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Entretien exclusif à Bamako, par Bruno FANUCCHI
À la tête de SAER Emploi (Société Africaine d’Études et de Réalisations), créé en 1993, vous êtes aujourd’hui l’un des principaux pourvoyeurs d’emploi du Mali, dont le problème numéro un est précisément l’emploi. Quelles sont les recettes de cette réussite?
Diadié Sankaré – Je suis en réalité un acteur de l’emploi. J’offre des services à des sociétés qui passent ensuite par la SAER Emploi pour embaucher du personnel. C’est la nature de notre activité qui fait de nous un employeur important au Mali.
Peut-on faire le point sur les secteurs d’activité et l’implantation des différentes sociétés de votre groupe?
Diadié Sankaré – Le groupe SAER est un ensemble de vingt-six sociétés réparties sur cinq pools d’activité. Le premier groupe englobe l’emploi et les assurances, puis il y a le pool agro-industriel, le pool minier, le pool des services et, enfin, le pool des finances et du commerce.
Voilà l’ossature du groupe SAER. Nous sommes présents aujourd’hui dans tous les pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire de l’Ouest africain), mais également en Centrafrique, au Tchad, un peu au Ghana, au Cameroun, soit une bonne dizaine de pays d’Afrique, ainsi qu’au Canada et aux États-Unis. Voilà à peu près notre implantation géographique.
«Avec cette nouvelle plateforme, nous
voulons conquérir le marché mondial!»
Vous venez de lancer une importante plateforme. Quels services propose-t-elle?
Diadié Sankaré – Cette plateforme est partie d’un constat : cela fait vingt-cinq ans que nous exerçons cette activité d’externalisation de la fonction «Ressources humaines»; nous l’avons évaluée et l’on s’est dit que notre modèle économique est aujourd’hui vieillissant, qui ne capte plus si bien la clientèle.
Il fallait donc digitaliser notre process. C’est pour cela que nous avons conçu une plateforme entièrement digitalisée. Elle est en fonction depuis un mois, dans sa version 1, exclusivement dédiée aux ressources humaines.
Nous sommes en train d’aller vers la version 2, consacrée à la paie et aux systèmes de paiement pouvant être passés avec des organismes comme l’INPS, les impôts et, bien sûr, les banques où nous devons payer les employés.
L’idée, en fait, est de pouvoir mettre sur le «e.cloud» une autre façon de travailler et permettre à nos clients de pouvoir réaliser toutes les fonctions de «ressources humaines» depuis leur bureau.
C’est une grande nouveauté?
Diadié Sankaré – C’est en effet une grande nouveauté et pas seulement pour le marché malien, car nous voulons même conquérir le marché mondial! Et permettre ainsi à des Japonais ou des Américains de pouvoir travailler sur cette plateforme.
Vous évoquez volontiers l’innovation comme un marqueur important de votre société…
Diadié Sankaré – En effet! On n’arrête pas, tous les jours on innove. Tous les jours, il faut s’adapter aux nouvelles situations. Vous savez que la technologie n’attend pas : ou on s’adapte, ou on disparait. Aujourd’hui, rien qu’avec l’internet, beaucoup de métiers ont disparu. Et désormais nous avons même plus que l’Internet : les objets connectés et la blockchain vont venir, et d’autres fonctions et activités vont disparaître. Il faut donc s’adapter et donner une réponse à toute cette technologie d’entreprise. Le business, c’est comme le vélo : quand on s’arrête de pédaler, on tombe!
Où en êtes-vous avec la contestation de votre élection à la présidence du Conseil National du Patronat Malien, le CNPM?
Diadié Sankaré – J’ai été 3e Vice-Président dans la mandature passée, et au terme de celle-ci, candidat à la Présidence. J’ai été plébiscité par mes pairs. Sur 155 délégués, 127 ont porté leur choix sur moi et je suis aujourd’hui le président en fonction du CNPM, bien que mon adversaire s’agite beaucoup en portant le problème devant la justice. Mais en attendant que la justice tranche, j’occupe les bureaux et je travaille en qualité de Président du Conseil National du Patronat du Mali. Je suis en place et en fonction depuis le 12 octobre dernier.
À la fin janvier, vous étiez partenaire de la VIe Nuit de l’Entrepreneuriat de Bamako avec, là encore, une préoccupation majeure : l’emploi…
Diadié Sankaré – Bien sûr, l’emploi! Quand vous voyez tous les ans 800 000 personnes arriver sur le marché du travail au Mali, c’est très important. Car l’emploi ne concerne pas que les jeunes ou les diplômés, c’est aussi l’emploi des ruraux.
L’emploi, c’est vraiment le problème numéro un au Mali car nous avons la population la plus jeune. Voyez notre cartographie démographique : 80% de la population a moins de 25 ans. Et, sur une population active de 12 millions de personnes, il n’y en a pas plus de 4 millions qui travaillent!
Voyez ce que cela veut dire. Car chaque personne qui ne travaille pas, chaque personne en âge de travailler, de créer quelque chose, d’apporter de la richesse et qui ne travaille pas, c’est une ressource qui se perd pour le Mali. Quand on parle d’emploi, nous pensons qu’il faut plutôt parler d’entreprise et de création d’entreprises.
L’entreprise, c’est la clé du développement économique?
Diadié Sankaré – Absolument. Il faut parler d’entreprise car ce n’est pas une volonté politique ou des décrets qui créent des emplois. Ce sont les entreprises. Si on crée des entreprises, on crée des emplois. Il faut donc mettre en place les conditions permettant la création d’entreprises, qui puissent se porter bien, investir, se développer et générer des emplois.
Dans la délicate transition politique que connaît actuellement le Mali, peut-on quad même créer des entreprises?
Diadié Sankaré – Bien sûr! Vous savez que l’on n’en est pas à notre première transition. C’est peut-être la troisième ou quatrième. Je vous donne en exemple la transition de 2012 pendant laquelle cela a mieux fonctionné qu’en périodes dites normales.
En 2012, tous les bailleurs de fonds et toutes les ONG sont partis, mais le Mali n’a jamais connu un retard de salaires parce que les ressources étaient bien gérées. Tout le monde était conscient qu’il fallait réussir la transition pour que le pays puisse se remettre sur pied. Ce fut un véritable challenge, un sursaut, et je crois qu’aujourd’hui c’est vers cela que nous allons et devons tendre.
Diadié Sankaré durant son entrevue avec le grand reporter Bruno Fanucchi. © Baba Cissé (Afrimage)
«Il faut restaurer l’économie familiale
pour lutter contre l’insécurité»
Le Mali est en effet confronté à une double crise sécuritaire et sanitaire. Comment y faire face et parer au plus pressé? Quelles sont les urgences?
Diadié Sankaré – Nous, nous avons toujours vécu dans les urgences. Le peuple malien fait partie des peuples les plus résilients. Si vous voyez la façon dont nous faisons face à la pauvreté et aux difficultés, la façon dont nous faisons face à l’insécurité, l’activité économique pourtant ne s’est jamais arrêtée. Quand on regarde la télé, on a l’impression que le Mali, c’est fini, mais dès que vous arrivez ici au Mali, vous voyez que les gens bougent, que l’économie et le pays fonctionnent. De quoi avons-nous besoin aujourd’hui? Nous avons besoin de leaders qui donnent le bon exemple et qui remettent le pays au travail.
Quelles sont les priorités économiques de cette période de transition?
Diadié Sankaré – Il faut relancer l’économie et, tout d’abord, l’économie familiale, à la base de la vie économique. Cela est très important. Je donne toujours cet exemple : quand on était jeunes, nos parents n’étaient pas riches, mais ils nous nourrissaient et on mangeait trois fois par jour. Les jours de fête, ils nous offraient des habits parce qu’il y avait une économie familiale qui était là.
Aujourd’hui, celle-ci n’existe plus. Il faut la restaurer car c’est elle qui permet de lutter contre l’insécurité. Il faut pour cela des projets structurants qui permettent à tous d’avoir une activité. Il n’y a rien de pire que de n’avoir rien à faire, c’est encore pire que le chômage. Car il y a l’emploi salarié et l’auto-emploi.
S’ils n’ont même pas d’auto-emploi, ils désespèrent. Il faut arriver à remettre sur pied des mécanismes qui permettent à l’artisan de se nourrir de son artisanat et au paysan de ses récoltes et de sa production. Cela ne demande pas beaucoup d’efforts. C’est juste une volonté politique.
Comment relancer la machine économique et faire revenir les investisseurs?
Diadié Sankaré – Les investisseurs, d’accord!… Mais il faut d’abord que l’investissement local puisse se réaliser. Si nous-mêmes, Maliens, on n’est pas convaincu que l’on peut investir chez nous, on ne peut pas demander aux investisseurs étrangers de le faire.
Il nous faut montrer le bon exemple au lieu de courir les foires pour demander aux autres de venir. Aujourd’hui, les chaînes de valeur présentes ici dans le domaine agricole, par exemple, c’est énorme. Des pays comme le Burkina sont classés premiers dans certaines productions, mais ce ne sont pas eux qui produisent, c’est le Mali.
Comme la production de mangues, de coton…
Diadié Sankaré – Moi, je suis dans la mangue. Toutes ces chaînes de valeur il faut les développer. Organisons le travail de nos paysans. Faisons de la petite industrie pour transformer toutes nos productions et donner ici de la valeur locale ajoutée avant de l’exporter. Créons des agropoles, ces petits villages où l’on met toute la population locale sur une production bien déterminée, et de petites unités de transformation.
«Le bon manager, c’est celui qui sait déléguer»
Une de vos sociétés préparait des équipes cynophiles pour assurer la sécurité de l’aéroport international de Bamako. Où en est ce projet?
Diadié Sankaré – Pour le moment, on n’y est pas arrivé et le projet est reporté. L’épidémie de Covid 19 a tout bousculé dans le monde et les aéroports ne sont plus des unités économiques qui rapportent. Le trafic et les passages aux frontières ont été divisés par mille. On est prêt et l’on va pousser pour que la sûreté – avec le contrôle des passagers, des bagages et du fret – soit privatisée dans nos aéroports.
Diadié Sankaré lors de son entretien avec Bruno Fanucchi. © Baba Cissé (Afrimage)
Deux maux sont présents dans bien des pays d’Afrique : la corruption et la mauvaise gouvernance. Comment s’en débarrasser au Mali?
Diadié Sankaré – On a aujourd’hui au Mali les outils et une multitude d’organisations pour lutter contre la corruption, mais on n’y arrive pas.
Moi, je recommande deux choses :
– D’abord dématérialiser le process. Si vous avez besoin d’un service public et que vous parlez à un fonctionnaire, vous êtes vous-même tenté pour aller vite et obtenir des faveurs de jouer à ce petit jeu. Mais si vous pouvez accéder à ce même service de façon digitale et en direct, je crois que cela va diminuer le contact physique qui est un élément important de la corruption;
– Deuxièmement, développer le partenariat. Non pas public-privé, mais privé-privé, pour que le secteur privé soit ce lieu d’échanges où chacun d’entre nous puisse faire des affaires importantes et s’intéresser moins à la demande publique. Il faut trouver les mécanismes pour que les entreprises nationales puissent échanger et travailler entre elles. Cela me semble plus utile que de faire tous les jours de grandes campagnes sans lendemain contre la corruption, et qui ne servent à rien.
Quelle est aujourd’hui votre ambition pour le Mali?
Diadié Sankaré – Mon ambition, c’est d’abord un Mali apaisé, un Mali en sécurité et qui amorce son développement. Il est grand temps. Le Mali a des ressources et regorge de potentiel. Jusqu’à présent, nous n’avons même pas exploité 2% de nos potentialités.
Sur tous les plans, tout est à refaire et tout est possible. Ce que je souhaite, c’est un Mali où il fait bon vivre, un Mali qui crée des champions nationaux. Ceux-ci seront, pour les nouvelles générations, des modèles de réussite qui seront imités demain. Ils deviendront, eux aussi, des capitaines d’entreprise.
Vous êtes réputé pour être un défenseur farouche du secteur privé…
Diadié Sankaré – Quand le secteur privé est fort, c’est une ressource pour l’État. Je suis partisan d’un secteur public fort qui fait des propositions concrètes – et non toujours des réclamations – pour le développement et qui contribue à la définition des politiques économiques.
Aujourd’hui, par exemple, nous travaillons sur la fiscalité : comment faire pour élargir la base fiscale et changer cette pyramide qui fait que moins de 10% des entreprises payent plus de 80% des impôts?
Il faut que plus de contribuables paient l’impôt pour que les entreprises maliennes aient moins de pression, puissent recapitaliser, avoir des réserves, investir et aller à la conquête de la sous-région et, demain peut-être, à la conquête du monde.
Pour conclure cet entretien, parlez-nous un peu de vous. Un homme aussi occupé a-t-il encore un peu de temps pour sa vie privée et ses violons d’Ingres?
Diadié Sankaré – Bien sûr. Je fais du sport tous les jours, et du bateau le week-end. Car je pense que le bon manager, c’est celui qui sait déléguer. Pratiquement, je ne m’occupe plus de mes sociétés qui, chacune, a son organisation propre et son manager. J’ai donc vraiment le temps de réfléchir et de penser à autre chose : c’est pour cela que je me suis lancé dans la conquête du Patronat. J’ai le temps d’avoir une vision pour le pays et d’apporter quelque chose à l’ensemble du secteur privé.
Source: africapresse