Surpris par l’ampleur d’une guérilla islamique dont ils n’avaient pas pris la mesure, les militaires français entreront probablement dans une phase de reconfiguration de leur dispositif sur le terrain au Sahel.
L’utilisation d’explosifs plus puissants et surtout de bombes télécommandées à distance, sur le modèle employé dans les années 1990 par le Hezbollah au Liban-Sud, a surpris l’état-major français et causé des pertes en hommes et en matériel.
Deux soldats français de l’opération Barkhane ont été tués et un autre blessé, ce mercredi 21 février 2018, dans une explosion dans le nord-est du Mali, une zone frontalière du Niger réputée servir de refuge à des groupes jihadistes que la force conjointe du G5-Sahel menée par la France s’est donnée pour mission de chasser.
Un groupe musulman radical dirigé par Abou Walid al-Sahraoui, ex-responsable du Mouvement pour le jihad en Afrique de l’Ouest – Mujao -est responsable de cette attaque contre les forces françaises. Ce leader islamique a depuis un moment un nouveau titre, celui de premier responsable de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Selon plusieurs les médias locales, il serait tantôt au Mali, tantôt au Niger, recrutant au sein des populations et des djihadistes maghrébins.
Au Mali, Iyad Ag Ghali, leader du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), et Abou Walid al-Sahraoui, émir de l’État islamique au grand Sahara (EIGS), ont entamé récemment un rapprochement. Leur alliance serait surtout effective dans la zone dite des trois frontières (Mali-Burkina-Niger), où la force conjointe G5-Sahel compte se déployer.
Si l’Etat islamique du Grand Sahara considère la force Barkhane de l’armée française comme ennemie, il a dans cette partie du désert un autre adversaire : la force conjointe du G5-Sahel. Face à ces deux forces, les terroristes musulmans, qui évitent les affrontements directs, utilisent surtout la stratégie de l’attaque à l’engin explosif improvisé.
Situation difficile pour l’armée française et la sécurité des soldats est en jeu
L’armée française, qui est sur-engagée par rapport à ses capacités, reste partagée entre des opérations extérieures et une opération de sécurité renforcée sur le territoire français (gares, synagogues, écoles…). Elle n’est pas capable de déployer sur chacune de ses opérations les effectifs et les moyens nécessaires. Ce faisant, elle a du mal à parvenir à des résultats rapides et convaincants. On l’a vu au Mali et en Centrafrique, on le voit aujourd’hui dans les opérations Barkhane au Sahel.
Le Sahel s’étend sur la zone qui inclut la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, et par extension une partie du Sénégal et du Burkina-Faso. Soit un ensemble plus vaste que la géographie de l’Europe. Dans cette une région pullulent d’innombrables groupes terroristes musulmans.
La difficulté de l’opération Barkhane est qu’avec 3000 hommes, dans cette zone qui est plus vaste que l’Europe, des dizaines d’années seraient nécessaires pour aboutir aux résultats recherchés, et des dizaines de soldats français seront sacrifiés. On compte déjà 22 morts. Paris ne semble pas avoir une stratégie de sortie envisageable. Elle veut encore participer directement à la défense de la sécurité des pays africains pour de nombreuses années.
Beaucoup s’interrogent à l’occasion sur l’efficacité de la stratégie mise en place par l’armée française pour lutter contre le terrorisme au Sahel. Cinq ans après le début de l’opération Serval et malgré son prolongement, l’opération Barkhane, l’insécurité et le terrorisme islamiste ne cessent de se propager et cela met en danger les troupes françaises.
Le chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers, a même démissionné en juillet dernier. La sécurité des soldats est en jeu à cause du manque de profondeur stratégique du président Emmanuel Macron. La colère gronde désormais dans les régiments et le président ignore les revendications de la communauté militaire. La guerre au Sahel commence à provoquer une surchauffe à tous les niveaux.
Paris ne pourra pas compter sur la force supplétive des États-Unis
A en croire la presse américaine, le département de la Défense envisage de réduire le nombre de missions au sol effectuées en Afrique de l’Ouest. suite à l’attaque au Niger qui a coûté la vie à quatre soldats américains, début octobre 2017, lors d’une embuscade tendue par des islamistes armés affiliés au groupe État islamique (EI) équipés d’armes automatiques, de grenades et de véhicules armés, le New York Times propose de réduire la présence militaire américaine en Afrique de l’Ouest tout en préconisant aux forces de l’Africom (forces américaines en Afrique, dont le QG se trouve à Stuttgart) de prôner une politique de prudence dans cette région.
Selon des responsables militaires américains, ces nouvelles recommandations ne vont pas concerner la Libye et la Somalie, où Africom s’est engagé avec les forces locales à combattre plusieurs groupes terroristes, dont Al-Qaîda, les Shebab et l’organisation autoproclamée État islamique.
L’enquête est encore en cours pour savoir les circonstances de cette tragédie.
Pour Washington, le Sahel est donc un trou noir qu’il faut absolument éviter, surtout qu’on annonce le retour dans la région de milliers d’éléments de Daech.
Cette hypothèse est d’ailleurs confirmée par le fait que le projet de rapport sur l’embuscade du Niger recommande instamment que les missions jugées risquées soient contrôlées rigoureusement par le Pentagone à Washington ou le commandement d’Africom à Stuttgart.
«Les commandants militaires sur le terrain ne seront plus autorisés à mener de telles missions de leur propre chef», indique ce rapport cité par le New York Times.
«La nouvelle stratégie pourrait être interprétée comme une volonté des Etats-Unis de privilégier l’engagement diplomatique et politique au Sahel dans un contexte de défis sécuritaires accrus et en l’absence de financements et de coordination pour la force militaire G5 Sahel, commentent des observateurs», ajoute la même source.
Un rencontre placée sous l’égide de l’Union européenne et des Nations unies pour la force du G5 Sahel
Une rencontre des pourvoyeurs des fonds du G5 Sahel débute ce vendredi 23 février 2018 à Bruxelles. Outre les chefs d’Etat des pays qui composent le G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie et Tchad) y participeront la France, l’Union européenne, le représentant des Nations unies et une dizaine de ministres des Affaires étrangères.
Cette rencontre du G5 élargi, qui peine à drainer les fonds (450 millions d’euros) nécessaires au fonctionnement de la force conjointe de ces pays africains, intervient au lendemain de la mort de deux soldats français, portant à 22 le nombre de soldats français de l’opération Barkhane tués au Mali.
Cette force, dont la création a été décidée par la France, est encore paralysée en raison d’un manque de financements. Réunis en sommet les 6 et 7 février 2018 à Niamey, les chefs d’Etat du G5-Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) avaient d’ailleurs réitéré leur demande à la communauté internationale d’un soutien financier supplémentaire pour leur force militaire conjointe lancée début 2017 et qui devrait compter 5 000 soldats. Ces cinq pays, parmi les plus pauvres du monde, peinent en effet à payer.
Pour l’heure, l’Union européenne en a promis 50 millions d’euros, la France 8 millions, surtout du matériel, et chacun des cinq pays fondateurs 10 millions. Il faut ajouter à ces sommes une contribution annoncée de l’Arabie Saoudite de 100 millions de dollars (80 millions d’euros) et une promesse américaine d’aide bilatérale globale de 60 millions de dollars (49 millions d’euros) aux cinq pays membres du groupe.
La Grande-Bretagne se prépare à aider Paris avec des hélicoptères militaires pour lutter contre les islamistes au Sahel.
Aggravation de la situation sécuritaire au Sahel après la chute de Khadafi
L’effet domino de la déstabilisation, qui fait du Sahel une zone de tous les dangers, a commencé avec l’élimination du régime, longtemps présenté comme digue de stabilisation, de Mouammar Kadhafi, en octobre 2011.
Le tsunami provoqué par le changement de régime en Libye déstabilise actuellement le Mali. Dans ce pays les gens considèrent que les responsables de la déstabilisation de la Libye et, par ricochet du Mali, sont non seulement Nicolas Sarkozy mais aussi Hussein Obama. Cela explique la colère de la population locale contre les soldats français. Ce constat est aussi valable dans toute cette région qui est composée de nombreux États faillis.
Un panel d’experts soutient, dans un rapport remis au Conseil de sécurité de l’ONU, que l’instabilité qui caractérise la Libye est aggravée par l’intensification des activités des groupes armés tout au long des frontières avec le Tchad et le Soudan.
Mauvaise gouvernance, États faillis et absence de cohésion nationale du fait du morcellement ethnique ont préparé les conditions du chaos de la région livrée aux organisations terroristes islamiques reliées à des agendas politiques des pays comme celle du Qatar et de l’Iran .
Les aléas climatiques, les épisodes de sécheresse extrême et un déficit hydrique qui ont eu raison de 90% des réserves du lac Tchad ont ravivé les querelles ancestrales entre nomades et sédentaires et imposé une fragilité structurelle qui n’attendait que les pyromanes islamistes pour attiser un immense brasier. L’incapacité des États sahéliens à garantir leur propre présence sécuritaire créent un vacuum, foyer de toutes les instabilités. La matrice idéologique djihadiste a donc planté profond ses racines.
Dans cette région aux nombreuses fragilités, chaque nouvel épisode climatique extrême s’accompagne d’un cortège de malheurs et les ressources, lorsqu’elles ne sont pas pillées, ne sont pas disponibles pour être investies dans l’éducation et la santé. Ici on enregistre une mortalité infantile record de plus de 3,5% et un faible accès à la santé et à l’éducation.
L’insécurité alimentaire est devenue la règle pour la majorité de la population, couplée à une forte explosion démographique, chaque bouche à nourrir devient fardeau et chaque désespéré candidat à l’exil. Les trafics en tous genres prospèrent ici avec des passeurs et des esclavagistes musulmans.
Source: Dreuz