Edem Kodjo n’est plus : La triste nouvelle a secoué plus d’un alors même que les ravages de la pandémie du Covid-19 (qui n’est pas la cause de sa mort) ont chassé la peur irraisonnée de la mort qui rode présentement partout aux portes de chacun sans distinction de race encore moins de rang social. Répondant à l’écho de son destin, lui est parti à l’âge de 82 ans au moment où on s’apprêtait à célébrer Pâques, fête de l’espérance, clé de voute de la foi Chrétienne, véritable invitation à vivre les épreuves avec confiance et détermination,fussent-elles les plus dures. Alors simple hasard, que le Koro (le doyen Edem) ait choisi ce moment pour nous quitter ? Aucunement.
On peut affirmer qu’il est mort comme il a vécu, porteur d’espérance pour Sokodé, sa ville natale, pour son pays le Togo, l’Afrique son continent. Il suffit de lire son ouvrage « Demain l’Afrique » pour s’en convaincre. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison que les panafricanistes lui rendent hommage en plus de nos modestes voix. Intellectuel au sens noble du terme, Edem Kodjo avait compris que le remède aux multiples souffrances du continent réside dans l’unité concrète avec une intégration pragmatique axée sur l’union des forces et des potentiels permettant une solidarité agissante seule à même d’imposer qu’on compte avec l’Afrique. Non plus par grand appétit pour nos matières premières agricoles, minières notamment, mais par crainte et par considération pour ce dont une Afrique véritablement unie sera capable dans tous les domaines sur la scène internationale. En cela, il était bien le disciple des Kwame Nkrumah, Nasser, Cheik Anta Diop; etc.
Edem Kodjo m’avait fait le grand honneur et le plaisir d’être l’invité de la 10e édition du Club de la presse de Radio Klédu, le samedi 7 novembre 1998 sur le thème : « Handicaps et atouts de l’Afrique en construction ». Son exposé introductif et ses réponses sans détour aux questions et problématiques soulevées avait tellement conquis les cœurs que la pléiade de personnalités politiques et administratives et universitaires de l’espace malien qui m’avait honoré de leurs participations au débat (Almamy Sylla, Me Demba Diallo, Pr Ali Nouhoum Diallo président du Parlement à l’époque, Me Abdoulaye Sékou Sow, Pr Mamadou Lamine Traoré, Mme Aminata Dramane Traoré, Amadou Daouda Diallo, Iba N’diaye, Oumar Hamadoun Dicko, Ousmane Sy, Me Mountaga Tall ; j’en oublie certainement tout en ayant une pensée pieuse pour ceux qui nous ont quittés), ont tous reconnu la pertinence du thème, la qualité de l’invité et la richesse des échanges. Ce à quoi je répondais invariablement que seul le débat contradictoire passionnant mais pas passionné, peut aider à construire et consolider une démocratie. Pas les monologues programmés dont les auditeurs se détournent rapidement en changeant de chaines ou en se refugiant sur l’écran de leur portable en ces temps de réseaux sociaux alors qu’il y a tant de sujets à débattre vrai pour construire. En grand intellectuel, Edem Kodjo savait détecter les pannes de sens c’est-à-dire les chemins conduisant à l’impasse ; alors il s’imposait la bonne formulation des problèmes car, disait-il, un problème bien identifié et bien posé trouvera forcément sa solution. L’Afrique sait d’où elle vient (esclavage, colonialisme, exploitation continue, marginalisation) mais elle semble ignorer où elle veut aller utilement parce qu’elle doute trop à opérer des choix, aimait dire Edem Kodjo. Nos échanges se poursuivaient lors des repas à domicile, révélant davantage la dimension sociale et spirituelle de cet homme à la fine moustache et à la superbe coupe de cheveux. D’un commerce agréable, il m’apprendra beaucoup sur l’univers des chefs d’état africains et autres grands du monde qu’il a longtemps côtoyés. Mais pourquoi son aventure à la tête de l’OUA a été abrégée alors même qu’il avait façonné la visibilité avec le Plan de Lagos par rapport au NEPAD qui semble un tonneau vide qui roule ? Réponse sèche : « Le processus d’unité africaine tarde tant à prendre de la maturité alors que les atouts sont évidents parce que l’esprit de micro-nations est encore vivace. Lorsqu’il y aura plusieurs acteurs et décideurs dévoués à la mission, elle se réalisera et peut-être que je ne serai plus là pour applaudir. Mais de là-haut j’encouragerai ».
Optimiste né mais pas naïf tel était Edem Kodjo. Très à l’aise dans les palais comme dans les cases du village du fait de l’humilité qui le caractérisait au point de surprendre plusieurs collègues de la direction générale d’EDM S.A qui l’ont vu monter à cet âge les escaliers pour aller me cueillir aux fins de retrouvailles fraternelles, lorsqu’il apprit que j’avais migré dans cette entreprise pour une autre expérience en 2010. Bien qu’étant parvenu au sommet, le natif de Sokodé au centre du Togo, ancien secrétaire général de l’OUA, deux fois Premier ministre, plusieurs fois ministre, ancien élève de l’ENA de France, professeur d’universités, administrateur d’institutions bancaires, médaillé de l’Université de Paris-Sorbonne, membre du Club de Rome, vivait sa foi catholique sans complexe. à chacun de ses passages à Bamako, il allait à la messe à la Cathédrale après une visite de courtoisie à l’Archevêque. N’est-il pas d’ailleurs aussi l’auteur de l’ouvrage théologique sur les « Pères de l’église » qui traite de l’élaboration de la doctrine chrétienne de la fin du 1er au 5e siècle ? C’est cet homme aux compétences plurielles, c’est ce baobab de l’espérance qui vient de se coucher.
Au sortir de Pâques et en cette approche du mois sacré du Ramadan, les Africains, l’humanité n’oublieront pas Edem Kodjo dans leurs paniers de bénédictions d’espérances. Dors en paix cher Koro.
Tiona Mathieu
KONÉ
Journaliste