Guillaume Mamadou Hachim Diallo, né le 20 août 1951, dans la ville de Ségou au Mali, d’un père catholique pratiquant, et d’une mère musulmane pratiquante, est le premier «hybride des deux religions» de sa famille. Comme tant d’autres familles maliennes moins métissées religieusement, celle de Guillaume incarne la laïcité du Mali. Chacun pratique sa foi librement, chacun respecte la foi de l’autre. Ensemble, ils fêtent les fêtes musulmanes, ensemble ils fêtent les fêtes catholiques. Ils sont la diversité du Mali. Ils sont le Mali. Guillaume, qui vit à Paris, a répondu à nos questions.
L’occupation des régions septentrionales du Mali par des groupes armés islamistes en 2012 aurait pu déstabiliser la cohabitation harmonieuse qui existait entre les différentes communautés religieuses, n’est-ce pas ?
Effectivement, mais les valeurs de la société malienne sont solides. À l’arrivée de ces groupes, les catholiques et les protestants ont immédiatement été protégés par leurs voisins et amis musulmans. Ensuite, comme beaucoup d’autres gens qui fuyaient la violence perpétrée par ces groupes, ils sont partis se réfugier, chez des parents et proches, au centre et au sud du pays. En 2012, ces groupes n’ont pas réussi à triompher du bien-vivre-ensemble malien.
Cependant, il faut appeler un chat un chat. Depuis plusieurs années, les choses évoluent, et ce n’est pas une conséquence de l’occupation du Nord en 2012. Des mosquées ont fleuri un peu partout, construites grâce à des fonds provenant des pays du Golfe, et ça continue. Les familles maliennes qui les fréquentent semblent oublier ce qu’elles ont appris de leurs parents. Elles adoptent la pratique religieuse ultra-rigoriste en vigueur dans ces pays-là. Elles s’habillent même comme si elles vivaient là-bas. Ces Maliennes et Maliens se replient un peu sur eux-mêmes. Dans les quartiers, c’est le vivre-ensemble entre eux et l’immense majorité des Maliens musulmans qui en est affecté. Ce n’est donc pas seulement notre vivre-ensemble inter-religieux qui est mis à mal, mais celui au sein de notre société en général.
Dans leurs prêches, certains attisent la haine envers les communautés chrétiennes. Par exemple, fait rarissime dans l’Histoire du Mali, en octobre 2017, dans le centre du pays, plusieurs églises et chapelles ont été saccagées par des «hommes armés non identifiés». Ils attisent la haine aussi envers les musulmans qui pratiquent leur religion «à la malienne». Pour le moment, nos valeurs ancestrales sont plus fortes que leurs prêches.
Au sein de la diaspora, nous constatons également une évolution, sans doute due à notre éloignement du pays. Nous vivons moins «ensemble». Nous nous connaissons moins. Notre tissu social est fragilisé, et trop de nos jeunes méconnaissent nos valeurs. Ils peuvent être influençables. Parfois ici, en France, nous entendons des propos à l’égard de telle ou telle communauté que personne n’oserait tenir au Mali.
À ces faits inquiétants s’ajoutent deux choses. Vous savez au Mali, beaucoup de gens «se cherchent», ils cherchent à plaire à ceux qui sont bien placés socialement. Si ton patron fréquente tel lieu de culte, tu vas t’y faire voir au moment de la prière, dans l’espoir de gagner sa sympathie, et peut-être même une promotion. Il ne s’agit plus de foi, tout le monde le sait, tout le monde fait semblant.
Et au niveau national, comme on dit chez nous, les pintades se suivent, elles regardent la nuque de celle qui est devant. Tout le monde comprend ce que cela veut dire. Depuis 2013, la route est tracée par celui qui est à la tête de l’Etat. Alors que le Mali est constitutionnellement défini comme laïc, la plupart des plus hauts responsables du pays commencent et terminent leurs discours en se référant à la religion musulmane. Sur l’ORTM, la télévision nationale, vous n’avez qu’à regarder le journal d’information, les présentateurs en font autant. Les chrétiens ne sont pas les seuls à le remarquer. De très nombreux Maliens musulmans en sont choqués également.
L’Association des catholiques maliens de France travaille actuellement sur un projet de rencontres de dialogue inter-religieux, dites-nous en plus, Guillaume.
C’est vrai. Dans un objectif d’apaisement général, et avec l’aide de Pierre Diarra, théologien, responsable de l’Union pontificale missionnaire, nous souhaitons mettre en place des rencontres favorisant le dialogue inter-religieux au niveau des populations. Nous commencerons ici en France, car nous savons l’influence que la diaspora exerce sur nos parents restés au pays. Nous pensons qu’en démarrant ici, l’objectif de ces rencontres sera plus vite atteint.
La première étape du projet se fera au niveau des prêtres et imams maliens vivant en France. Ils n’ont en général pas de pratique inter-religieuse. Pour qu’ils en comprennent l’intérêt, il faut d’abord qu’ils rencontrent des imams et prêtres français, qui œuvrent pour le dialogue inter-religieux, et travaillent avec eux. Moussa Namoko, un prêcheur malien, originaire de Ségou, qui vit en région parisienne, a été informé de notre projet par mes soins. Il a salué l’initiative. Il est même pressé que cela se fasse. Nous l’avons missionné pour qu’il en parle à d’autres prêcheurs ici. Si cela est possible pour eux, nous inviterons les Protestants maliens de France à se joindre à nous.
La deuxième étape sera l’organisation d’une série de rencontres publiques sur des thèmes variés qui permettront aux Maliennes et Maliens de se parler, de s’écouter, afin de raccommoder ensemble notre tissu social profondément fragilisé par une crise multiforme qui dure depuis trop longtemps. Nous programmerons le début des rencontres publiques dans les premiers mois de 2019.
Je tiens à préciser que nous sommes allés voir le nouvel Ambassadeur du Mali en France, car comme tous ses prédécesseurs, il est également Ambassadeur du Mali auprès du Vatican. C’est en cette qualité que nous, l’Association des Catholiques maliens en France, lui avons demandé audience pour l’informer de notre projet. Il nous a félicités pour l’initiative. Nous aussi, nous l’avons assuré de notre accompagnement pour sa mission auprès du Vatican.
En attendant, le début de ces rencontres pour favoriser le dialogue inter-religieux, je vous laisse le mot de la fin, Guillaume Diallo :
Au sein de l’Eglise catholique, il y a une hiérarchie très structurée, on parle d’une seule voix. Au niveau du Mali, c’est la Conférence épiscopale qui décide tout ce qui relève de la position de l’Eglise. Ce qui évite des discours personnels des prêtres. Or, chez nos sœurs et frères musulmans, beaucoup s’autoproclament imams et prêcheurs, parfois sans réelle formation. Il y a sans doute un travail à faire sur ce sujet aussi, afin d’éviter qu’une poignée de gens n’enflamme davantage notre Maliba.
Propos recueillis par Françoise WASSERVOGEL
Le Reporter