Le décès brutal du Maréchal du Tchad, Idriss Deby ITNO, alimente dans son pays, un double sentiment, d’une part de délivrance pour ceux qui ont porté ses 30 ans de règne comme un joug qui frétillaient d’impatience de le déloger, d’autre part, ceux qui redoutent un grand saut dans l’inconnu. Dans notre pays, l’onde de choc de cette disparition se propagera, en l’occurrence pour ce qui est de l’engagement des troupes tchadiennes dans la lutte antiterroriste.
La mort du président considéré comme le rempart de la lutte contre le terrorisme au Sahel, Idris Deby ITNO, a été ressentie dans notre pays comme un véritable séisme. Le flot d’hommages à l’illustre disparu ne cache pas moins une certaine épouvante, autant chez l’élite politique que chez le citoyen lambda. Plus que jamais, l’avenir de la lutte contre les jihadistes semble assiégé d’incertitudes.
Il y a des raisons objectives à cette consternation. La France ne cache plus sa volonté de réduire la voilure de son armée. Paris compte notamment sur la «sahélisation», c’est-à-dire le passage du témoin aux armées nationales que la France forme avec l’Union européenne. Or quand bien même elles sont déterminées et paient un très lourd tribut à la guerre, leurs niveaux de formation, d’équipement et même souvent leur mental restent largement en-deçà des exigences de la guerre que nous livre les marchands de la mort. Donc, plus que jamais, la mutualisation des efforts est d’actualité, surtout avec les FAMa qui après leur déconfiture en 2012 n’ont pas eu le temps de répit nécessaire pour se reconstruire et repasser à l’offensive.
C’est dans cette situation alambiquée que le Président tchadien Idriss Déby ITNO a annoncé l’envoi de 1 200 soldats dans la zone dite des ‘’trois frontières’’, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, pour lutter contre les djihadistes, en marge d’un sommet des cinq pays du Sahel avec la France à N’Djamena.
Chose promise chose due. La nouvelle de l’envoie d’un bataillon des forces armées tchadiennes a été confirmée, ce lundi 29 mars 2021, par le patron de la force conjointe du G5 Sahel, le général Oumarou NAMATA, et c’est avec un sourire dans la voix qu’il a indiqué que 1 200 soldats tchadiens ont atteint ce lundi matin la frontière entre le Burkina et le Mali et fait la jonction avec 900 soldats de la force conjointe et un sous groupement tactique désert de la force Barkhane.
Par la volonté personnelle du Président Idris Deby qui n’a jamais sollicité un mandat de l’Assemblée nationale pour les opérations extérieures, les FATIM ont joué un rôle de premier plan dans la lutte contre les jihadistes dans les massifs de l’Adrar des Ifoghas. Il a poussé son engagement en faveur de notre pays jusqu’à déployer son propre fils, Mahamat Idris DEBY, alors âgé de moins de 30 ans en qualité de commandant en second des forces tchadiennes qui sera d’ailleurs blessé au combat. Quelle sollicitude ! Mais aussi quel réalisme ! Parce que, pour Deby, ‘’lorsque la case de votre voisin brûle, la prochaine est la vôtre’’.
Les effectifs tchadiens déployés dans notre pays sont à l’aune de l’engagement du défunt président à en découdre avec les jihadistes, lui qui avait exclu toute négociation avec eux. Au 31 janvier 2013, l’effectif des forces armées tchadiennes étaient de 1 252, dont 1 242 militaires.
En 2016, il y avait 1.379 militaires et 17 policiers du Tchad qui servaient au Mali sous le drapeau des Nations Unies.
Après le décès du Président Idris Deby ITNO, va-t-on rebattre les cartes et redistribuer les rôles des intervenants ? C’est la question qui triture nos compatriotes.
Du vivant de Deby, des gages avaient été donnés qu’il n’y aurait aucun retrait des effectifs tchadiens dans notre pays, nonobstant le déclenchement d’une nouvelle rébellion déterminée et surarmée. Cette donne sera-t-elle constante, lorsqu’on sait qu’une frange de l’opinion tchadienne est réfractaire aux opérations extérieures onéreuses pour les familles qui perdent des proches et pour le budget national ?
D’ores et déjà, l’on peut être assuré que Paris pèsera de tout son poids dans la balance pour le maintien du statu quo. Ce, d’autant plus qu’elle compte beaucoup sur les forces tchadiennes plus aguerries pour le passage de témoin.
Dans tous les cas, au Mali, nous restons dans l’expectative.
La quasi-certitude par contre, c’est qu’il ne faudrait pas s’attendre au déploiement de nouveaux éléments tchadiens, même si le Mali devait se transformer en califat. Parce que le Tchad a besoin de ses hommes pour deux raisons.
La première et la plus émotionnelle est de laver l’affront de la mort du Maréchal du Tchad sous les balles des rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Egalement, le FACT annonce la mort de 15 généraux et hauts gradés de l’armée tchadienne, dans un communiqué fait à Paris le 19 avril 2021.
La seconde est qu’il faut anéantir cette nouvelle rébellion qui ne plaisante pas. Ce d’autant plus qu’elle annonce dans un communiqué daté du 20 avril qu’elle laisse juste le temps aux enfants de Deby d’enterrer leur père avant de marcher sur N’Djamena.
Chez nous, certains esprits chauvins diront qu’il faudrait compter sur nous-mêmes. Ce qui rentre parfaitement dans les canons de la souveraineté nationale.
Mais, l’on pourrait également suggérer de changer de paradigme, dans la mesure où les problèmes sont interconnectés et qu’il faut trouver des solutions globales.
Ne perdons pas non plus de vue que ceux qui volent à notre secours y gagnent toujours quelque chose : soit pour éprouver les nouvelles armes qu’ils viendront nous revendre, soit pour contenir le danger loin de leurs frontières. C’est une question de realpolitik.
PAR BERTIN DAKOUO
Source : INFO-MATIN