Au Mali, la vie chère n’est pas venue à bout des habitudes acquises qui ont manifestement le cuir assez dur. Malgré la grave crise dans laquelle le coup d’état du 22 mars 2012 a entrainé le pays, le quotidien des citoyens ne s’en trouve pas aussi dévalué qu’on aurait pu l’imaginer.
Bien qu’une forte majorité des Maliens vivent en dessous du seuil de pauvreté, le train de vie de certains de nos concitoyens donnent à réfléchir. Pour ces derniers, la vie chère n’est en fait qu’une question d’ambiance générale. Les maquis, les bars, les restaurants et les boîtes de nuit ne désemplissent pas. Les chiffres d’affaires des stations d’essence sont loin d’être catastrophiques. Hormis les chantiers publics, ceux des particuliers n’ont véritablement pas connu un coup d’arrêt. Les bâtiments poussent chaque jour. Les vendeurs des véhicules «au revoir France» et des engins à deux roues font toujours des recettes. Les grosses cylindrées et nouvelles marques de voitures pullulent dans les artères de la capitale. Les magasins et les boutiques sont pris d’assaut chaque jour. Même si l’état d’urgence a considérablement réduit les tintamarres dus aux grands attroupements, aux sons des griottes, les mariages et les baptêmes, n’ont pas perdu leurs lustres d’antan. Aucune enquête n’indique que de nombreux Bamakois ont effectué un retour précipité au village pour changer de résidence même si tout le monde sait que le grand reflux qu’on a enregistré en 2012 et 2013 est d’ordre sécuritaire. Même les affectations des fonctionnaires dans les régions « sécurisées » ne sont généralement pas consécutives aux demandes de ces derniers. Bien au contraire, elles sont plus nombreuses, les requêtes qui visent à rapprocher les demandeurs des centres urbains où la vie chère est censée être plus aigüe. Il est vrai que ces dernières semaines, les augmentations enregistrées çà et là donnent du grain à moudre aux syndicats qui tentent de redéfinir leurs angles d’attaque. Mais les mots d’ordre du genre «consommer local», «diminuer les courses», «opter pour les transports en commun» se révèlent même parfois comme des provocations chez des citoyens qui ont du mal à reculer sur le terrain des habitudes acquises. Les nombreuses revendications pour une augmentation des salaires étant restées sans suite chez les travailleurs du public et du privé, on se demande, où ces derniers trouvent-ils les ressources nécessaires à leur « stabilité ». Pour des gens qui, d’habitude, ont fini de consommer leur salaire par avance, il est impossible d’imaginer qu’ils puisent dans leurs réserves. Comment explique-ton donc tous ces signes extérieurs de maintien du train de vie malgré la crise qui fait crier en chœur de nombreux citoyens ? Chacun a-t-il trouvé la parade ? Il faut espérer, puisque généralement personne ne dévoile son petit secret.
Idrissa DICKO