L’élection présidentielle en Egypte, dont le premier tour se tiendra du 26 au 28 mars verra le maréchal Al-Sissi se succédera certainement à lui-même faute de concurrents sérieux. Un article de Rabbah Attaf
Ils étaient pourtant plusieurs candidats à se bousculer au portillon, militaires ou civils, annonçant même leurs candidatures via Twitter et autres réseaux sociaux. Mais l’un près l’autre, ils ont été préventivement éliminés de la course.
A commencer par Ahmed Chafiq, ex-chef militaire agé de 76 ans et dernier Premier ministre de Moubarak, exilé aux Emirats Arabes Unis depuis son acquittement pour corruption. Il avait annoncé sa candidature dans une vidéo mise en ligne fin novembre dernier, y précisant même qu’il était empêché de voyager. Expulsé le 2 décembre par Abou Dhabi, il a finalement posté, le 7 janvier 2018, une déclaration de désistement sur son compte Twitter. Il y estime « ne pas [être] la personne idéale pour mener les affaires de l’État dans la période à venir ». Une volte-face surprenante venant d’un homme perçu comme un adversaire gênant d’Al-Sissi -au deuxième tour des élections présidentielles de 2012 il avait fait un score de 48,27% des votants. Selon le New York Times, Ahmed Chafiq a en fait capitulé face aux pressions du pouvoir en place. En clair, selon l’un de ses avocats, des menaces de poursuites judiciaires concernant d’anciennes affaires de corruptions.
Autre candidat de poids, le général-major Sami Anan qui, durant le soulèvement de janvier 2011, s’était rendu populaire auprès des insurgés de la place Tahrir en servant de médiateur entre leurs représentants et le Conseil Suprême des Forces Armées. Connu comme réconciliateur, c’est un partisan d’une réintégration des Frères musulmans dans le jeux politique. A la retraite depuis sa mise à l’écart en 2012 par l’ex-président Mohamed Morsi, Sami Anan avait annoncé sa candidature le 19 janvier dernier, quelques heures après celle du président actuel.
Sami Anan n’est pas n’importe qui. Il bénéficie, selon des observateurs du sérail du pouvoir égyptien, de l’appui de réseaux au sein de l’armée, notamment de son ami, Khaled Faouzy, le puissant patron des RG militaires, une puissante agence chargée des sondages. Autant dire qu’il risquait de faire de l’ombre au président sortant. Est-ce le hasard ? Khaled Faouzy a été remplacé il y a peu par un aide de camp d’Al-Sissi tandis que le 23 janvier, Sami Anan était arrêté juste après la lecture d’un communiqué de l’armée diffusé sur la télévision d’État. En fait une sorte de mandat d’amener, indiquant que Sami Anan est recherché pour répondre d’« incitation à la division entre les forces armées et le peuple » et de falsifications de documents officiels. Le jour même, le général-major était déféré devant un procureur militaire. Depuis, ni sa famille, ni même ses avocats n’ont pu le joindre.
Le colonel Ahmed Konsowa, un illustre inconnu qui a fait un buzz sur YouTube, a lui aussi rapidement déchanté. Il ne pourra finalement pas concourir à l’élection. Lui aussi avait annoncé sa candidature, fin novembre dernier, dans une vidéo dans laquelle il martelait « être plein d’espoir » pour « un avenir meilleur ». Il y déclarait également que sa hiérarchie l’empêche de quitter l’institution pour se présenter et préparer sa campagne. La réaction de ses chefs ne s’est pas faite attendre ! Interpellé le 2 décembre, il a été condamné le 19 par le tribunal militaire du Caire à six ans de prison. Raison officielle : « comportement nuisant aux exigences du système militaire ». Depuis son arrestation, le colonel Konsowa est incarcéré dans une prison de l’armée.
Coté civils, Exit Hicham Geneina, l’ex-président de l’Autorité centrale d’audit (l’équivalent de la Cour des Comptes française) limogé de son poste par le président Al-Sissi en 2016. Ce chantre de la lutte anti-corruption avait dénoncé, dans un rapport retentissant rendu public en 2016, les détournements de l’argent publics de différents ministères. Après le rejet de sa candidature par la commission électorale, il avait rejoint l’équipe de campagne du général Sami Anan. A la suite de quoi Hicham Geneina a été agressé à l’arme blanche alors qu’il se rendait, le 27 janvier dernier, à la Cour suprême administrative devant laquelle il conteste toujours son renvoi du poste de président de l’Autorité centrale d’audit. D’après son avocat, il a échappé à une tentative d’enlèvement.
L’avocat Khaled Ali, quant à lui, était l’unique adversaire d’Al-Sissi en 2014. Ce chantre des luttes sociales, âgé de 45 ans, n’avait alors obtenu que 0,58 % des voix. Mais cette fois, il pouvait compter sur Hamdine Sabahi, qui lui a déclaré son soutien le 21 janvier dernier. Candidat en 2012, cet ancien opposant nassérien à El-Sadate et à Moubarak, avait fini à l’époque en troisième position, avec 20,7 % des voix, derrière Ahmed Chafiq. Sauf que la candidature de Khaled Ali a vite tourné court… du fait d’un harcèlement judiciaire ! Il est en effet poursuivi pour « atteinte à la décence publique » . Lors d’une manifestation, en janvier 2017, devant le siège du Conseil d’État, il aurait fait un bras d’honneur. Ce geste constitue une entrave à l’article 1 des règles des élections 2017. La mesure interdit à toute personne reconnue coupable de félonie ou d’un crime impliquant « un acte immoral » de concourir à l’élection.
Le 24 janvier dernier, avant même l’annonce de son verdict prévue le 7 mars prochain, Khaled Ali a finalement jeté l’éponge, dénonçant que sa candidature « avait été accueillie avec une réaction de colère et d’irresponsabilité, se manifestant par l’arrestation d’un grand nombre de (ses) jeunes militants ». Et d’ajouter que les candidats potentiels n’avaient pas eu le temps d’obtenir les parrainages nécessaires pour s’enregistrer avant la date butoir du 29 janvier, annoncée seulement le 8 janvier par l’Autorité nationale des élections. Selon cette figure de la révolte de 2011, le calendrier électoral ne permet pas une « élection (présidentielle) libre et juste ».
Bref, « la bataille est perdue d’avance », comme l’a déclaré Mohamed Anouar El-Sadate, neveu de l’ancien président assassiné, pressenti pour être le candidat du Parti de la réforme etdu développement (centriste). Ce député, connu pour sa verve contre les violations des droits humains en Egypte, avait été exclu du Parlement -acquis au régime- en février 2017. Il était accusé d’avoir divulgué des informations sensibles aux diplomates occidentaux, en l’occurrence le projet de loi sur les ONG déjà largement diffusé sur internet. En clair, une « haute trahison » qui avait déchaîné les médias et une partie de l’opinion publique contre lui. Echaudé par cette sale affaire, le député a préféré finalement ne pas tenter la course à la présidentielle. Et éviter ainsi de déchaîner à nouveau les foudres du pouvoir !
Les Egyptiens ont, quant à eux, une désagréable sensation de déjà-vu. « Comme sous l’ère Moubarak », constatent-t-ils dépités. Une période électorale « extrêmement courte » couplée à la case prison pour les potentiels candidats. Sauf que, le président actuel, a sorti de son chapeau deux mesures préventives pour garantir sa réélection : la pression sur ses concurrents se fait en amont et un candidat providentiel est désormais en lice. Résultat : les électeurs -du moins ceux qui se déplaceront aux urnes- auront désormais le choix entre Al-Sissi et un supporter d’Al-Sissi, Moussa Moustafa Moussa ! Ce dernier a annoncé sa candidature à la dernière minute, le 29 janvier dernier. Dirigeant du Ghad, un parti libéral réduit à l’état de coquille vide depuis que son fondateur, Ayman Nour, s’est réfugié à Beyrouth après le coup d’état militaire de juillet 2013, M. Moussa n’a jamais caché être un partisan du président sortant pour lequel il récoltait des parrainages. Unique concurrent validé par l’Autorité nationale des élections, il faisait encore jusqu’à récemment l’éloge d’Al-Sissi sur sa page Facebook.
Et pour couronner le tout, Younes Makhioun, le président du parti islamiste ultra-conservateur El-Nour a annoncé son soutien indéfectible au maréchal Al-Sissi. « Le président actuel, Abdel Fattah al-Sisi, est le seul capable d’assumer ses lourdes responsabilités et d’instaurer une coopération entre toutes les institutions de l’Etat, les forces armées, la police et le parlement », déclarait-il lors d’une conférence de presse tenue le 28 janvier dernier au Caire. Pas étonnant : ce parti d’extrême droite avait applaudi des deux mains le coup d’Etat d’Al-Sissi de juillet 2013 qui avait précipité dans la clandestinité leurs principaux rivaux, c’est à dire les Frères musulmans jugés par eux trop laxistes.
En définitive, cette élection présidentielle s’annonce déjà comme un plébiscite programmé en faveur d’Al-Sissi, même si cinq personnalités d’opposition l’accusent, lui et son régime, « d’empêcher toute compétition loyale », et ont appelé, dans une déclaration commune rendue publique le 28 janvier dernier, la population à boycotter le scrutin.
Depuis, la situation économique difficile, la restriction des libertés individuelles et la menace sécuritaire ont asséné un grand coup à la popularité du président. « Il ne suscite plus la même ferveur qu’au début de son mandat, où il a profité de la défiance du peuple à l’égard des Frères musulmans, confirme Anne-Claire Bonneville. Les Égyptiens se plaignent de la dureté de la vie et dénoncent une grande régression de leur niveau de vie par rapport à celui qu’ils avaient sous l’ère Moubarak. Le constat est encore plus amer sur le plan des libertés individuelles. En sept ans, les Égyptiens disent avoir perdu la liberté de parole ».
Une restriction des libertés et des arrestations en masse justifiées par la lutte contre le terrorisme. « La défense d’Al Sissi sur ces manœuvres régulièrement dénoncées par les ONG repose sur un argument : s’il ne sévit pas, le pays sombrera dans le chaos. » Des pratiques qui provoquent chez les Égyptiens une désagréable sensation de déjà-vu : une période électorale « extrêmement courte » couplée à la case prison pour les potentiels candidats… Al Sissi perpétue la tradition Moubarak. Sauf que, avec le président actuel, la « pression se fait même en amont ». Comme une stratégie bien huilée, qui sans nul doute le portera à sa propre succession.
Rabha Attaf, grand reporter, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient
Auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée »
Mondafrique