Dans notre pays, cette première équipe gouvernementale, présidée symboliquement par le représentant de l’autorité coloniale, était ainsi composée de douze (12) membres dont un vice-président (jouant le rôle de Premier ministre) et 11 titulaires ministériels. De nos jours, aucun des 12 pionniers ministériels, ne vit. Le médecin Seydou Badian est décédé le 28 décembre 2018. Dans les colonnes qui suivent, nous passons en revue le parcours des ministres du tout premier gouvernement du Soudan-Français, devenu la République soudanaise (le 24 novembre 1958), elle-même proclamée “République du Mali” à son accession à l’indépendance le 22 septembre 1960. Dossier réalisé par la Rédaction.
Après près de sept (7) décennies de domination coloniale en Afrique de l’Ouest, la France commence à fléchir sous le poids des résistances africaines farouchement opposées par divers mouvements : pressions des anciens combattants des deux Guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945 ; actions d’éveil des consciences menées par les jeunes élites intellectuelles, syndicales et politiques dont les opinions étaient relayées par une presse militante plurielle et diversifiée.
Libérée de l’occupation de l’Allemagne nazie dirigée par Adolph Hitler, la France est sauvée grâce à la contribution des soldats noirs. Affaiblie, la puissance colonisatrice malmenée se voit quelque peu contrainte et forcée de reconsidérer la nature de ses relations avec ses colonies. La Conférence de Brazzaville (30 janvier-février 1944) organisée sous l’égide du Général sauveur Charles de Gaulle, chef du Comité français de libération nationale, fut alors un tournant majeur sur le chemin de la décolonisation.
A l’ouverture des travaux de Brazza, le Général de Gaulle met l’accent sur la nécessité d’engager les colonies “sur la route des temps nouveaux […] En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C’est le devoir de la France de faire en sorte qu’il en soit ainsi”.
Pour nombre d’historiens, cette affirmation gaullienne semble poser les fondements de l’Union française composée de la Métropole, des Départements et Territoires d’Outre-mer (colonies) et d’autres Etats associés. Cette Union est créée par la Constitution du 27 octobre 1946 qui instaure la Quatrième République française.
A la suite de l’adoption de cette Constitution de 1946, la loi du 17 août 1948 autorise l’extension du pouvoir réglementaire à des domaines précis et définis, où le décret peut abroger, modifier ou remplacer des dispositions en vigueur. C’est dans ce sens qu’intervient la méthode de la Loi-cadre qui “consiste pour le Parlement à poser les principes généraux d’une réforme tout en renvoyant aux décrets d’application pour leur application effective. Si le Parlement ne s’oppose pas à ces décrets, ils deviennent définitifs”.
L’illustration éloquente de ladite méthode est la fameuse Loi-cadre ou Loi Gaston Defferre (du nom du ministre chargé de la France d’Outre-mer).
Défendue par Gaston Defferre lui-même fortement soutenu par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny (ministre délégué à la présidence du Conseil de gouvernement français, mais surtout leader continental du RDA), cette loi est votée le 19 juin 1956 par l’Assemblée nationale française et promulguée le 23 juin suivant.
Selon des constitutionnalistes, la Loi-cadre constitue une “technique [qui] a l’avantage d’obliger le Parlement à se concentrer sur les principes, abandonnant leur application, qui est complexe et nécessite des réflexions qui prendraient un temps précieux aux chambres, au gouvernement. Autre avantage : le Parlement et le gouvernement sont obligés de collaborer étroitement”. Une décennie avant l’adoption de cette Loi-cadre, les partis politiques (notamment le Parti progressiste soudanais – PSP – et l’Union soudanaise – US-RDA) étaient déjà créés au Soudan, essentiellement par des élites intellectuelles et syndicales.
C’est dans un contexte de fortes rivalités politiciennes entre ces deux formations politiques qu’arrive la Loi-cadre qui “fut un événement clé en vue d’une décolonisation pacifique vers l’indépendance”, note Mme Andrée Dore-Audibert, assistante sociale en service à l’époque à Bamako. Intitulée “Loi n°56-619 autorisant le gouvernement à mettre en œuvre les réformes et à prendre les mesures propres à assurer l’évolution des Territoires relevant du ministère de la France d’Outre-mer”, elle accorde une autonomie aux colonies françaises en posant les jalons de l’africanisation des cadres et de la Fonction publique. Elle institue, notamment dans tous les Territoires, des Conseils de gouvernement chargés essentiellement de l’administration des services territoriaux.
L’application de la Loi-cadre opère la réorganisation administrative de l’empire colonial français en Afrique où se trouvaient deux groupements de Territoires organisés en Afrique occidentale française (AOF, créée le 16 juin 1895) et en Afrique équatoriale française (AEF, instaurée en 1910). Plus de six décennies après, l’AOF constituée de 9 territoires (la Mauritanie, le Sénégal, le Soudan-Français – devenu le Mali -, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Niger, la Haute-Volta – devenue le Burkina Faso -, le Togo et le Dahomey – devenu le Bénin) est réorganisée administrativement, tout comme l’AEF, par le décret n°57-458 du 4 avril 1957. Les colonies deviennent des “Territoires d’Outre-mer dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière”.
Dans chaque Territoire, existent trois institutions : le chef de Territoire (représentant le gouvernement français), le Conseil de gouvernement (formé de cadres locaux) et l’Assemblée territoriale (composée d’élus locaux). Le même 4 avril 1957, le décret n°57-459 fixe les conditions de formation et de fonctionnement des Conseils de gouvernement dans les Territoires. Il détermine que les membres desdits Conseils sont élus par les Assemblées territoriales sur proposition des partis majoritaires.
C’est ainsi qu’au Soudan-Français, l’Assemblée territoriale (ATS) est mise en place à l’issue des élections cantonales du 31 mars 1957, largement remportées par l’US-RDA (64 élus) face à son grand rival le PSP qui n’a eu que 6 conseillers. Aussitôt installée, l’ATS, sous la présidence de Mahamane Alassane Haïdara, adopte la liste des membres du Conseil de gouvernement proposés par l’US-RDA. C’était le 21 mai. Dès le lendemain, toujours au Parlement à Bagadadji, la tête de liste Jean-Marie Koné et les 11 autres ministres sont solennellement investis et présentés au gouverneur Henri Victor Gipoulon.
“La composition du gouvernement fut rendue publique lors d’une réunion mémorable à l’Assemblée territoriale dont la salle et les alentours étaient envahis à ras-bord bien avant l’heure de la cérémonie. Tout avait été mis en œuvre pour donner un caractère spectaculaire à cette investiture, depuis la musique jusqu’à la garde à cheval qui entourait la voiture découverte du chef de Territoire Gipoulon (…)”, rappelle un témoin de l’événement : l’historien et journaliste français Pierre Campmas, militant anticolonialiste, secrétaire permanent de l’US-RDA, rédacteur à L’Essor et auteur en 1978 d’une thèse de doctorat sur l’histoire de l’US-RDA.
Pour la mise en place de ce Conseil de gouvernement soudanais, H. V. Gipoulon signe, le 23 mai 1957, un arrêté territorial (n°1956) qui fixe le nombre des ministres à douze (12). Le lendemain, Jean-Marie Koné est nommé vice-président du Conseil par un autre arrêté (n°2007) signé le 24 mai. Le même jour, onze (11) autres arrêtés (du n°2008 au n°2019) nomment individuellement les 11 ministres dont 3 non-Africains (Guidicello Cortinchi, Me Joseph Philippe et Henry Corentin). Suivant l’ordre des nominations, on peut établir la liste des membres du gouvernement (voir l’article ci-dessous). A la lecture de cette liste, l’on se rend compte de l’absence de Modibo Kéita (le futur père de l’indépendance et premier chef de l’Etat du Mali) et surtout charismatique secrétaire général de l’US-RDA. La raison est toute simple : à cette époque, le grand leader soudanais cumulait les fonctions électives de maire de la Ville de Bamako et celles de député à l’Assemblée nationale française dont il deviendra d’ailleurs vice-président. Pierre Campmas explique la situation : “La nature des liens entre la France et les Territoires d’Outre-mer étant déterminante, les grandes décisions venant toujours de Paris, et le gouvernement soudanais ne disposait que des pouvoirs réduits. Dans ces conditions, on estima que les députés à l’Assemblée nationale française devraient se consacrer uniquement à leur tâche de député. Par ailleurs, on était décidé à donner à Jean-Marie Koné une responsabilité correspondant au rôle déterminant qu’il avait eu dans l’implantation de l’Union Soudanaise dont Sikasso fut incontestablement le pôle d’attraction initial (…)”.
En plus, mi-mai 1957, Modibo Kéita est élu Grand conseiller de l’AOF siégeant à Dakar. Par la suite, à Paris, il devient secrétaire d’Etat à la France d’Outre-mer du gouvernement Maurice Bourgès-Maunoury (du 17 juin au 6 novembre 1957) puis secrétaire d’Etat (sans attributions précises) à la présidence du Conseil de gouvernement Félix Gaillard (18 novembre 1957-14 mai 1958).
Le 24 novembre 1958, le “Territoire du Soudan-Français” s’efface à travers la proclamation de la “République soudanaise” présidée par Modibo Kéïta. Qui devient également le président du Gouvernement fédéral formé le 4 avril 1959 dans le cadre de la Fédération du Mali regroupant le Sénégal et la République soudanaise. Quelques jours après (16 avril) Modibo Kéïta dirige le Conseil de gouvernement du Soudan en cumulant les fonctions de ministre de l’Information, de la Jeunesse et des Anciens combattants. Auparavant, quand il était encore à Paris (député à l’Assemblée nationale française), il avait laissé, à Bamako, ses camarades de l’US-RDA choisis par le Parti de composer la toute première équipe ministérielle du pays, à partir du 21 mai 1957.