Toguéré-Koumbé (Mali), 17 oct 2018 (AFP) – D’un doigt tremblant, Amadou
Koïta montre le lieu de sa flagellation publique, au nom de la charia. A
Toguéré-Koumbé, l’armée a désormais pris la place des jihadistes, qui
encerclent toujours cette bourgade du centre du Mali.
C’est dans cette localité du delta intérieur du fleuve Niger, au nord-ouest
de Mopti, difficile d’accès car inondée en cette période d’hivernage, que le
Premier ministre malien, Soumeylou Boubeye Maïga, arrivé en hélicoptère, a été
accueilli la semaine dernière aux cris de “Mali! Mali!” par plusieurs milliers
d’habitants.
Face au chef du gouvernement venu briser “l’embargo de fait imposé par les
jihadistes” qui se sont retirés il y a quelques semaines sous la pression de
l’armée, la population a exprimé son soulagement de ne plus se sentir
abandonnée par l’Etat.
“J’avais été accusé d’avoir fumé une cigarette”, raconte Amadou Koïta, un
cultivateur de 55 ans. “Les jihadistes m’ont amené sur cette place. Ils ont
pris le Coran. Après avoir récité des versets, ils ont décidé que je devais
recevoir trente coups de fouet. Et devant tout le monde, j’ai reçu les coups”.
A l’est de la localité, dans une bâtisse en banco sur le point de
s’écrouler, deux hommes devisent. L’un explique que les jihadistes avaient
hissé leur drapeau noir et “avaient juré que le drapeau malien n’allait plus
jamais flotter ici”.
“Les hommes étaient séparés des femmes. Les femmes étaient voilées de la
tête aux pieds. Personne ne pouvait allumer une télévision. Nos jeunes ne
pouvaient pas jouer au ballon. C’était vraiment dur”, confie un autre habitant.
Selon plusieurs témoignages, parmi ces jihadistes figuraient des Maliens,
mais aussi des Burkinabè et des Nigériens, ainsi que des Nigérians.
Mais si la présence de l’armée malienne, qui quadrille la bourgade, arme au
poing, a desserré le siège, elle ne l’a pas levé totalement.
Les jihadistes ont posé des mines sur les rares pistes praticables, et
restent en faction sur le fleuve, à bord de pirogues.
– Economie de siège –
“Nous restons assiégés. Si tu sors de Toguéré, tu ne peux plus rentrer. Et
si tu rentres, tu ne peux plus sortir, parce que les jihadistes sont à trois
kilomètres d’ici”, explique un élu local, qui pour des raisons de sécurité n’a
pas souhaité être nommément cité.
Selon lui, “depuis un mois, pour avoir tenté de sortir de la localité,
trois civils de Toguéré ont été arrêtés, et sont otages des jihadistes, à
moins de trois kilomètres du centre-ville”.
La situation économique reste précaire.
“Il n’y a toujours pas de marché à Toguéré. Il n’y a pas de foire, parce
que les jihadistes ne laissent personne entrer ou sortir”, regrette une
ménagère sous couvert d’anonymat.
“Ici, un morceau de bouillon cube qui permet d’assaisonner la sauce coûte
trente francs CFA, alors qu’il coûte dix francs dans les autres localités. Le
sac de riz coûte ici, jusqu’à 45.000 francs CFA” (environ 68 euros), explique
un quinquagénaire.
Des cultivateurs sont également inquiets. “Comment labourer la terre sans
nos boeufs? Des centaines de boeufs ont été volés par les jihadistes et
d’autres personnes. L’Etat malien doit nous aider”, déclare à l’AFP Oumar, un
paysan, aujourd’hui ruiné à cause de l’insécurité.
Depuis l’apparition il y a trois ans dans le centre du Mali du groupe du
prédicateur radical Amadou Koufa, les violences intercommunautaires se
multiplient entre Peuls, traditionnellement éleveurs, et les ethnies bambara
et dogon, pratiquant majoritairement l’agriculture.
Les Peuls dénoncent des exactions de la part de groupes de chasseurs,
tolérées voire encouragées selon eux au nom de la lutte contre les jihadistes,
par les autorités ou l’armée, ce que dément le gouvernement.
Lors de sa visite à Toguéré-Koumbé et dans la ville voisine de Ténenkou,
dont le préfet a été enlevé par des jihadistes présumés il y a plusieurs mois,
le Premier ministre a promis que la “fin de l’embargo” ne serait qu’une
première étape.
“Non seulement, nous allons réinstaller l’administration ici, mais nous
allons assurer la sécurité à la périphérie. Personne n’empêchera l’Etat malien
d’assurer son rôle”, a-t-il assuré, tout en invitant les populations à
coopérer avec les forces de sécurité.
“Il ne faut pas avoir peur des gens dont les agissements vous causent du
tort”, a affirmé M. Maïga. “Il faut aider l’Etat, les forces armées maliennes
à vous aider, à vous protéger”.
AFP