Les slogans économiques sont rares durant la campagne. Les débats qui enflamment tournent autour de la question sécuritaire. Les quelques candidats qui évoquent l’économie, la traitent de façon superficielle
Les Maliens sont appelés dimanche prochain, 28 juillet, à choisir l’homme ou la femme qui dirigera notre pays dans les cinq années à venir. Cette échéance électorale est historique. Elle est porteuse de grands espoirs de changement après une année de crise sécuritaire, politique et socioéconomique sans précédent. Le spectre d’une implosion de la nation n’est plus qu’un mauvais souvenir.
Depuis trois semaines, la campagne est ouverte et les candidats ont pris d’assaut les villes, les villages, les hameaux de pays pour mobiliser les citoyens. Ils rivalisent d’ardeur pour aller exposer à leurs projets de société. Des slogans percutants et pertinents sont développés par les candidats pour définir leur vision. En voici des morceaux choisis : « Le Mali, notre fierté », « Le Mali d’abord », « Notre combat pour un Mali fort», « Restituer au Mali son honneur et sa dignité », « Le nouveau visage du Mali », « Pour un Mali uni et fort ». Ces professions de foi s’affichent fièrement sur des affiches de toutes les dimensions à travers le pays. Chaque candidat veut être perçu comme l’instrument du changement.
Cependant, les slogans économiques sont rares voire inexistants au cours de cette campagne. Les débats qui enflamment tournent autour de la question sécuritaire. Et les rares candidats qui évoquent l’économie, la traitent de façon superficielle. Pourtant, le défi du redressement économique reste une question majeure pour le redressement sécuritaire et la stabilité sociale.
Tous les observateurs et économistes reconnaissent que le redressement économique a été très peu évoqué durant cette campagne. Pourtant notre économie est frappée de plein fouet par la crise. La reprise économique tant attendue tarde malgré les multiples actions de relance engagée par les autorités actuelles. C’est regrettable les questions économiques devaient être au centre de l’élection présidentielle.
En effet, ayant hérité au moment de l’accession à l’indépendance d’un système économique relativement efficace, les gouvernements successifs n’ont pas réussi à mettre le pays sur une trajectoire développementale durable. Aujourd’hui, le Mali fait partie des pays les moins avancés malgré différentes reformes économiques mises en œuvre. L’économie ne s’est pas suffisamment diversifiée. Plusieurs secteurs clés n’ont pas été soutenus par des politiques publiques pertinentes et mises en œuvre de façon cohérente dans la durée.
L’efficacité de la dépense publique demeure un défi. La croissance est insuffisante pour faire reculer la pauvreté et consolider la situation budgétaire du pays. Il en découle que le Mali occupe la 173ème place dans l’index sur le développement humain. Environ 50% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les inégalités s’aggravent, tout comme le fossé entre le monde urbain et rural. Les experts ont établi la vulnérabilité du pays aux chocs exogènes, climatiques. La porosité des frontières suscite des menaces transnationales à la sécurité.
Le cercle vertueux entre démocratie, gouvernance et développement n’est pas encore matérialisé dans notre pays. Malgré cet enjeu capital, l’économie est absente dans les débats électoraux. L’expert en gouvernance et audit, Fassery Doumbia, est catégorique. « Je suis resté sur mes fins. Aucun candidat, n’a véritablement abordé le redressement économique du pays. Cet enjeu est capital pour notre pays. Je me souviens que lors des élections 2007, le président Amadou Toumani Touré (ATT) a fait la promesse de créer le bureau du Vérificateur général. Il l’a fait malgré les difficultés structurelles rencontrées dans sa mise en œuvre. Le bureau existe et fonctionne encore. Pour le moment, certains candidats ont proposé la mise en place de la cour des comptes, mais sans exposer des arguments convainquants», déplore Fassery Doumbia.
OCCULTES. Il ajoute que les espoirs de rupture avec les mauvaises pratiques et les réformes profondes attendues par les Maliens sont occultés lors des débats. « Quelle sont la volonté et la capacité réelle des candidats de rompre avec les pratiques du passé et d’adopter une démarche plus développementale ? Quelles sont les marges de manœuvre pour un changement qualitatif ? Ces interrogations n’ont fait l’objet d’aucun débat dans les médias. L’analyse de ces sujets aurait fait apparaître les conditions de faisabilité d’un véritable renouveau économique de notre pays », a t-il soutenu.
L’expert économiste et patron de la Société de gestion et d’intermédiation (SGI-Mali), Karim Bagayoko, a fait la même analyse. Il regrette que la question économique soit absente de la campagne électorale. « J’aurais voulu assister à des débats entre les candidats pour décliner leurs programmes économiques. Les médias devaient adresser à chaque candidat des questions types sur les défis économiques. Dans les pays développés où même les pays ayant traversé les crises sécuritaires comme la Côte d’Ivoire, les questions économiques caractérisent la campagne.
Tout est lié à l’économie, même la sécurité.Certains candidats proposent de créer beaucoup d’emplois mais comment ? Economiquement, notre pays a beaucoup de potentialités, notamment, dans les domaines agricoles. Mais comment développer la production, comment favoriser la création d’emplois et des richesses ? Nous avons beaucoup d’instruments financiers mais il faut développer des mécanismes de financement », a commenté l’économiste.
Egalement absent des médias. Le contexte économique actuel impose d’analyser plus en profondeur pourquoi les réformes économiques affichées par les gouvernements successifs se sont estompées dans la phase de mise en œuvre ? On ne saurait en effet imputer ce fossé majeur entre discours et pratique aux seuls facteurs de « manque de fonds et de capacités ».
Le directeur du journal « Les Echos » Alexis Kalambry, président de l’association des journalistes économiques, constate que l’économie est vraiment absente dans la campagne. « A cause de la crise sécuritaire que notre pays a connu, l’économie est devenue une question secondaire dans les campagnes des candidats et dans les médias. Le contenu des médias pendant cette période reflète surtout les messages des candidats. Je pense que l’économie aurait dû être le thème central de cette campagne. L’insécurité dont font cas tous les candidats n’est que la conséquence de notre sous développement. Tout développement sécuritaire et sociopolitique passe d’abord par le développement économique. »
Le journaliste illustre ses propos. « Par exemple, au fil de cette campagne, tous les candidats accordent une place substantielle à l’emploi jeune. Personne ne nous dit comment relancer nos entreprises industrielles qui meurent sous l’impact de la crise.
Ce se sont ces entreprises qui créent de l’emploi. En plus, notre pays dispose de toute une infrastructure légale et judiciaire pour combattre la corruption. Des organisations de la société civile et les médias utilisent l’espace démocratique pour dénoncer des mauvaises pratiques de gouvernance. Cela n’a pas empêché l’institutionnalisation graduelle « de la culture d’impunité ». Quelles sont les dynamiques porteuses de changement au sein de l’appareil étatique et de la société ? Où se trouvent les facteurs de résistance et les facteurs de blocage par rapport au développement économique ? Dans quels domaines peut-on trouver une « traction » suffisante pour impulser notre économie ? Aucun candidat n’a donné de réponse à ces questions », a conclu Alexis Kalambry.
L’expérience démontre que le développement économique est essentiel dans la création de richesses dans un pays. Les présidents qui se sont succédés au Mali, ont su, chacun à sa manière, conjuguer le développement économique avec les autres dynamiques structurantes de fonctionnement de l’Etat. Cet enjeu n’est pas le seul apanage des pays en voie de développement. Il est la pierre angulaire de la formation de l’Etat.
Aujourd’hui, le principal enjeu de la relance économique de notre pays est l’impulsion d’un réveil des potentialités locales pour créer des richesses et des emplois.
D. DJIRE
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Banque mondiale : LA PROPRIETE FONCIERE FAVORISE LA CROISSANCE EN AFRIQUE l
L’Afrique subsaharienne recense près de la moitié de toutes les terres utilisables non cultivées du monde. Mais, à ce jour, le continent n’est pas parvenu à développer les 202 millions d’hectares de terres disponibles pour mieux lutter contre la pauvreté, générer de la croissance, créer des emplois et promouvoir une prospérité partagée.
Le nouveau rapport de la Banque mondiale intitulé « Securing Africa’s Land for Shared Prosperity », rendu public hier, propose des idées nouvelles. Les pays africains et les communautés pourraient mettre fin aux «accaparements des terres », accroître leur production agricole et améliorer leurs perspectives de développement. Mais ils devront moderniser, au cours de la décennie, les procédures complexes qui régissent le droit foncier et la gestion des terres en Afrique. L’Afrique a le taux de pauvreté le plus élevé au monde avec 47,5% de la population vivant avec moins d’1,25 dollar par jour.
Selon le rapport, peu de défis du développement en Afrique sont aussi urgents et controversés que la propriété foncière et l’écart persistant dans ce domaine entre les communautés riches et pauvres. La profonde mutation démographique en Afrique est marquée par l’exode vers les villes où la moitié de la population du continent vivra à l’horizon 2050. Ces écarts deviendront de plus en plus prononcés, au moment où les gouvernements et les communautés relèvent le défi consistant à produire suffisamment de denrées alimentaires nutritives pour permettre à toutes les familles de prospérer sur le continent.
« Dans certains pays de la région, ces écarts accompagnés par des taux élevés de pauvreté et un chômage généralisé sont devenus suffisamment larges pour compromettre la croissance partagée et la cohésion sociale. Les femmes sont particulièrement vulnérables. Elles représentent jusqu’à 70 % des exploitants agricoles en Afrique. Et pourtant, elles sont pour la plupart exclues de la propriété foncière par les lois coutumières. Les femmes sont dépourvues de titre de propriété sur la terre qu’elles exploitent. Elles ne peuvent pas mobiliser l’argent dont elles ont besoin pour augmenter leurs maigres récoltes ou relever leur niveau de vie. Cet héritage préjudiciable perpétue la pauvreté. Il pèse sur la vie des femmes qui occupent et continueront d’occuper une place centrale dans l’agriculture » note le rapport.
Selon la Banque mondiale, de nombreux pays dans le monde ont été confrontés au défi de la privation des terres et de l’inégalité de la propriété foncière. La flambée des prix des denrées de base et l’accroissement de l’investissement direct étranger ont augmenté le rendement potentiel de l’investissement dans l’administration foncière. « Nous devons répondre aux recommandations de ce rapport avec la volonté politique et le leadership nécessaires pour transformer l’agriculture en Afrique et les perspectives de développement du continent.
L’occasion de mettre un terme aux difficultés que l’Afrique rencontre depuis longtemps en matière de propriété et de productivité des terres n’a jamais été aussi bonne. Il faut agir maintenant », notre l’institution financière internationale.
Synthèse D. D.
Source: L’Essor