La paillasse est un matelas traditionnel, vieux de plusieurs siècles. Fabriqué à partir de sacs en jute ou de fibres extraites du baobab, on le bourre, généralement, de pailles ou de rebuts de fibres de coton, et que l’on ficelle en plusieurs endroits.
Avant l’apparition du matelas en mousse au Mali, beaucoup de gens utilisaient la paillasse. Elle était présente quasiment dans toutes les maisons. De nos jours, son usage comme couchette tend à se raréfier, et est devenue presque inexistante, même dans les villages les plus reculés. La mousse de matelas est passée par là. La paillasse a ainsi perdu sa valeur d’antan, dans un monde à l’évolution vertigineuse Tout le monde préfère le confort des matelas moelleux au craquement caractéristique des brindilles et pailles assemblées.
Aujourd’hui, dormir sur la paillasse est, aux yeux de certains, un signe d’extrême pauvreté. Beaucoup de femmes n’aiment pas la paillasse. Elles arguent que si l’enfant, dans son sommeil, urine dessus régulièrement, la couchette en pailles finira par pourrir. « Or, avec le matelas, soutient la ménagère Yayaré Soucko, il suffit de le laver soigneusement et de le placer au soleil », pour plusieurs utilisations après.
Banta Cissé, un long cure-dents à la bouche, en cette heure matinale, accuse certaines femmes de paresse qui ne mettent pas une toile de plastique sous les fesses de leur enfant la nuit, ou ne leur font pas porter de « couchis » (couches), pour absorber l’urine de l’enfant.
Par contre, selon quelques conservateurs, qui lui restent toujours attachés, dormir sur la paillasse, permet d’éviter la courbature. D’autres préfèrent la paillasse à cause de son prix abordable. Trois à quatre mille francs cfa, suffisent pour en acquérir de deux places, gaillardement confectionnée.
L’égoutier Makan Tamboura, soutient que le matelas n’est pas un luxe, mais plutôt une nécessité. Et un autre de s’insurger : « Le matelas est l’affaire des riches. Celui qui n’a pas assez de moyens ne peut s’en procurer. Pour un matelas à deux places, il faut débourser, au minimum, 30.000 Fcfa. Plus la qualité est meilleure, plus le prix augmente. Or, trois à quatre mille francs cfa suffissent pour avoir une paillasse».
« Si on demande mon avis, déclare Madou Sow, je dirais que la paillasse a des avantages. Son utilisation permet d’éviter la courbature à cause de sa surface dure et rugueuse ». « Le seul inconvénient de la paillasse est que, si elle est sale, surtout celle qui contient de la paille, on ne peut pas la laver, au risque de l’abîmer. En plus, si l’urine de l’enfant s’infiltre dans la paillasse, au fil du temps, elle dégagera une odeur nauséabonde », consent Sow.
Fousseiny Sissoko, conseiller de chef de village, ne compte pas laisser sa paillasse au profit du matelas. En tout cas « pas de sitôt », jure-t-il.
Contrairement à sa co-épouse, qui se couche avec ses enfants sur des paillasses, une nouvelle mariée a refusé la paillasse que son époux lui a achetée. Elle dit préférer un matelas. « Dans notre famille, sans me vanter, dit la dame, entre deux longs jets de salive, du plus petit au plus grand, tout le monde dort sur un matelas».
Avant d’avoir un matelas, un jeune célibataire, qui préfère garder l’anonymat, avait honte que ses visiteurs sachent qu’il passe la nuit sur une paillasse. C’est pourquoi, il fermait la porte de sa chambre, chaque fois, que quelqu’un arrivait.
Dans le Cercle de Diéma, les fabricants de paillasses se comptent, aujourd’hui, sur le bout des doigts. A l’entrée de la ville, avant de franchir le pont, à l’emplacement d’une vieille station-service abandonnée, on en voit souvent quelques-unes alignées le long du mur et proposées à la clientèle.
Djiguiba Sissoko, ancien fabricant de paillasses, domicilié à Darsalam, a arrêté d’exercer son métier, car il n’en tirait plus aucun profit, à cause de la rareté des clients. A l’époque, il pouvait gagner par jour 25.000 Fcfa, voire plus avec la vente de ses paillasses. « C’est avec l’introduction du matelas dans notre village, par l’entremise de nos ressortissants à l’étranger, que tous ont tourné le dos à la paillasse », dit l’artisan désœuvré. « C’est dommage », regrette-t-il, se pinçant la lèvre inférieure.
« J’ai commencé à faire des paillasses avec des sacs de fibres de baobab, puis j’utilisais des sacs en plastique qui sont plus résistants. Mon métier ne me rapporte plus…», raconte Issa Dembélé, la soixantaine révolue.
Fatamba Diarra, fontainier à Ballabougou, explique qu’il n’existe plus de fabricant de paillasses dans son village. Le dernier a plié bagages après avoir vu ses affaires marcher à merveille, un moment, puis péricliter en raison de la mévente de ses marchandises.
Les Maures, dans leur majorité, refusent la paillasse tout comme le matelas. Youba Coulibaly, notable à Missira, dans la Commune rurale de Grouméra, venus à Diéma avec des enfants pour leur enrôlement, explique que cette communauté préfère le ‘Kapta’, confectionné avec des tiges de bambou, assemblées en lit.
Plusieurs personnes peuvent dormir ensemble sur le ‘Kapta’, contre une ou deux personnes seulement sur la paillasse ou le matelas. « Avec le ‘Kapta’, après la pluie, on peut le replacer sur ses pieds et continuer à siroter du thé », ajoute son compagnon de route.
« Avec l’évolution de notre monde d’aujourd’hui, on ne sait plus ce qui est bon pour nous ou ne l’est pas », dit un chef traditionnel, un brin philosophe, laissant entrevoir sa préférence.
OB/MD
Source : (AMAP)