Depuis quelques années la population de la ville Koro, située dans la région de Mopti, se plaint des conditions de don de sang au sein du Centre de Santé de Référence de la localité. Dans ce centre, la demande de sang est devenue de plus en plus forte compte tenu de l’inaptitude des autres services de santé communautaires à l’intérieur du cercle, due à l’insécurité. Ainsi dans le CSRéf de Koro où tout semble avoir changé aujourd’hui, les parents des patients se trouvent désormais dans l’obligation de payer la somme de dix mille francs (10 000 F CFA) afin de donner du sang à leur malade. Une affaire difficile à comprendre qui fait polémique à Koro et environ.
De quoi s’agit-il exactement ?
A Koro, nul n’arrive à comprendre cette situation et la colère gagne de plus en plus du terrain. «Je ne comprends vraiment pas ce qui se passe. Pour nous, à Koro aujourd’hui, la poche de sang se vend et cela dure depuis plusieurs années. J’ai commencé à alerter il y a plus de deux ans. C’est une situation qui nous dépasse et on ne sait vraiment pas quoi faire. Imaginez au CSRéf de Koro, si vous amenez votre parent, on vous demande de donner du sang. Et chaque fois que vous donnez une poche de sang, vous devez payer au moins 10 000 francs. On nous dit aussi que cette somme constitue les frais d’analyse. Mais, nous n’arrivons pas à comprendre à présent. Parce que les choses ne se passent pas du tout comme ça dans les autres districts sanitaires du pays. Et vous payez cette somme même si le sang prélevé n’est pas compatible avec le groupe sanguin de votre patient. Pour moi, c’est du vol. Parce que pour un seul malade vous pouvez payer plusieurs fois les 10 000 et donner plusieurs poches de sang au CSRéf alors que vous, vous n’avez besoin que d’une poche»,a témoigné Boureïma Bamadio, président du Conseil local de la jeunesse de Koro.
Allaye Sagara, un habitant de la ville, a vécu la situation. Il nous confie : « J’ai été victime de cette pratique au CSRéf de Koro. Une fois, j’y ai amené ma nièce (la fille de mon grand frère) et on m’a dit qu’elle avait besoin de trois (03) poches de sang. Alors, j’ai fait venir deux donneurs volontaires, en plus de moi. Mais, à notre grande surprise, le médecin nous a demandé de payer 30 000 F CFA pour l’examen des trois poches. Très surpris, je me suis opposé au début. Mais avais-je réellement le choix ? »
Dans les normes, le don du sang reste gratuit !
Dans un communiqué, le Collectif des Associations des Ressortissants de la Jeunesse du Pays Dogon estime: « A Koro, un jeune rapporte qu’il a donné son sang pour sauver son frère. Mais à sa grande surprise, il lui a été demandé de payer la somme de 10 000 francs CFA comme frais d’analyse. Pendant ce temps, l’association a organisé une journée de don de sang au CHU Gabriel Touré à Bamako sans verser un centime. C’est une situation à Koro que nous ne comprenons pas…»
Selon Sidi Dienta, chef biologiste au CHU Gabriel Touré, dans les normes, le don du sang reste gratuit. « A ma connaissance, une poche de sang n’est jamais à vendre. La procédure est la même partout au Mali et je pense que tout le monde la connaît. Si votre parent est atteint d’anémie, le médecin vous demande de donner votre sang ou le sang d’une autre personne (volontaire), cela peut-être un parent, un ami, etc… Une fois le sang prélevé, votre sang est soumis à l’examen ce qu’on appelle un test de qualification. Une fois ce test fait, le sang est directement donné à la personne qui est dans le besoin, vous ne payez absolument rien du tout.
Mais, j’insiste : une poche n’est pas à vendre. En tout cas, pas à ma connaissance. Que ça soit ici au CHU Gabriel Touré, à l’hôpital du Point G où à l’Hôpital du Mali, c’est la même procédure et cela doit être de même pour les autres centres de santé du pays »,nous a-t-il confié.
L’arrêt des subventions
Selon le médecin-chef du CSRéf de Koro, docteur Ibrahim Coulibaly, le cercle de Koro fait partie de ces zones durement affectées par la crise sécuritaire que connaît le centre du Mali depuis plusieurs années et le CSRéf en a payé les frais d’une manière ou d’une autre. Selon les explications du médecin-chef, les poches et les analyses étaient à l’époque subventionnées soit par l’État, soit par les ONG. Mais de nos jours, le Centre de santé est abandonné : « Il est dit que le don de sang est gratuit partout au Mali, mais ce qu’on n’explique pas aux gens, c’est la partie subventionnée par l’État. Si on prélève du sang à quelqu’un, il faut faire un examen avant de donner ça à quelqu’un d’autre non ? Et pour ce faire, il faut des tests ; l’État garantissait des poches vides aux CSRéf à l’époque, mais ce n’est plus le cas chez nous. A mon arrivée, c’était une ONG qui nous aidait à garder cet équilibre. Mais depuis trois ans, cette ONG s’est également retirée à cause de l’insécurité et personne n’est venu à l’aide au CSRéf. Maintenant, nous à notre niveau, il faut trouver une solution à l’interne. Nous sommes dans une zone d’insécurité où les cas d’urgence sont nombreux et là il faut soit évacuer les gens à Mopti ou à Sevaré pour une transfusion sanguine, ou alors il faut trouver une solution sur place pour permettre aux gens d’en bénéficier étant chez eux. Alors, c’est après concertation avec tous les responsables du cercle et à l’issue d’une réunion du Conseil de Cercle que le Conseil de Koro a décidé cette procédure qui est de laisser les patients prendre en charge une partie de l’examen du sang en payant 10 000F CFA parce que le tout fait plus de 15 000 F CFA. Donc, le centre prend le reste en charge. Si nous décidons aujourd’hui d’évacuer les gens sur Mopti pour une transfusion, ils vont non seulement payer l’ambulance, mais aussi d’autres frais de déplacement et ils seront hors de chez eux. Donc, nous avons tenu compte de tous ces aspects et nous nous sommes dit qu’il vaut bien prendre les gens en charge sur place même si cela doit se faire de manière exceptionnelle. Mais, c’est pour leur propre bien »,a-t-il expliqué
Docteur Ibrahim Coulibaly affirme également avoir sollicité le Centre national de transfusion sanguine pour la mise à la disposition des poches vides au CSRéf de Koro. Une demande qui, selon lui, est restée toujours vaine.
Un témoignage soutenu et confirmé par le 1eradjoint au maire de la commune de Koro, Issa Sagara, ainsi que par le président du Conseil communal, Aboye Djimdé. Toutefois, ce dernier estime que la situation est inacceptable et que l’État doit intervenir le plus tôt possible. Le maire adjoint, quant à lui, estime que le cas du CSRéf de Koro n’est pas le seul et que plusieurs autres structures sanitaires ont adopté une stratégie leur permettant de s’en sortir. « C’est un consensus qu’on a trouvé. Et le médecin-chef n’est que la partie exécutante dans cette affaire. Les districts sanitaires se débrouillent tous seuls et chacun y trouve une stratégie pour s’en sortir », ajoute-t-il.
En ce qui concerne les analyses faites lors du don de sang, le biologiste du CSRéf de Koro précise: « L’analyse du Groupage/Rhésus se fait à 1000 f ; Hematocrite/Taux d’hémoglobine à 2000f ; Hépatite B à 3000f ; Hépatite C à 3000f ; BW à 3000f ; HIV à 0 f et la poche vide de 450 ml est cédée à 2500 f. »Selon lui, la somme totale de ces différentes interventions est estimée à environ 15 000 francs, mais les patients ne payent que 10 000 f et le reste est pris en charge par le CSRéf.
« Dix mille francs, à mon humble avis, c’est exagéré »
Joint par téléphone, Dr. Abdoulaye Guindo, directeur général adjoint de la Santé, affirme que le don de sang est effectivement gratuit sur l’ensemble du territoire national. « Quand tu donnes ton sang, tu remplaces et en le remplaçant, tu fais un certain nombre d’examen. Il s’agit du Groupage/Rhésus; Hematocrite/Taux d’hémoglobine; Hépatite B; Hépatite C; BW; HIV… Tout cela est à la charge de l’Etat et chaque district sanitaire doit s’organiser pour ce faire. Maintenant, le plus souvent les districts qui ventent les poches, font ce qu’on appelle ‘’le recouvrement sur les poches’’. Parce que le plus souvent ces poches ne se donnent pas et les districts sont obligés d’en payer. Mais le plus souvent la banque de sang leur donne tous les réactifs, mais avec la crise, il se peut que la banque a quelques soucis. Mais dix mille francs, à mon humble avis, c’est exagéré. Vous me donnez le temps, je vais demander au médecin-chef que je connais d’ailleurs, parce que Koro, c’est chez moi et je ne serai même pas d’accord avec ça.»
Par la suite, nous avons appelé sans succès le directeur général adjoint de la Santé. Aussi, toutes nos tentatives pour rendre en contact avec le directeur du centre national de transfusion sanguine ont été vaines.
Amadou Kodio
Source : Ziré