Certes, il y a eu la condamnation des 49 soldats ivoiriens par la justice malienne pour « tentative d’atteinte à la sureté de l’Etat… ». Certes, il y a eu la mort de 42 soldats maliens, à Tessit, dans une attaque narcoterroriste. Certes, il y a eu le départ du dernier soldat français du sol malien le 15 août dernier. Mais tout cela n’éclipse pas l’évènement majeur de la semaine : la visite au Mali de Macky Sall, Président du Sénégal, également Président en exercice de l’Union africaine. Une première pour le colonel Assimi Goïta, Président de la transition malienne, de recevoir la visite d’un président de l’Union africaine.
En dépit du contexte géopolitique tendu, la visite de Macky Sall à Assimi Goïta renvoie à la solidité des liens sociohistoriques entre le Mali et le Sénégal. D’ailleurs, les peuples sénégalais et maliens ont toujours préservé leurs liens à la place des querelles entre élites politiques. Rappelons-nous que l’éclatement de la Fédération du Mali en 1960, en raison des contradictions politiques entre Modibo Keïta et Léopold Sédar Senghor, n’ont pas érodé la qualité des relations bilatérales entre les deux pays en dépit des mots parfois durs. Toutefois en politique, les mouches changent souvent d’âne…
Géopolitique oblige
« L’heure est grave. Modibo Keïta, poussé par une ambition folle, vient de tenter, un coup de force, il a mobilisé les troupes du Mali contre le peuple sénégalais. A la force, nous répondons par des forces supérieures », extrait de l’appel aux Sénégalais à la radio sénégalaise par Léopold Sédar Senghor, en août 1960.
De retour à Bamako, Modibo Keïta réagit : « Nous vous invitions à proclamer que la République soudanaise s’appelle République du Mali, libre de tous engagements et liens politiques vis-à-vis de la France comme la Haute-Volta, la Côte d’Ivoire, le Niger et le Dahomey. Fidèles à notre idéal d’union et de paix, j’insiste sur ce mot, nous sommes décidés à établir des relations amicales avec tous les Etats du Monde, sans exclusive aucune… La République du Mali est née. Le Mali continue », extrait du discours de Modibo Keita, 1960. Une expérience d’union africaine qui explose en plein vol. Hélas
Épisode peu glorieux de notre histoire commune. Sénégalais et Maliens s’accusent de trahison et de coup de force. La confiance est rompue. Keïta et Senghor se séparent sans effusion de sang. Mais la division du Monde en deux blocs (Est-Ouest) reste l’accélérateur de ce divorce entre Modibo Keïta et Léopold Sédar Senghor. Géopolitique oblige ! Mais au-delà de ces tensions, Keïta et Senghor ont eu le mérite et l’intelligence de tenter la construction d’un seul Etat pour des peuples que tout rassemble : langues, cultures, gastronomies, histoires, etc.
Leur tentative pour rassembler les deux peuples rappelle ceci : « L’art de la politique enseigne aux hommes à produire ce qui est grand et radieux », écrit H. Arendt. Cet art de la politique, au sens de code moral, nous renvoie à la charte de Kurukanfuga, à tous ces serments et à toutes ces promesses, ces engagements mutuels ayant permis de construire un esprit politique, c’est-à-dire l’expression d’un « commun à tous ». C’est aussi ça la démocratie, une espèce de vivre ensemble où le « dévouement » à la chose publique remplace la prédation.
Je ne désespère pas
Aujourd’hui, ce qui vaut entre le Sénégal et le Mali, vaut aussi entre le Mali et la Côte d’Ivoire et le reste de ses voisins. D’autant que l’essentiel est ailleurs « Donc, je suis venu saluer le Président Goïta, saluer les autorités, et lui apporter donc ce soutien, et en même temps lui demander, comme j’ai eu à le faire en entretien, des facilités par rapport à ce contentieux avec les militaires Ivoiriens, dans le cadre d’une solidarité africaine, de trouver des solutions africaines. Bien sûr, j’ai bien noté sa disponibilité à dialoguer. Le Mali reste disponible. Donc, nous allons poursuivre avec la Côte d’Ivoire également. Je ne désespère pas qu’on y arrive… », extrait des propos du Président Macky Sall à sa sortie d’audience, le 15 août 2022, avec Assimi Goïta, Président de la Transition malienne.
La visite de Macky Sall à Assimi Goïta rappelle celle qu’il a faite au Président Russe, Vladimir Poutine, pour négocier la libération des stocks des céréales ukrainiennes afin d’éviter la famine en Afrique. Quoi que l’on dise, la visite de Macky Sall, ce lundi 15 août 2022 à Bamako, peut être analysée comme un acte de solidarité interafricaine, et envers le Mali. Cette visite marque à nouveau d’une encre indélébile ce qu’on peut désormais appeler l’union africaine.
Bien entendu, on dira que le Sénégal fait partie des pays membres de la Cedeao qui ont infligé au Mali des sanctions économiques et financières durant six mois. Bien entendu, on peut reprocher à l’exécutif sénégalais d’avoir participé à l’isolement du Mali, un tant soit peu.
Tout ceci n’est pas faux, mais rien ne remet en cause actuellement la compassion de l’exécutif sénégalais à l’égard de l’exécutif malien. La coordination des efforts du Mali et du Sénégal permettrait à l’union africaine de retrouver des couleurs, d’autant plus que les liens entre les peuples constituent le ciment de son équilibre.
Mais finissons ce papier par cette assertion d’Hannah Arendt, qui donne à méditer sur les enjeux actuels de nos sociétés : « Nul ne peut régner sur les morts », Condition de l’homme moderne.
Mohamed Amara
(Sociologue)