Etat de se déclarer afin de mettre un terme à cette ambiguïté et pour que la campagne électorale puisse vraiment démarrer. Pour l’instant, elle a bien du mal à intéresser les Français. « Les projets, les propositions, ça n’accroche pas, c’est une campagne « Tefal », on a le sentiment que tout glisse auprès des Français », a expliqué Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos France sur France Inter.
Mais il est fort douteux que ce constat et les injonctions répétées des oppositions aient quelque effet sur la stratégie du chef de l’Etat. Emmanuel Macron choisira le jour et l’heure qui lui paraîtront les plus favorables pour cesser d’être ce « candidat masqué » décrit le président du Sénat, Gérard Larcher. Tout en cherchant par ailleurs à éviter un débat télévisé d’avant premier tour à douze contre un.
Emmanuel Macron reste pourtant soumis à la pression de son camp où certains piaffent d’impatience : parmi ses soutiens d’aucuns veulent croiser vraiment le fer avec les diverses oppositions. Et commencent à s’organiser. Un site de campagne vous2022 a déjà été lancé… Des élus de la majorité présidentielle ont affiché leurs parrainages sur les réseaux sociaux. Mais, d’autres invitent Emmanuel Macron à attendre afin de ne pas affaiblir son image de chef d’Etat.
Certes, la cote de popularité du locataire de l’Elysée est haute pour une fin de mandat de président en exercice (plus de 40 %) et les sondages le placent systématiquement en tête des sondages aux deux tours de la présidentielle.
Pas de raisons apparentes de s’inquiéter. Mais l’exercice solitaire du pouvoir par le chef de l’Etat l’a considérablement exposé à la rancœur de ceux qu’il a déçus. Faute de filtres ou de fusibles, sa force apparente cache aussi des fragilités. Plus le temps laissé à la campagne proprement dite d’Emmanuel Macron sera court, plus il lui sera difficile de trouver de nouveaux soutiens.
D’autant que certains responsables et électeurs de droite, ralliés à son panache, commencent à (re)trouver des atouts à Valérie Pécresse. Certains ont même rejoints son équipe de campagne et d’autres s’y préparent. Ça grenouille beaucoup chez les proches d’Edouard Philippe, à cause de tensions avec le chef de l’Etat. Elles les ont troublés. Certes ces petits glissements de terrain n’annoncent certainement pas un tsunami. Mais ils pourraient être gênant lors d’un second tour qui opposerait le chef de l’Etat et Valérie Pécresse.
Source: la-croix.com