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Déplacement en Afrique: «Macron veut éviter que la propagande russe ait les mêmes conséquences qu’au Mali»

Le président de la République se déplace du 25 au 28 juillet au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau. L’ancien ambassadeur Nicolas Normand analyse les enjeux de cette tournée africaine.

Nicolas Normand a été ambassadeur de France au Mali de 2002 à 2006, au Congo, au Sénégal et en Gambie. Il est l’auteur du Grand Livre de l’Afrique, (éd. Eyrolles, 2018), mis à jour en juin 2022.

Selon l’Élysée, cette visite a pour objectif de réaffirmer «l’engagement du président dans la démarche de renouvellement de la relation de la France avec le continent africain». Quels sont les enjeux de cette visite ?

Nicolas NORMAND. – Cette volonté de renouveler la relation avec le continent africain n’est pas nouvelle. Elle a été exprimée depuis la cohabitation Jospin/Chirac, et ensuite assez fortement du temps de Sarkozy puis de Hollande. Il y a eu une période assez longue pendant laquelle la France s’était un peu désintéressée de ce qu’on appelait autrefois «le pré carré», c’est-à-dire les anciennes colonies françaises, pour s’intéresser davantage aux pays africains de langue anglaise ou portugaise. Mais la France a ensuite été un peu rattrapée par les réalités, puisqu’il y a eu la crise de la Côte d’Ivoire, et la crise du Mali en 2012. En contradiction avec cette volonté de se distancer, il y a eu une nécessité de gérer des crises éclatantes dans le pré carré que l’on avait un peu négligé. La crise récente entre la France et le Mali a fait apparaître un certain rejet de la politique française, surtout en Afrique de l’ouest francophone.

Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs, veut renouveler et revitaliser la politique française en Afrique, mais il est pris dans les contradictions héritées de ses successeurs et qu’il a également créées lui-même. Son comportement passé vis-à-vis des pays francophones africain a été mal perçu. Les exemples sont assez nombreux, comme le premier déplacement à l’étranger où il est allé directement à Gao sans passer par Bamako, ce qu’on a appelé «la convocation de Pau» d’un sommet du G5 Sahel, ou encore les déclarations après les deux coups d’État au Mali extrêmement virulentes à l’égard des autorités dites intérimaires maliennes.

Il y a la crainte que la Russie, comme au Sahel, n’exploite les incompréhensions avec la France et fasse une propagande anti-français.

Nicolas Normand
Un autre élément propre à la période Macron est un réinvestissement très fort de la Russie en Afrique, comme moyen de contrer l’influence occidentale et de chercher des ennuis à la France, exploitant les faiblesses, les incompréhensions et les problèmes de communication français.

Plus qu’un désamour, il y a au niveau des populations une incompréhension voire un rejet assez fort de la politique française au Sahel et en l’Afrique de l’ouest, à l’exception de la Côte d’Ivoire et du Niger. C’est dans ce contexte que le voyage se fait. Emmanuel Macron se dit «il ne faut pas que la France perde son influence historique en Afrique centrale comme elle est en train de la perdre dans l’Afrique de l’ouest francophone». Le Cameroun est la principale économie de l’Afrique centrale. C’est aussi un pays fragile du fait des 40 ans de pouvoir du président vieillissant Paul Biya, qui est de plus un autocrate contesté. Il y a la crainte que la Russie, comme au Sahel, n’exploite les incompréhensions avec la France et fasse une propagande anti-français. La France veut essayer de rappeler de manière préventive qu’elle est un acteur dans cette région. Sur le plan géopolitique, le sens principal de sa visite au Cameroun est donc de ne pas perdre pied en Afrique centrale et en particulier au Cameroun.

La dernière étape du voyage est la Guinée-Bissau qui est un état failli où les narcotrafiquants ont un rôle quasi prépondérant. Mais Emmanuel Macron y va car le président de la Guinée-Bissau va prendre la présidence de la CEDEAO. C’est donc l’idée d’appuyer la CEDEAO qu’il faut cependant manier avec prudence. Les pays africains ont tendance à penser que la France manipulerait la CEDEAO, ce qui est une idée fausse.

Quel est le poids de la Russie dans ces pays ?

Globalement, la Russie a un très faible poids dans les pays africains. Son rôle principal réside dans l’exportation d’armes. Elle fut un ancien coopérant du temps de l’URSS, mais après son implosion en 1991-1992, la Russie a disparu du paysage. Malgré un timide retour, elle n’est ni un bailleur de fonds, ni un pourvoyeur d’aide au développement, ni un partenaire commercial important en dehors des armes. Elle aimerait revenir dans le secteur minier, mais n’a pas beaucoup de produits à exporter. La Russie reste donc un partenaire marginal pour les pays africains.

En revanche, elle exploite les faiblesses ou les incompréhensions de la relation franco-africaine pour attaquer indirectement la France. Son but principal dans les pays francophones, n’est pas les pays francophones en tant que tel, mais l’idée d’attaquer la France et de faire une propagande anti-française par de la désinformation, des «fake-news» et des vidéos fabriquées comme au Sahel. Cette stratégie est facile, ne coûte pas cher, et exploite la méconnaissance et l’incompréhension d’une partie de la population. Le but principal de la Russie est de déstabiliser la présence française et occidentale en Afrique et non pas tellement de leur prendre une place parce qu’elle n’est pas un concurrent économique.

La Chine fait des prêts très importants aux pays africains qui commencent à poser des problèmes de surendettement.

Nicolas Normand
Quid de la Chine ?

La Chine est le premier partenaire bilatéral des pays africains. L’Europe passe devant si on additionne les 27 pays de l’Union européenne. L’Afrique bénéficie du commerce avec la Chine puisqu’elle vend ses matières premières et achète des produits de consommation qui bénéficient à la population. La Chine souscrit des prêts très importants aux pays africains qui commencent à poser des problèmes de surendettement. Elle n’investit pas beaucoup parce qu’elle ne crée pas beaucoup d’industries dans les pays africains à quelques exceptions près comme l’Éthiopie et un peu l’Afrique de l’est ou du sud. Pour la plupart des pays, elle est un prêteur et un partenaire commercial. La France n’a pas de raisons particulières de contrer son influence, parce que l’influence chinoise n’est pas politique anti-occidentale. On ne voit pas les Chinois faire une propagande anti-occidentale dans leurs chaînes de télévision. Dans leur soft power, ils ne s’en prennent pas spécialement à la présence occidentale contrairement à la Russie.

La Chine est donc un concurrent, mais un concurrent normal. On peut évidemment discuter des modalités de concurrence car l’aide au développement chinoise, contrairement à l’aide des pays de l’OCDE, est une aide liée. Cela signifie que lorsque les Chinois apportent des financements, il faut utiliser une entreprise chinoise. Il y a donc une distorsion des règles de la concurrence puisque les règles appliquées ne sont pas les mêmes pour les pays de l’OCDE, dont la France, et la Chine. Il y a une certaine concurrence déloyale sur le plan commercial qui pose problème en plus du problème du surendettement.

La France a affirmé être prête à apporter «un soutien concret» au Bénin qui a subi des attaques djihadistes. Le Cameroun fait quant à lui face à la menace de Boko Haram dans le nord du pays. Ce voyage a-t-il également pour objectif de réaffirmer la présence militaire de la France dans la lutte contre le djihadisme à la suite du retrait de Barkhane du Mali ?

La France n’est quasiment pas présente dans la lutte contre Boko Haram et l’ISWAP, le mouvement qui a un peu succédé à Boko Haram au nord du Nigeria, qui affectent le bassin du lac Tchad en général dont le nord du Cameroun. La France s’est concentrée sur les mouvements djihadistes au Sahel. Il n’est pas prévu à ma connaissance qu’elle s’implique fortement dans la lutte contre Boko Haram et l’ISWAP.

En revanche, la lutte contre le djihadisme au Sahel va être discutée au Bénin dont le nord touche le Sahel. Emmanuel Macron et les autorités françaises ont clairement annoncé, bien que cela n’ait pas encore été traduit par des actions, qu’il est prévu de changer radicalement les modalités de la lutte anti-djihadiste suite aux événements du Mali et au bilan mitigé au Sahel. L’action de l’armée française se faisait en coopération avec les armées locales mais en première ligne, c’est-à-dire qu’il y avait des combats directs entre les armées françaises et les djihadistes. Cette action devrait être transformée en soutien aux armées africaines qui seront en première ligne. Il s’agirait d’appuyer les armées locales sans se substituer à elles.

Au Mali, il y avait également un problème de communication puisqu’il n’y a pas eu d’explications adéquates du rôle de l’armée française au Mali.

Nicolas Normand
On a beaucoup reproché à la France sa trop forte visibilité ainsi que le fait qu’elle se substituait en partie aux armées africaines, voire les déresponsabilisaient. Au Mali, il y avait également un problème de communication puisqu’il n’y a pas eu d’explications adéquates du rôle de l’armée française au Mali. Barkhane communiquait seule alors que les autorités maliennes auraient dû communiquer pour expliquer ce que faisait Barkhane en coopération elle. Au lieu d’avoir une communication conjointe voire dominée par les autorités maliennes, c’était une communication française mal adaptée au contexte.

Ces questions vont surtout être discutées au Bénin. Le changement est annoncé pour l’automne. À partir de septembre, il devrait y avoir des annonces plus concrètes de cette transformation. Le ministère des armées a réfléchi au bilan et à la transformation nécessaire de Barkhane qui va être ramenée à 2500 soldats contre 5500 au maximum qu’il y avait ces dernières années.

Emmanuel Macron a fait part à son homologue Paul Biya de sa volonté de «lancer un travail conjoint d’historiens camerounais et français», pour «faire la lumière» sur l’action de la France au Cameroun pendant la colonisation. Que signifient ces propos ?

Il n’est pas le premier à faire cela. Lorsque François Hollande était venu au Sénégal en 2012, il avait demandé la réouverture des dossiers sur l’affaire de Thiaroye, avec les affaires d’exactions contre des tirailleurs sénégalais. Dans le cas du Cameroun, c’est la seule ancienne colonie française où il y a eu des mouvements insurrectionnels pros indépendance à la fin de la période coloniale en Afrique subsaharienne. C’est le seul pays où il y a eu une résistance anticoloniale à la fin de la période coloniale avec une répression sévère par l’armée française et des exactions contre les leaders indépendantistes à la fin de la période coloniale. Il était un peu inévitable qu’Emmanuel Macron pose cette question et demande que l’on fasse une étude objective de la question par des regards partagés entre historiens français et camerounais. Cela me paraît logique car on ne peut pas effacer le passé ou le transformer. Il faut l’assumer. Ce n’est pas propre à Macron. Je crois que n’importe quel chef d’État français raisonnable est obligé de faire cela lorsqu’il va en visite au Cameroun.

Source : Le Figaro

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