Lorsqu’on est jeune sans emploi, précaire sans logement, marginalisé sans soutien, notre préoccupation principale n’est-elle pas de trouver sa place ?
Au centre de ma dernière chronique, il y avait la question des modèles républicains des différents régimes au Mali. Aujourd’hui, place est faite à la problématique des jeunes dans nos sociétés. Avant toute chose, la notion de jeune (fille-garçon) traduit cette première période de la vie entre l’enfance et la maturité, désignée par le terme de jeunesse. Elle renvoie donc à des réalités socio historiques qui structurent les jeunes dans un apprentissage social, culturel et politique. Elle dit quelque chose des regards que nous portons sur la jeunesse. La jeunesse d’aujourd’hui ne sera-elle pas les anciens de demain ?
La question de la jeunesse est devenue insoluble à cause de la difficulté des dirigeants à satisfaire ses demandes. C’est un des mythes maliens, voire africains ; on parle beaucoup plus des situations de jeunesse que d’agir pour leur reconnaissance sociale.
Aujourd’hui, les jeunes Algérien, Burkinabé, Guinéen, Ivoirien, Malien, Mauritanien, Nigérien ou Sénégalais sont plus préoccupés à lutter individuellement pour exister qu’à se battre collectivement pour changer la société. Pourquoi ? Parce qu’ils dépendent plus de l’image que la société leur renvoie que de celle qu’ils renvoient à la société. Ils sont stigmatisés et dévalorisés. Dans ce sens, les qualificatifs ne manquent pas pour parler de la jeunesse : difficile, folle, heureuse, insouciante, studieuse…Telle est la caractéristique de la jeunesse dans nos pays où plus de la moitié de la population est jeune. La seule alternative qui lui reste pour vivre, c’est la débrouille. Mais dans l’ordre des places établies par la société. A un tel niveau que l’émancipation individuelle se fait au détriment des valeurs sociétales, comme la solidarité. Pourtant, la question de la jeunesse a été au cœur des politiques des différents exécutifs maliens. Hélas ! Les résultats restent accablants.
Militarisation de la jeunesse ou outil de propagande
Modibo Keïta, 1er président du Mali indépendant, s’est engagé à faire des jeunes Maliens des ″soldats citoyens″, c’est-à-dire leur donner une formation civique et physique : Mouvement national des pionniers (1960), Brigades de vigilance (1962), etc. C’était un contexte de libération nationale où se mélangeaient le socialisme et les cultures occidentales : yéyé, Kar-Kar (Mali Twist), pantalon pattes d’éléphant. Un symbole d’ouverture au Monde. Mais très vite ce projet échoue, car il dévie vers l’organisation de la jeunesse en milice populaire. La suite, la jeunesse s’est militarisée, et est devenue un outil de propagande politique. De plus, la politique de la révolution active du Président Keïta a sonné le glas de tout espoir révolutionnaire pour les jeunes. Pour rappel, cette révolution active consistait à purger l’appareil d’Etat des ″ennemis″ du socialisme, suite au coup d’état renversant le Président ghanéen N’Krumah, symbole du panafricanisme. Donc, les jeunes étaient devenus une menace pour le régime par peur d’être déstabilisé.
L’éloignement de la jeunesse des projets de transformation de la société se poursuivit avec Moussa Traoré, tombeur du régime de Modibo Keita en 1968. Moussa Traoré met fin aux organisations de jeunes et leur interdit de parler de politique. A la place d’une politique d’émancipation de la jeunesse s’est développée une politique de censure contre elle. Il fallait se taire, c’était le mot d’ordre. Face au règne de l’ordre en kaki, fini le yéyé ou la chemise serrée, les jeunes s’approprient de nouvelles tendances comme le rock, bien plus politisé. La suite : les rapports entre les jeunes et les moins jeunes se dégradent.
Perception d’abandon de la jeunesse
Alpha Oumar Konaré, 1er Président du Mali démocratique, s’est inscrit dans une dynamique de libération de l’esprit d’initiatives chez les jeunes, concrétisée par son successeur ATT, Amadou Toumani Touré. Sous ATT, des dispositifs d’insertion pour les jeunes, comme l’Agence pour la Promotion et l’Emploi des Jeunes, sont créés (2003). Mais hélas ! Le régime d’ATT, en dépit de sa bonne foi, s’est embourbé. Résultats, pas de dispositifs d’animation de la jeunesse quartier par quartier, commune par commune, village par village. Or, la politique de décentralisation aurait permis cela, si elle avait été évaluée et réorientée. Autant dire que la question de la place de la jeunesse que celle de sa visibilité et sa reconnaissance dans la société n’ont pas été résolues. On continue à faire du neuf avec du vieux dont un des effets est la perception d’abandon de la jeunesse.
Jeunes, parias des sociétés modernes
Quant au dernier régime démocratique, celui d’Ibrahim Boubacar Keïta, IBK, balayé par le putsch d’août 2020, la place des jeunes dans les politiques de développement a été gommée par les enjeux sécuritaires et les mécanismes de corruption, héritage des précédents régimes. Un système de nivellement s’est mis en place où la compétence et la qualification sont loin d’être la règle du jeu. Or, la plupart des manifestants, ayant conduit à la chute du régime d’IBK, sont jeunes. De façon plus large, l’image des jeunes n’est pas extraordinaire dans nos pays. Être jeune au Sahel est synonyme d’exclusion, d’inégalité, d’injustice ou de relégation. Au Mali comme au Burkina Faso, de nouveaux moyens d’embrigadement de la jeunesse existent désormais : groupes narcoterroristes.
Sur d’autres espaces, comme le monde rural, ils sont les figures de l’exclusion par excellence. C’est aussi celle du jeune rural, victime des conflits de terre et de la mauvaise gestion des ressources, c’est celles du réfugié, du déplacé, stigmatisé et du désespéré. C’est aussi l’exemple du jeune agriculteur, boucher, boutiquier, cireur, coiffeur, couturier, élève, éleveur, étudiant, mécanicien, pécheur, diplômé ou non diplômé, urbain ou rural, laissé à lui-même, et en proie à la domination des plus anciens. Par conséquent s’est développée chez les jeunes une fascination culturelle pour les ainés. Quelque chose de bien en soi, certes. Mais, cette fascination a fossilisé les progrès démocratiques et la résilience des jeunes pour briser les mécanismes de domination dont la règle générationnelle est une des illustrations parfaites. Absents des politiques de développement ou d’emplois, écartés des cercles de décision, ils vivent en parias. Ils dépendent de la société, des autres, ceux-là mêmes qui leur ont confisqué leur place. Entre survivre, et glisser vers la prostitution ou la drogue, il n’y a qu’un pas. Insupportable. Les jeunes sont étirés comme des vieux chewing-gums.
Comment en sortir ?
Au-delà des compétitions électorales, la place de la jeunesse dans le développement doit être pensée dans les projets politiques. Il est temps de sortir du furtif pour aller vers du concret ; c’est-à-dire construire des projets innovants, égalitaires, justes et solidaires pour la jeunesse. La problématique de l’exode rural et de la migration, effet immédiat du manque d’emploi et d’activités économiques, doit être traitée. Pour ce faire, une réflexion autour des passerelles culturelles (normes et valeurs communes) entre les générations, entre le passé et le présent, doit être menée pour un équilibre générationnel. Les dimensions juridique (droits pour exister) et économique (activités de production, insertion) des jeunes doivent être aussi réglées. Dans ce sens, le futur président élu du Mali en 2022 devra porter des reformes pour permettre aux jeunes d’exister socialement et économiquement. Enfin, la question de la jeunesse est généralisable à d’autres catégories sociales. Autant dire le sentier est pharaonique pour le futur président. Mais les jeunes ne devraient-ils pas rêver mieux ?
Mohamed Amara
Sociologue
Source: Mali Tribune