“Les Maliens veulent un État refondé avec une constitution qui prend en charge la véritable préoccupation des Maliens”
Pour boucler en beauté l’émission “Mali Kura Taasira”, le Premier ministre, Dr Choguel K. Maïga était, dimanche soir, sur l’Ortm. Pendant plusieurs heures d’horloge, le chef du gouvernement a fait le point de son bilan. Plusieurs sujets ont été évoqués, notamment la création d’une autorité indépendante pour gérer les élections, le Programme d’Action Gouvernementale, la révision constitutionnelle… Voici la première partie de cet entretien.
Le président de la Transition, dès le 16 juin 2021, à l’occasion du Conseil des ministres inaugural, a donné au gouvernement les missions précises suivantes : Premièrement, le retour de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, deuxièmement, la réalisation des réformes politiques et institutionnelles. Troisièmement, instaurer la bonne gouvernance et la réduction du train de vie de l’État et enfin créer les conditions d’organisation d’élections libres et transparentes. Après avoir donné ces missions, le président a indiqué clairement que le gouvernement doit s’atteler immédiatement à rechercher le plus rapidement l’apaisement social, chercher à fédérer l’ensemble des forces patriotiques et susciter leur adhésion pour la réussite de la mission afin de créer les conditions de refondation de l’État malien pour aboutir à des institutions qui correspondent aux réalités et au souhait des Maliens.
Ce jour-là, le président de la Transition nous avait indiqué que nous n’avons droit ni à l’erreur, ni à l’échec, que le temps nous sera compté, que nous ne serons à l’abri des critiques, encore moins de nous pardonner certaines déviances. Le gouvernement mis en place a pris l’engagement de présenter devant le Conseil National de la Transition dans un délai de six (6) semaines le Programme d’Action Gouvernementale (PAG). C’est une pratique à laquelle les Maliens n’étaient pas habitués. D’habitude, c’est six (6) mois, souvent il y a même eu des cas ou des premiers ministres, du début à la fin de leur mandat, n’ont pas présenté de programme devant l’Assemblée nationale.
Au lendemain de l’installation du gouvernement, nous étions dans une situation de grogne sociale, des grèves illimitées partout, plus de 102 préavis de grèves de plus de 40 syndicats. Dans ce contexte, lorsque le gouvernement a pris fonction, il s’est attaché d’abord à calmer la grogne sociale et rentrer en discussion avec les syndicats. Tout le gouvernement mobilisé sur les instructions du président de la Transition, avec le Premier ministre lui-même en tête. J’ai conduit des discussions avec les syndicats des nuits durant, des jours durant, à la fin nous sommes arrivés à apaiser le front social. Cela a eu un coût, mais la paix n’a pas de prix. Pendant que le pays est en guerre, le gouvernement a fait des efforts exceptionnels. Rarement nous avons vu un pays en guerre qui augmente les salaires des agents de l’État. Généralement, pendant les guerres, nous avons plus tendance à baisser les revenus.
Plus de 204 milliards de Fcfa supplémentaires ont été mobilisés pour faire face à ce que nous avons appelé l’harmonisation de la grille salariale. Au même moment, le Président a décidé que le secteur agricole soit l’une des priorités après la défense et la sécurité, comme les gens disent souvent qu’un peuple qui a faim ne peut pas assumer son honneur et sa dignité. De 10 milliards de Fcfa de subvention pour les engrais dans les années précédentes, nous sommes allés à 15 milliards de Fcfa. Et cette année, 17 milliards de Fcfa, donc 70% d’augmentation de subvention sur les prix de l’engrais. Les paysans ont eu l’engagement du gouvernement d’augmenter le prix du coton jusqu’à plus de 280 Fcfa. Les effets combinés de l’aide de subvention à l’agriculture et l’augmentation du prix du coton ont mobilisé le monde paysan et notre pays a retrouvé sa place de premier producteur du coton en Afrique de l’Ouest, avec près de 800 000 tonnes.
La production des produits céréaliers a augmenté sensiblement, mais les efforts des paysans ont été réduits par endroits par les actions des groupes terroristes.
Quand ils n’ont pas empêché les paysans de cultiver, ils ont brûlé ce qu’ils récoltent. Aujourd’hui, le gouvernement est mobilisé pour assurer la sécurité alimentaire des Maliens et Maliennes. Une petite l’illustration : le barrage de Markala, vieux de plus de 70 ans, depuis plus d’une décennie les techniciens ont attiré l’attention de différents gouvernements sur les risques s’il n’y a pas de réparation sur le barrage. Plus de 3 milliards de Fcfa ont été mobilisés par le gouvernement de la Transition pour la réhabilitation de ce barrage.
Dans le domaine de l’école, un pays sans école n’existe pas. Il y a plus de 500 ans, un conseiller d’un empereur chinois lui a dit ceci lorsqu’ils voulaient aller en guerre contre ses voisins, il lui a dit que ce n’est plus la peine de faire la guerre parce qu’elle trop coûteuse et incertaine. Ce qu’il faut faire, c’est de travailler à détruire le système éducatif de ses adversaires et généraliser la corruption au niveau de l’élite dirigeante. Dans 25 ans maximum, vous aurez un peuple ignorant et dirigé par les corrompus. Vous occuperez leur pays en quelques semaines. J’ai dit cela pour vous montrer l’importance que le gouvernement, sous la direction du président de la Transition, a donné à la reprise de l’école, à la lutte implacable contre la corruption et l’impunité parce que c’est des conditions du redressement de la nation.
Aujourd’hui, même ceux qui sont contre la Transition, avant d’exprimer leur mécontentement, disent que dans le domaine de la sécurité tout va bien, mais ailleurs cela ne va pas, en oubliant que le gouvernement est un tout. Le premier ministre coordonne le travail gouvernemental, ce qu’on peut dire de la sécurité, dans l’importe quel secteur vous pouvez le dire, mais comme le besoin de sécurité est le plus pressent…
Le président de la Transition a décidé d’une réorientation stratégique de notre politique de défense et d’une réorganisation opérationnelle pour que notre pays puisse assumer, assurer la défense de son territoire, sachant bien que la défense est le principal outil d’exercice de la souveraineté de l’État, de l’affirmation de notre indépendance et de nos choix politiques. Des efforts importants ont été faits qui ne sont discutables aujourd’hui. Certains voulaient inculquer ce virus de la défaite dans la tête des Maliens pour leur dire qu’ils ne peuvent rien sans les autres. Aujourd’hui, notre armée est une fierté nationale, aujourd’hui la peur a changé de camp, des décisions courageuses ont été prises.
Notre armée peut intervenir sur l’importe quelle partie de notre territoire sans avoir besoin de l’autorisation, de la permission de qui que ce soit. Aujourd’hui, les Maliens ont le sentiment général de fierté, de restauration de la dignité de notre peuple.
ORTM : Le gouvernement a décidé de la création d’une autorité indépendante pour gérer les élections. Pouvons-nous connaître la composition de cet organe unique ? La création de cet organe unique va-t-elle garantir la crédibilité et la transparence des élections ?
Choguel Maïga : Les réformes politiques et institutionnelles sont une exigence fondamentale du peuple malien. Vous vous souviendrez qu’en 2018, après l’élection présidentielle, nous avons eu l’une des plus graves crises politiques postélectorales qui a duré des mois à l’intérieur et à l’extérieur du pays, dans les villes et dans les campagnes.
Face aux risques déstabilisation du pays, la Cédéao avait dépêché en son temps une mission de haut niveau conduite par le ministre des Affaires étrangères du Nigéria qui a déposé un rapport et ce rapport disait quoi en substance ? En octobre 2018, la Cédéao disait qu’après analyse de la situation politique, après avoir échangé avec l’ensemble des forces politiques et sociales, elle fait une recommandation forte, c’est de ne plus tenir des élections en République du Mali sans faire des réformes politiques et institutionnelles exigées par les populations. D’ailleurs, nous pensons que les soulèvements de 2020 qui ont conduit au changement du régime, entres autres raisons, est le résultat de non-application de cette recommandation de la Cédéao parce que le gouvernement d’alors n’a pas fait de réforme.
La deuxième chose est que cela fait 20 ans que le besoin de réforme politique et institutionnelle, notamment la réforme de la constitution, s’était posé. Vous vous souviendrez qu’en 2001, le président d’alors avait initié une réforme constitutionnelle. La loi de cette réforme avait été votée à l’Assemblée nationale, la date avait été fixée, le collège avait été convoqué, mais à la dernière minute, elle a été reportée sinon annulée. Le président est élu en 2002 et il a fait dix (10) ans, à la dernière année, il voulait procéder à une révision de la constitution, Dieu en a décidé autrement, il y a eu le changement de régime avant la révision.
En 2017, un troisième président a tenté la révision de la constitution, face au risque de soulèvement populaire parce qu’il y avait des doutes quant à l’objectif visé par la révision, à la dernière minute, le Président a fait une adresse à la nation pour retirer cette révision de la constitution. Cela veut dire qu’il y a un besoin profond de réforme au Mali demandé par les Maliens et les partenaires du Mali. C’est pour cela que le gouvernement n’a pas lâché, malgré les pressions.
Les Assises nationales ont renforcé cette demande et elles ont demandé, avec force, l’installation d’un organe unique indépendant d’organisation des élections. Actuellement, nous avons la CENI, l’Administration territoriale, le Délègue général aux élections (DGE) qui s’occupent de l’organisation des élections. Il a été décidé de les regrouper en un seul organe qui va conduire le processus électoral, qui va proclamer les résultats des élections. La Cour constitutionnelle se chargera de valider ces résultats et de s’occuper du contentieux électoral.
Les réformes politiques et constitutionnelles, notamment l’installation de l’organe unique indépendant de la gestion des élections, est une demande forte du peuple malien. Nous pensons que s’il est mis en place, suivant la lettre et l’esprit du texte, il doit minimiser le risque de contestation des élections.
Sa composition est définie dans la loi. En tous les cas, les textes sont au niveau du CNT qui a continué, dans le sens de la recherche de l’inclusivité, à élargir ses écoutes mêmes aux forces politiques qui avaient refusé de participer au processus. Ce que nous souhaitons est que la lettre et l’esprit du texte ne soient pas vidés de leur contenu.
Le Programme d’Action gouvernementale (PAG) portait sur la durée de la Transition qui a pris fin. Aujourd’hui, est-ce que nous pouvons avoir une évaluation de votre part ? Quelles sont les grandes lignes que vous tracez pour les 24 mois qui se dessinent ?
Le Programme d’action gouvernementale (PAG) a fait l’objet de plusieurs types d’évaluation. D’abord, au niveau du gouvernement, nous avons saisi régulièrement le CNT du résultat de la mise en œuvre du PGA. Il y a eu souvent des discussions à caractère polémique. Vous savez, chez nous, dès qu’il y a un débat contradictoire, beaucoup concluent qu’il y a des antagonismes. Le débat contradictoire est nécessaire pour la bonne santé de la démocratie.
Lorsque le Conseil National de la Transition, en jouant son rôle naturel du contrôle de l’action gouvernementale, a demandé à écouter le Premier ministre sur la mise en œuvre du PAG qui l’a autorisée, certains ont vu en cela une confrontation entre les deux institutions, alors que nous avons trouvé que c’est une bonne chose. Le CNT joue son rôle et le gouvernement n’avait d’autre choix que d’aller répondre parce qu’il a l’obligation de rendre compte.
Dans ce processus, il y a eu une fixation sur certains chiffres. Lorsqu’on met en œuvre un programme d’action, il y a des actions à court terme que vous finissez de réaliser en peu de temps, il y a d’autres qui se terminent dans 9 mois et en 5 ans. Lorsque vous mettez tout cela ensemble, entre ce qui est terminé et ce qui n’est pas terminé, nous étions à plus de 80%. Mais dans le débat politique, les discussions ont pris une tournure politique, il y a eu la fixation sur les 35% d’actions totalement réalisées. L’importance est que tous ces débats n’aboutissent pas dans l’antagonisme entre institutions.
Le Mali est dans la dynamique de rédiger une nouvelle constitution. Certains constitutionnalistes voient en cela le virage vers une quatrième République. Quelle est la nécessité pour le Mali d’aller vers une nouvelle constitution ?
Les 24 mois qui restent vont le décliner dans les semaines à venir, publiquement. Nous n’avons pas voulu sortir des discussions du caractère discret, respectueux dans lequel nous sommes avec la Cédéao. Sinon, nous avons un Comité du suivi politique présidé par le ministre des Affaires étrangères et un Comité du suivi technique présidé par le ministre de l’Administration territoriale.
Aujourd’hui, tout est connu et de nos partenaires de la Cédéao. Le chronogramme est connu, nous avons déjà discuté de tout cela avec la Cédéao.
Dans les semaines à venir, si le président de la Transition a convenu avec les chefs d’État des pays de la Cédéao, il sera rendu public pour renforcer la confiance des citoyens et des partenaires. D’ailleurs, je crois qu’il y a beaucoup de partenaires qui ont été ravis par la publication du décret parce qu’ils ont dit qu’il y a une incertitude qui a été levée pour la fin de la Transition. Maintenant, ils demandaient le déroulé et nous avons déjà travaillé sur le déroulé, mais c’est dans les tiroirs pour l’instant. Nous aurons souhaité, après le sommet de la Cédéao, que cela soit publié avec les membres de la Cédéao.
Aujourd’hui, les Maliens veulent un État refondé, avec une constitution qui prend en charge la véritable préoccupation des Maliens. Nous avons une constitution dont l’application n’a pas empêché trois (3) coups d’État en 30 ans. Il faut s’interroger. Nous avons une constitution où les choses se font au nom du peuple qui n’a rien avoir avec les soucis du peuple, au point que ce peuple n’a eu d’autre solution que recourir à un soulèvement parce que les leviers normaux n’ont pas fonctionné.
Les Maliens disent qu’il faut changer la constitution parce qu’avec l’énergie du désespoir, le chef de file de l’opposition, l’honorable Feu Soumaïla Cissé, a demandé à l’Assemblée nationale d’enquêter pour voir ce qui a été fait des fonds alloués à l’Armée.
Dans un système démocratique normal, c’est la moindre des choses, surtout dans un pays en guerre. Les pays qui nous donnent les leçons lorsqu’il y a ce genre de situation au niveau de leur parlement, ils mettent en place des commissions d’enquête pour situer les responsabilités. Cette demande de Feu Soumaïla Cissé a été mise dans les tiroirs. Cela veut dire que la constitution que nous avons ne permet pas de gérer l’État de façon démocratique. La volonté de quelques personnes peut s’imposer à l’ensemble des Maliens. Les élections sont truquées, l’argent destiné au pays est détourné, mais le plus grave au niveau de la défense, surtout en période de guerre, les citoyens n’avaient aucun moyen de dire qu’il faut arrêter ces dérives.
La seule solution qui restait c’est la rue, alors il faut une constitution où il y a un équilibre du pouvoir qui permet de dire aux hommes politiques que l’élection n’est pas une carte blanche de faire ce qu’ils veulent. L’élection ne rend pas les peuples esclaves de l’élu, l’élection est un peut être un permis que le peuple donne à un ou à un groupe d’hommes pour conduire sa destinée.
Je pense que la révision constitutionnelle, qui est de l’initiative du président, le Conseil National de la Transition qui sert d’office d’assemblée nationale, son président, comme il a fait jusqu’ici, tiendra compte de toutes les sensibilités comme nous avons organisé les assises nationales de la refondation pour que la nouvelle constitution soit une constitution qui soit conforme à nos valeurs, qui prenne en charge les préoccupations, les soucis des Maliens d’aujourd’hui. Je pense que ce que les Maliens veulent, c’est une constitution qui permet de gérer de façon équilibrée le pays.
Transcrit par Mahamadou TRAORE