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Dossier/non-voyants : Un monde parallèle

Les non-voyants au Mali sont confrontés à d’énormes difficultés. Une formation adéquate et leur intégration à la fonction publique sont parmi leurs soucis aujourd’hui.

 

Au Mali, les difficultés ne manquent pas pour les handicapés visuels : le manque de moyen financier est le premier obstacle rencontré par la majorité.

Sans d’autres alternatives, beaucoup se mettent au bord des routes, pour mendier alors qu’ils peuvent bien travailler. Certes, il y a des écoles qui sont à leur disposition, mais plusieurs d’entre eux n’ont pas les moyens d’y accéder.

Les préjugés sociaux ont un impact sur leurs avancées. Ils ont du mal à se marier car beaucoup pensent qu’être aveugle est synonyme de pauvreté. Ils sont sous-estimés et parfois même méprisés.

En second lieu, les aveugles ont de grandes de difficultés de déplacement. Rares sont ceux qui ont leurs propres moyens de déplacement. Dans la circulation, il n’existe pas de panneaux de signalisation sonore pour que ces aveugles puissent s’orienter eux-mêmes. Les aveugles qui n’ont pas de moyens de déplacement sont obligés de marcher accompagnés, d’emprunter des Sotrama, ou de passer des journées sur place.

Au plan éducatif, les handicapés visuels ont une école et un Centre de formation construit par l’Etat malien. Cependant, la prise en charge de l’internant devient de plus en plus difficile, selon Hadji Barry, président de l’Union malienne des aveugles (Umav).

Le peu de handicapés visuels au Mali qui arrivent à terminer leur cursus scolaire sont confrontés à la problématique de l’emploi. Leur intégration à la fonction publique et une prime spéciale. Dans cette enquête, nous avons essayé de faire le tour de la question.

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ISLAM

Les handicapés dispensés de certaines obligations

Selon Idrissa Badian Diarra, Iman au Centre islamique d’Hamdallaye, l’islam n’a pas de regard spécial sur la cécité. Seulement, la religion considère le handicap de façon holistique. « Par exemple, l’un des muezzins du prophète Mahomet (PSL) était non voyant. Ce handicap ne l’a pas empêché de faire son devoir de muezzin. Les handicapés peuvent lire le saint coran car la lecture du saint coran n’est pas liée à une vision. C’est un miracle de Dieu qu’il accorde à qui le veut », souligne l’imam.

Pour lui, « le saint Coran parle de quelqu’un qui avait un handicap visuel du nom d’Abdoulaye Oum Moctum. Un jour, le prophète (PSL) était en train d’appeler les notables de la cité pour leur conversion en islam et pendant ce temps, il y avait un handicapé visuel qui voulait connaitre la religion musulmane. Il s’est approché du prophète (PSL) qui ne lui a pas accordé de considération. Dieu a fait une révélation à Mahomet (PSL) pour lui faire savoir qu’il devait s’occuper de ce dernier qui voulait connaitre la religion musulmane. Tous ceci pour vous dire que l’islam accorde de l’importance aux handicapés. Plusieurs partis du saint coran parlent de la cécité. Il y a de ces obligations dans la pratique de la religion qui ne sont pas imposés aux handicapés ».

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CHRISTIANISME

« La vraie cécité à combattre »

 « Dans l’Évangile de Jean, Jésus guérit une personne souffrant de cécité (Jn 9) et un grand débat voit le jour. L’opinion commune est que : si un enfant est né aveugle, c’est que ses parents ont commis une faute que Dieu a sanctionnée par la cécité de leur enfant. Dieu se servirait-il de la maladie pour exercer son jugement sur les humains ? Que disent l’Ancien et le Nouveau Testament sur la cécité ? La cécité est-elle seulement physique ? », s’interroge l’Abbé Pierre Dioma.

Selon lui, dans l’Ancien Testament, beaucoup de passages traitent de la cécité. Déjà, pour lui, dans la culture juive, la cécité n’était pas bien accueillie. Elle apparait donc comme une punition divine et c’est pour cette raison qu’aucun descendant du grand prêtre Aaron, souffrant de cécité, ne pouvait s’approcher de l’autel.

Parallèlement à cette vision de la cécité dans l’Ancien Testament, une autre plus positive s’érige et ne situe pas de lien entre la cécité et le Dieu d’Israël, aux dires de l’Abbé Pierre Dioma « la cécité n’est pas cette fois-ci vue comme la punition d’un péché ». La Torah recommande : n’insulte pas un sourd et ne mets pas d’obstacle devant un aveugle; c’est ainsi que tu auras la crainte de ton Dieu ».

 La cécité dans le Nouveau Testament

Pour le père Dioma, « la position de l’Eglise par rapport à la cécité, ne peut être que celle de Jésus Christ notre Seigneur et Dieu. Ceux qui ont les yeux physiques peinent à croire contrairement à ceux qui n’en ont pas ! N’ont-ils pas raison ceux qui disent que les malvoyants voient autrement ? Quand les “bien-voyants” refuseront l’invitation au repas des noces du prince, l’invitation sera réajustée : ‹Va-t’en vite par les places et les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux.› (Lc 14,21).

La cécité dans la Bible peut être aussi présentée comme un temps de méditation, de prière, de vision intérieure. En fermant nos yeux physiques, notre regard (spirituel) se tourne vers les choses d’en haut. Saint Paul a fait cet expérience: “ Voici, du reste, que tu vas être aveugle, et, jusqu’à nouvel ordre, tu ne verras même plus le soleil.» À l’instant même, l’obscurité et les ténèbres l’envahirent, et il tournait en rond à la recherche d’un guide.” (Ac 13,11). Paul perd la vue physique pour gagner la vue et la vie spirituelles.

La cécité spirituelle

Jésus attaque durement la cécité, mais pas la cécité physique. Pour lui, l’aveugle n’est pas toujours qui on pense et une cécité peut en cacher une autre! Et lorsque nous ne voulons pas voir, notre aveuglement devient notre propre condamnation. Ainsi les pharisiens sont durement qualifiés de « guides aveugles » (Mt 23, 16-27). “Laissez-les: ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Or si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou!» Mt 15,14; Lc 6,39).

L’ex-aveugle-né dans l’évangile de Jean voit (physiquement et spirituellement) au point d’être le guide des guides: “L’homme leur répondit: «C’est bien là, en effet, l’étonnant: que vous ne sachiez pas d’où il est, alors qu’il m’a ouvert les yeux!  31 Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs; … Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle de naissance. Si cet homme n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire.» (Jn 9,30-33). Ainsi, nous comprenons que la vraie cécité est celle spirituelle.

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HADJI BARRY PRESIDENT DE L’UMAV

« Une prise en charge de plus en plus difficile »

Hadji Barry est le 4è et l’actuel président de l’Union malienne des Aveugles (Umav). Le représentant des handicapés visuels au Conseil national de la transition nous en dit un peu plus sur leur association et les difficultés auxquelles sont confrontées les élèves aveugles.

Mali-Tribune : Quels sont les objectifs de l’Umav ?

Hadji Barry : L’Union malienne des Aveugles (Umav) a été créée en 1972, sous l’appellation AMPesa (Association malienne pour la promotion sociale des aveugles) par feu Ismaël Konaté, Mme Konaté Djénéba N’diaye et beaucoup d’autres personnes. Au fil des ans, elle a donné naissance à l’Umav.

L’objectif de l’Umav est de contribuer à la socialisation des personnes handicapées visuels au Mali, la recherche d’emploi pour les handicapés visuels, l’insertion socio-professionnelle des aveugles en milieu urbain et rural, la prévention et la lutte contre la cécité. Elle dispose d’une unité ophtalmologique et d’un atelier de monture de verre correcteur.

L’Umav a comme premier partenaire l’Etat, mais a aussi d’autres, comme Save Seven international, la Fédération des aveugles de France, Espace pour un enfant, Orange, Malitel et d’autres.

Mali-Tribune : Quels sont vos chantiers ?

H. B. : L’Union malienne des Aveugles a créé l’Institut des Jeunes Aveugles (Ija) le 15 octobre 1973. En 1984, l’Ija devient l’Institut nationale des Aveugles du Mali (Inam). Pour l’insertion et l’encadrement scolaire des aveugles, l’Unam, ex-Ija, a créé une institution à Gao pour l’encadrement scolaire des élèves du nord et en 2008 une autre institution à Ségou.

L’Umav a une école fondamentale depuis 1973. Un lycée en 2016 et une maternelle en 2018. L’Umav a ses sections dans toutes les régions du Mali. Cette association s’occupe aussi des aveugles qui n’ont pas pu étudier. Un atelier de fabrique de craie est ouvert pour eux, mais qui n’est pas beaucoup connu. L’Union malienne des aveugles a en son sein un internat dont la prise en charge devient de plus en plus difficile dû à des problèmes financiers.

Mali-Tribune : Quelles sont les difficultés que rencontrent l’Umav ?H.B. : L’Umav éprouve des difficultés pour l’acquisition de matériels didactiques, de tablettes, de papiers brailles qu’on ne trouve pas sur la marché malien. Ces matériaux sont à commander. L’Etat malien n’a pas de politique spéciale pour cela. Dans la politique du livre, l’Etat ne fournit pas parfois les aveugles. C’est l’association qui paie ces matériaux et documents et s’occupe de la transcription braille.

Ces aveugles ont aussi des difficultés comme la marginalisation, des préjugés sociaux, le non-respect de la canne blanche dans la circulation malienne, le manque de panneau de signalisation sonore dans la circulation.

Les élèves ont des problèmes de déplacement. Le car qui était à la disposition de l’Umav pour le transport des élèves ne fonctionne plus. Les aveugles ont aussi des problèmes à se développer sur le plan social tout comme le mariage à cause des préjugés sociaux.

Je demande à l’Etat malien de redoubler encore d’efforts pour l’amélioration des conditions de vie des aveugles et leur insertion socio-professionnelle. A cœur vaillant rien d’impossible. J’invite aussi tous les aveugles à se battre.

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 N’GOLO KONARE

« Perdre la vue n’est pas perdre la vie »

Il a perdu la vue à l’âge de 6 ans. Mansa N’golo de son vrai nom N’golo Konaré est, aujourd’hui, professeur d’allemand et artiste musicien. Pour lui, « ce n’est pas l’handicap visuel qui empêche de travailler, mais c’est le cœur et la volonté ». Portrait.

N’golo Konaré vivait avec ces parents, Kafounè Traoré de feu Tièkoura dit Mamadou, au village, quand il a été atteint d’une maladie des yeux. Il est vite évacué à l’Institut d’Ophtalmologie tropicale de l’Afrique (Iota) de Bamako pour les soins. Apres 3 tentatives d’opérations, N’golo finit par perdre la vue. Il avait 6 ans.

N’golo est l’un des premiers élèves de l’Institut des Jeunes Aveugles. Après (Ija). L’élève a eu beaucoup de difficultés dans son cursus scolaire, car les professeurs ne savaient pas comment se comporter avec lui à cause de la différence entre lui et les autres, ce qui l’a négativement impacté. Mais grâce à son courage et à sa détermination avec l’aide de ses camarades à transcrire les leçons en braille et à prendre note après les cours, il s’en est sorti. Et a pu terminer le lycée n’a jamais redoublé. Après tous ses efforts, N’golo n’a pas eu de bourse pour les études car ceci était donné aux élèves voyants.

Très peu de jeunes aveugles comme lui ont eu une bourse de formation après le bac. L’unique option pour le nouveau bachelier a été d’intégrer l’Ecole normale supérieure de Bamako, l’ENSup. Il est sorti en 1989 et admis en 1990 à la fonction publique. Son premier poste a été le Centre des langues. M. Konaré a fait 10 ans de service avant d’avoir une bourse de formation pour l’Allemagne. Un souvenir qu’il n’oubliera jamais « En 2002, lors de la visite du Président allemand Yoanes Raw à Bamako pour une conférence à l’Ensup, j’ai profité pour lui exposer mon problème. Le Président a été sensible à mes doléances. M. Yoanes Raw m’a accordé une bourse ».

De retour au pays, Mansa N’golo se consacre à la valorisation de la langue allemande au Mali. Aujourd’hui, le professeur principal d’allemand à l’Institut des Langues est lauréat de l’Attestation Adeka, pour sa contribution à l’éducation malienne. Le professeur demande à l’Etat malien d’offrir une assistance spéciale aux fonctionnaires aveugles.

Après le boulot, Mansa Ngolo, marié et père de quatre enfants, se consacre à sa passion, la musique. Il joue le clavier, la guitare, la flute et a deux albums sur le marché.

« La musique m’a beaucoup aidé dans mon intégration sociale. Elle m’a permis d’avoir une certaine notoriété », raconte l’auteur-compositeur. Et d’ajouter « le plus important pour moi est de ne pas dépendre des autres ». Formé par les grands artistes, comme Amadou Bagayoko et Idrissa Soumahoro, N’golo a beaucoup voyagé grâce à la musique.

Malgré l’adaptation des lois de protection sociale pour les aveugles, l’accessibilité est un grand souci pour les aveugles au Mali. De classe exceptionnelle, troisième échelon, après 30 ans de service, M. Konaré n’a pas de moyen de déplacement. Il est toujours obligé d’emprunter un taxi pour rejoindre son lieu de travail, à 14 km de sa maison.

Cependant N’golo dit ne pas regretter d’être devenu aveugle. Car, dit-il, ce n’est pas handicap visuel qui empêche de travailler, mais c’est le cœur et la volonté. « La perte de la vue d’ailleurs m’a permis d’aller à l’école. Étant au village, je n’aurais jamais eu l’occasion de connaitre Mme Aïssata Dicko, une assistante sociale. C’est Mme Dicko qui m’inscrit à l’Institut des Jeunes Aveugles. Grace à ma maladie, mes frères et sœurs qui m’ont suivi ont eu la chance de venir en ville et d’être inscris à l’école ».

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AUGUSTIN KAMATE, ASSISTANT MEDICAL A LA CLINIQUE VISION SANTE

« Plus de 3, 6 millions de cécités dues à la cataracte en Afrique »

 Dr. Augustin Kamaté, Assistant médical à la Clinique Vision Santé nous explique les maladies de l’œil qui peuvent conduire à la cécité, les signes annonciateurs et les traitements disponibles.

Mali-Tribune : Quelles sont les maladies de l’œil qui peuvent conduire à la cécité ?

Dr. Augustin Kamaté : D’abord la cataracte. Elle peut être bilatérale. Elle peut donner la cécité, mais s’il y a moyen de faire une opération et qu’elle est bien faite, le patient peut revoir. Ensuite, les neuropathies optiques. Elles peuvent donner la cécité, mais une cécité réversible. En troisième position, les rétinopathies diabétiques qui peuvent aussi donner la cécité à un stade avancé.

Il y a également les embryopathies liées à des incorrections ou même des manquements. Par exemple, un enfant qui doit bénéficier des traitements ou porter des verres à bas-âge, si ce dernier n’arrive pas à bénéficier de ces traitements, il peut perdre la vue au fil des ans.

Les rétinites pigmentaires, qui peuvent souvent donner la baisse ou la perte de la vue ; le trachome, l’onchocercose l’avitaminose sont des maladies liées à la pauvreté, mais aussi à la saleté.

En dehors de ces pathologies, il y a les glaucomes et les traumatismes. Il y a aussi la DMA liée à l’âge. Il y a aussi d’autres pathologies comme le diabète qui peut aussi conduire à la cécité, mais très rarement.

Le taux de glycémie élevé va jouer sur les cellules visuelles et va provoquer une hémorragie. Un AVC peut aussi jouer sur la vision à travers des hémorragies. En dehors de tout cela, il y a ce qu’on appelle les maladies génétiques. Elles sont liées aux gènes. Le VIH-Sida peut aussi conduire à la cécité à un certain degré.

Mali Tribune : Quel est le taux de pourcentage des personnes qui perdent la vue ?

Dr Augustin Kamaté : Il y à peu près 3, 6 millions de personnes qui ont perdu la vue à cause de la cataracte  en Afrique. Le Triquiazis qui est une complication de trachome est à 10 millions de cas et c’est 6 millions sur ces 10 millions qui deviennent aveugles. En Afrique, dans 37 pays, il y a 30 qui font une épidémie. Il y a 1,7 million d’enfants qui sont aveugles dans le monde à cause de ces différentes pathologies.

Mali Tribune : Quels sont les signes annonciateurs de la cécité ?

Dr. A. K. : Par rapport aux signes de la cécité, il y a un broutard qui est là, la personne voit floue ou même peut voir des petites choses qui passent devant elle, comme des insectes ou même l’impression de voir des petits cheveux et autres.

Mali Tribune : Comment traiter ces maladies de l’œil ?

Dr. A. K. : Les maladies spécifiques liées à la pauvreté peuvent êtres éradiquées dans les pays développés. Ce qui veut dire que les pays qui sont en voie de développement pourront se débarrasser de ces maladies à condition d’atteindre un certain niveau sur le plan économique et sanitaire.

Une fois que ces pays auront en plus une bonne nutrition et avoir accès à une eau potable. Pour la cataracte, il faut une opération et si elle est bien faite la personne peut retrouver la vue. Pour le glaucome, il est possible de donner des traitements pour retarder la cécité, mais pour le moment nous n’avons pas de moyen de traitement pour l’empêcher.

Cela est aussi valable pour les maladies génétiques. Après la naissance les enfants doivent recevoir un traitement qui est l’application de la tétracycline qui prévient les infections des yeux que l’enfant peut avoir après la naissance.

 Réalisé par

Marie Thérèse Coulibaly

(stagiaire)

Source : Mali Tribune

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