Publié avec d’innombrables lacunes rédactionnelles et autant d’insuffisances législatives, l’avant projet du virage vers une quatrième république au Mali n’atteindra vraisemblablement le rivage qu’au prix de moult acrobaties. En attestent les réserves et grincements de dents en provenance de divers milieux – ainsi que de composantes de la nation – qui s’en remettent pour la plupart aux ultimes retouches du législateur pour rattraper leurs espoirs et attentes brisés. Ils n’en auront probablement pas l’occasion – ou tout au plus ne l’auront que partiellement – car le texte quoique décrié va habilement esquiver le cheminement habituel d’une soumission aux suffrages populaires. Et dire que la Transition n’en sera peut-être pas à sa dernière manœuvre.
Pouvoirs exorbitants du président de la République, inutilité ou banalisation du Gouvernement dans le jeu institutionnel, une nature du régime aussi obtuse et illisible que les rapports entre les institutions clés de la République ou encore une absence totale de contre pouvoirs, etc. Bref, les griefs contre l’avant-projet de loi fondamentale ne se comptent visiblement pas sur les doigts d’une main. À force de complaisance dans la redevabilité vis-à-vis de l’autorité de désignation de la commission de rédaction – ou encore de prise en compte impérative des «Assises nationales de la Refondation» jusque dans les moindres caprices des masses -, le populisme a dû l’emporter sur le recul et la prise de hauteur nécessaires chez l’équipe de Fousseiny Samaké, de Harouna Diallo ou encore d’un certain Me Cheick Oumar Konaré. Conséquence : la montagne tant scrutée a accouché d’une souri car la consistance de l’esquisse proposée répond à peu d’attentes quant aux normes dans d’élaboration d’une constitution. Il va de soi, en définitive, que les récriminations pleuvent de partout où il ne suffit pas d’un simple recensement des réserves et préoccupations pour exprimer les insatisfactions.
Ainsi, par-delà les nombreuses corporations et entités associatives ou politiques entrées à pied d’œuvre dans un exercice d’adaptation de l’avant-projet à leurs besoins, beaucoup d’autres acteurs et non des moindres sont montés au créneau, à défaut d’entrer directement en rébellion : d’aucuns contre les propositions, d’autres contre la démarche dans ensemble. On y dénombre des figures emblématiques de l’Adema – Association et du mouvement démocratique, qui ne sont pas allés de mainmorte pour se désolidariser du processus. Constituée pour l’essentiel d’anciens acteurs du mouvement Ante An Bana, qui avait eu raison d’une première tentative de révision constitutionnelle, la fronde naissante autour de Mme Sy Kadidiatou Sow ne compte pas moins de sympathisants dans la dissidence conduite par l’ancien ministre Konimba Sidibé sous le nom du M5-RFP Mali Koura. En plus de converger sur le déni de toute légitimité aux initiateurs de la démarche de révision constitutionnelle, ils font également front commun pour y faire échec, depuis la conférence de presse de l’Adema-Association sur le sujet.
En attendant de prendre définitivement corps, le tocsin de la contestation sonne également dans les rangs de la magistrature – dont les deux syndicats ont abandonné leur posture suiviste envers la Transition pour le besoin de dénoncer le péril que font peser les dispositions de l’avant-projet sur le pouvoir judiciaire. Les acteurs de la justice, qui avaient cautionné par deux fois successives des putschs qui désacralisent la constitution en tant que fondement de tout pouvoir, ne semblent pas disposés à avaler la pilule quand il s’agit de leurs intérêts corporatistes propres. Ils ont donc brisés les chaînes de la complaisance montés pour se rappeler au souvenir de leur rôle de contre-pouvoir, de garant de l’ordre républicain ainsi qu’à leur devoir de protection des acquis en droits et libertés. À l’instar d’autres corporations, acteurs et entités politiques ou associatives porteuses de récriminations sur les tendances et orientations annoncées par la démarche constitutionnelle en cours, les magistrats attendent naturellement que les corrections nécessaires précèdent la soumission du texte à l’arbitrage du peuple souverain. Seulement voilà : selon tous les indices et signaux avant-coureurs, la procédure législative classique est en passe d’être habilement contournée ou foulée aux pieds pour n’offrir aucune chance de prospérer aux velléités modificatrices semblables à celles infligées à la loi électorale. En clair, l’avant-projet de loi référendaire pourrait tout simplement passer par-dessus la tête de l’organe législatif de Transition car tout porte à croire que ses initiateurs se suffiront d’une adoption par le seul Conseil des ministres en prélude à la consultation populaire. Ce passage en force, à moins d’une compromission de la consultation référendaire par l’insécurité ou des dissonances insurmontables entre l’Accord pour la paix et l’avant-projet, pourrait ouvrir la brèche à d’autres subtilités en rapport avec l’égalité des chances dans la course de la présidentielle. Dont les signaux s’annonçaient déjà avec la révision de la Charte dans le sens d’une réouverture de la compétition électorale aux dirigeants de la Transition.
A KEÏTA
Source : Le Témoin