Deux versions contradictoires s’affrontaient depuis la frappe aérienne menée, le 3 janvier 2021, par Barkhane, près du village de Bounty, dans la Région de Douentza.
Alors que l’Armée française affirmait avoir visé des djihadistes, l’Association Tabital Pulaaku affirmait que le bombardement a visé une cérémonie de mariage. Et que le bilan était très lourd… Et pour cause, de nombreux civils ont été tués par l’aviation française.
Plusieurs associations de défense des droits de l’homme ont dénoncé cette tuerie. De son côté, la Minusma a dressé un rapport accablant mettant en cause Barkhane. Mieux, les Nations-Unies ont demandé l’ouverture d’une enquête. Mais, les autorités françaises sont restées sourdes à ces condamnations et aux recommandations de l’ONU.
Ainsi, l’Etat-major français des Armées annonçait, dans un communiqué (le 7 janvier 2021), que la frappe avait visé un « Groupe armé terroriste », formellement identifié comme tel et qui était constitué « d’une quarantaine d’hommes adultes dans une zone isolée ».
Cependant, un Rapport de la MINUSMA (en mars 2021) a contredit cette version française. Les Auteurs du Rapport ont, certes, pu établir la présence, ce jour-là, de cinq individus armés, dont au moins un portait son arme de façon visible. « Arrivés dans le village, à bord de trois motos, dans la matinée du 3 janvier, en provenance d’un autre lieu, ces cinq individus armés appartiendraient à la Katiba Serma », indique la Minusma.
Les Enquêteurs de la mission onusienne notent que « la Katiba Serma opère, certes, dans la zone observée », mais que « la présence supposée ou avérée de membres de la Katiba Serma dans cette zone n’est pas un élément suffisant pour affirmer l’appartenance de facto de tout individu observé dans cette même zone ».
Mais, les Enquêteurs sont formels : « Le rassemblement consistait en une célébration de mariage qui a réuni une centaine de personnes, en majorité des civils habitant Bounty, à l’exception des cinq présumés membres de la Katiba Serma ».
Plusieurs civils tués
A en croire les témoignages recueillis par les Auteurs du Rapport, au moins 22 personnes ont été tuées par le bombardement de Barkhane. Parmi ces victimes, dix-neuf civils dont trois sont morts de leurs blessures au cours de leur transfert ainsi que les trois individus armés soupçonnés d’appartenir à la Katiba Serma. Les deux autres djihadistes présumés auraient quitté les lieux du rassemblement avant la frappe française.
Pour mener son enquête, la Division des Droits de l’Homme et de la Protection de la MINUSMA a déployé une « mission spéciale d’établissement des faits » du 4 janvier au 20 février 2021, avec l’appui notamment de la Police Scientifique des Nations Unies.
Des investigations ont été menées sur le terrain : le 25 janvier, l’équipe s’est rendue à Bounti et a visité le lieu de la frappe aérienne, l’endroit présumé d’enfouissement des dépouilles des personnes tuées par la frappe ainsi que le village.
Au terme de ses travaux sur le terrain et à l’analyse des témoignages recueillis, la Minusma confirme la thèse de la bavure dénoncée par des organisations de la société civile, depuis les premières heures de la frappe.
« Au terme de l’enquête, la MINUSMA est en mesure de confirmer la tenue d’une célébration de mariage qui a rassemblé sur le lieu de la frappe une centaine de civils parmi lesquels se trouvaient cinq personnes armées, membres présumés de la Katiba Serma. Au moins, 22 personnes, dont trois des membres présumés de la Katiba Serma présents sur le lieu du rassemblement, ont été tuées par la frappe de la Force Barkhane survenue le 3 janvier 2021 à Bounty », peut-on lire dans le document rendu public par l’ONU le 30 mars 2021.
Le rapport donne plus de détails sur la particularité de ce rassemblement. En effet, les rapporteurs affirment : « Au moment de la frappe, les femmes, les filles et les enfants en bas âge étaient réunis au niveau des hameaux de culture, autour de la cuisine, et préparaient le repas de mariage. Par conséquent, le rassemblement, exclusivement composé d’hommes et d’adolescents était réparti par âge et affinités en sept groupes, espacés de quelques dizaines de mètres chacun. Il n’y avait notamment ni musique, ni danse, ni signes extérieurs et manifestes festifs ».
Les Enquêteurs se sont également rendus à Bamako, Sévaré, Mopti et Douentza, pour recueillir les témoignages, dans un contexte marqué par la vive polémique qui a fait rage dans les médias et sur les réseaux sociaux. Celle-ci « a eu un impact à la fois sur la crédibilité de certaines sources et leur protection », précisent les Enquêteurs. Ils n’en ont pas moins entendu individuellement 115 personnes, interrogé une centaine d’autres par téléphone et mené des réunions groupées avec au moins 200 personnes supplémentaires.
La Minusma “recommande” aux autorités françaises de diligenter “une enquête indépendante, crédible et transparente”. Elle préconise d’examiner les processus préalables aux frappes, voire de les modifier.
Elle recommande aussi aux Français de chercher à établir les responsabilités et d’octroyer le cas échéant une réparation aux victimes et à leurs proches. Mais jusqu’ à présent la France n’à accéder à aucune de ces recommandations. Pire, le ministère des armées de la France : maintient avec constance et réaffirme avec force” que : « le 3 janvier 2021, les forces armées françaises ont effectué une frappe aérienne ciblant un groupe armé terroriste identifié comme tel près de Bounty ».
Mémé Sanogo
Source: L’AUBE