Il n’y a pas eu de suspense, encore moins de casse-tête de casting pour le président malien Bah Ndaw suite à la démission de son Premier ministre, Moctar Ouane, le 14 mai dernier. Il l’a immédiatement reconduit dans ses fonctions le même jour, et instruit de former un gouvernement de large ouverture conformément aux recommandations de la classe politique, des forces vives et des leaders religieux, adressées au président de la République quelques jours plus tôt.
Exit donc le gouvernement Ouane 1, congédié pour son inefficacité et son incapacité à apporter des solutions adaptées à ce pays fragilisé par une économie en crise, un laxisme sidérant face au chômage et à la corruption devenus endémiques, et par des attaques terroristes qui ont mis le Nord en feu et le centre en cendres. C’est ce tableau pour le moins sombre que la coalition du M5–RFP composée de plusieurs groupements politiques et apolitiques, a brossé lors de sa rencontre avec le président de la République, le 6 mai dernier, avant de demander la démission du gouvernement et celle de son chef. C’est désormais chose faite comme chacun le sait, et on attend, dans les prochains jours ou les prochaines heures, la composition de la nouvelle équipe qui conduira, sauf cataclysme, le Mali au référendum constitutionnel le 31 octobre prochain et au double scrutin présidentiel et parlementaire quatre mois plus tard, soit le 27 février 2022. D’aucuns diront que ce chronogramme d’activités politiques est trop bien séquencé pour être réalisable dans un pays chroniquement instable comme le Mali, et beaucoup d’analystes et d’observateurs doutent de la bonne foi des acteurs de la Transition et s’interrogent sur les intentions réelles des uns et des autres.
Choguel Maïga et ses camarades veulent se présenter à leurs compatriotes comme une alternative crédible
En attendant d’en savoir davantage sur le dessous des cartes, on peut raisonnablement se demander si les acteurs civils comme militaires de la Transition, ne cherchent pas, à travers cette démission du gouvernement, à privilégier des intérêts personnels au détriment de ceux du pays, en envisageant secrètement le report des échéances électorales et du coup, la prolongation de la période de Transition. Le président actuel qui n’a aucune chance de rester aux affaires après le 27 février 2022 qui marquera la fin de la parenthèse politique actuelle, pourrait être très…flexible, surtout s’il s’agit de proroger son séjour au mythique palais de Koulouba. Idem pour le groupe de colonels putschistes qui sont les vrais patrons de la Transition, qui pourraient voir dans cette démission du gouvernement, une fenêtre d’opportunité pour libérer les très controversés « tabourets » qu’ils y occupaient, afin de se préparer conséquemment à une vie civile et politique probablement plus douillette, à travers des postes où ils seront plus à l’aise sans pour autant être sous le feu des projecteurs, étant entendu que la Charte de la transition leur interdit de briguer des postes électifs lors des prochaines échéances. Quant aux partis politiques et associations de la société civile qui ont passé le temps à ruer dans les brancards et à brocarder les autorités de la Transition, ils pourraient y trouver leurs comptes, quand on sait d’ores et déjà que c’est une coalition large et hétéroclite qui sera mise en place pour gouverner le pays. Des tractations sont certainement déjà entamées en coulisses pour rallier tous ceux qui pourraient servir de soupape de sécurité pour ce régime de plus en plus impopulaire, notamment les membres du M5 – RFP qui ont déjà étonnamment annoncé leur non-participation au futur gouvernement. C’est vrai que la politique aussi a ses raisons que la raison ignore, mais on se demande si la position de Choguel Kokalla Maïga et de ses principaux lieutenants du M5-RFP, sera tenable à terme, surtout quand on sait que dans ce genre de melting-pot, on est couché sur la même natte, mais on ne fait jamais les mêmes rêves. Il n’est pas exclu, en effet, que les intérêts égoïstes des uns et les calculs politiciens des autres aient raison du mur déjà très lézardé de cette coalition qui fut le fer de lance de la lutte qui a abouti à la démission forcée de l’ancien président Ibrahim Boubacar Kéita (IBK). Le refus de prendre part au futur gouvernement est a priori paradoxal quand on sait que le M5 a exigé et obtenu le départ du précédent, mais la position n’est pas dénuée de sens politique puisque Choguel Maïga et ses camarades veulent se présenter à leurs compatriotes comme une alternative crédible pour affronter les grands défis du Mali. Mais dans la situation actuelle, et au regard de leurs contradictions internes, il leur sera difficile, à huit mois des élections, de convaincre l’électorat qu’ils ont véritablement les profils et les compétences nécessaires pour diriger ce navire en perdition qu’est le Mali. C’est probablement conscients de tout cela qu’ils font feu de tout bois pour faire tomber les principales institutions de la Transition qui échappent toutes actuellement à leur contrôle, et faire repousser ipso facto les échéances électorales jusqu’à ce qu’ils mettent de l’ordre dans leurs propres rangs et peaufinent des stratégies qui pourraient séduire leurs compatriotes. L’hypothèse la plus vraisemblable est que les principales figures politiques du M5 vont bouder le futur gouvernement et tirer à boulets rouges sur ses actions afin de fragiliser et de décrédibiliser tous ses membres et ses soutiens quand ils iront à la conquête des voix, aux scrutins législatif et présidentiel à venir. Dans cette entreprise de diabolisation et de destruction politique, ils pourraient avoir comme alliée de circonstance l’Union nationale des travailleurs du Mali qui a déjà annoncé la couleur avec cette grève de quatre jours reconductible, pour compter de ce lundi.
Hamadou GADIAGA
Source: lepays