Dans décryptage, les défis sécuritaire et politique du Mali. Sans vouloir exploiter les émotions, chaque Malien doit se révolter contre l’horreur, devenue l’estampille des narcoterroristes.
Ce jeudi 7 septembre 2023 à Zarhoy (Rharous), dans les eaux profondes du fleuve Niger, à quelques mètres des berges, vient de se produire la pire des attaques narcoterroristes sous la transition. Une journée funeste pour le Mali. Sous un ciel dégagé et dans une ambiance de rêve, le bateau “Tombouctou” de la Compagnie malienne de navigation (Comanav) rempli à ras bord de paisibles voyageurs, est attaqué à l’obus par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), dirigé par Iyad Ag Ghaly d’Aqmi.
Quelques heures après l’attaque du Tombouctou, c’est autour de la base militaire de Bamba d’être sous les feux nourris du GSIM. Bilan officiel de ces deux attaques : 49 civils et 15 militaires tués. On tue pour le plaisir de tuer ! Le bilan s’alourdira, d’autant que le Tombouctou est réduit en cendre. En attendant, des familles sont toujours sans nouvelle de leurs proches : vivants, blessés, morts ?
“On sait que l’on va pleurer, mais on ne sait pas quand”, me confie un ami. Tout est dit. Sous certains cieux, les responsables des départements de tutelle (transport, sécurité, défense, etc.) rendraient des comptes. D’autant que le blocus de la ville de Tombouctou et l’attaque du 1er septembre dernier contre un autre bateau de la Comanav (un mort et deux blessés) aurait suffi pour prendre la mesure des enjeux sécuritaires de la liaison fluviale.
D’autant que le bateau est un moyen de transport recherché par les voyageurs pour sa sureté et son bas coût. Donc, une cible idéale pour les narcoterroristes pour faire un maximum de victimes. Le 8 septembre encore, au moment où la population de Gao prie pour le retour de la paix, la base militaire de sa ville résiste contre une attaque kamikaze du GSIM. Aucun bilan officiel pour l’instant. Gao, Mopti, Tombouctou et Ménaka s’effondrent. Contrecoup du départ de la Minusma ?
Rendons hommage aux innocents, morts sous le feu d’insatiables assassins
Le Mali décrète un deuil de trois jours. Les fantômes de la guerre nous tourmentent encore. Quelques gémissements par ci ; quelques éclats de voix par là. Hélas ! N’est-il pas le moment pour nous remettre en question ?
Les années passent et se transforment en un chemin de croix sécuritaire. Les populations sont tantôt humiliées, tantôt assassinées, tantôt affamées. Alors qu’à Bamako, certains sèment la confusion, juste pour des miettes de pouvoir. D’autres discourent pour “calmer le jobard”. Les morts innocentes de Bodio, Zarhoy, Gabéro ou Ménaka nous hanteront pour longtemps. Rendons hommage aux innocents, morts sous le feu d’insatiables assassins.
Toujours, à Bamako, on déjeune en toute tranquillité oubliant le sang versé de nos concitoyens. Quel dégoût ! Encore à Bamako, d’autres tirent la couverture à eux pour sommeiller paisiblement sans être perturbé par les horreurs. À Bamako, d’une rive à l’autre, on se barricade. Quelle inconscience ! La guerre des récits ne suffit plus. Il faut agir pour éviter le retour de bâton. Il y va de la paix, du vivre ensemble et de notre survie.
Une chute peut en cacher une autre
Réveillons-nous, car nous avons besoin les uns des autres pour exister. Réveillons-nous, car dans chacune de nos veines coule du sang Arabe, Bambara, Bozo, Bwa, Dogon, Khassonké, Malinké, Mianka, Peul, Senoufo, Songhay, Soninké, Targui, etc. Réveillons-nous, car un air de 2012 souffle de nouveau sur les rives du fleuve Djoliba.
Les Maliens meurent bêtement. Le pays s’enlise. Les risques de couper le pays en deux se dessinent. Une chute peut en cacher une autre. Partout, c’est la panique et le désespoir. Une question délicate se pose : quels intérêts et quelle solidarité des gouvernants pour les populations ? De toute évidence, cette question soulève les difficultés de nos dirigeants à nous protéger. Ne le prenez pas mal. Elle oblige à sortir du piège du pouvoir pour le pouvoir pour construire une politique de rassemblement des Maliens.
L’acquisition d’équipement militaire est une chose ; la montée en puissance de l’armée en est une autre. Regardons-nous dans le miroir. Aujourd’hui, la responsabilité de l’exécutif est questionnée pour obtenir des résultats efficaces au problème du narcoterrorisme. Inutiles les clivages, les phrases assassines avec leur effet repoussoir. Inutile, ce déchainement de la violence d’Etat contre les voix critiques et libres : Ras Bath, Rokia Doumbia (Tata Rose), etc. Ne chipotons pas !
Seuls les commencements sont beaux
Aujourd’hui, tout est sujet à tension comme le scrutin présidentiel de 2024, le défi politique de la transition. Adama Ben Diarra, alias Ben le cerveau, en a payé cash. Son tort : inviter l’exécutif à respecter la durée de la transition. Membre du Conseil National de Transition et leader du mouvement Yèrèwolo-Débout sur les remparts, Ben le cerveau croupit en prison depuis le 5 septembre dernier. Motif : “atteinte au crédit de l’Etat”. Ben le cerveau paie le prix de son émancipation de l’exécutif.
L’autonomie a un prix. L’incarcération de Diarra, chef de file de la contestation contre la force Barkhane et la Minusma, mine la confiance entre son mouvement et la transition. Ah, “Seuls les commencements sont beaux”, dirait le philosophe allemand, M. Heidegger. Désormais, les alliances se fragilisent. Une tempête de sable souffle sur le pays de Modibo Kéita. Il en est de même chez notre voisin burkinabé où la situation politique et sécuritaire n’est pas mieux : 53 morts (soldats et VDP) à Koumbri dans une attaque narcoterroriste, le 4 septembre 2023. Entre deuil et tristesse, un retour du débat politique est attendu.
Une ambiance de fin du monde
Pour sortir de ce cercle vicieux, une des solutions c’est d’organiser des débats sur les défis sécuritaire et politique, associant l’ensemble des forces vives du pays : associatifs, autorités traditionnelles, notables, politiques, syndicalistes, etc. Les bricolages ne suffisent plus. Tirons les leçons de nos échecs sécuritaires et politiques pour émerger de cette ambiance de fin du monde dont les principales victimes sont les populations, traumatisées, violentées et humiliées.
Mohamed Amara
Sociologue
Mali Tribune