L’optimisme d’une croissance forte en 2017 nourri par le FMI et les autorités a véritablement du mal à résister à l’analyse, tant les conditions d’insécurité, d’investissement et de financement sur le marché obligataire, ne sont pas favorables. Il apparaît donc clair que la maîtrise de certains facteurs, tels que cités par l’Etat, pour l’atteinte des objectifs de croissance de 2017, sont illusoires car ne résistant pas à l’analyse. Il y a lieu d’accélérer la réforme de la gestion des finances publiques dans le cadre de la mise en œuvre du Programme de Transition Fiscale de l’UEMOA en vue d’atteindre un taux de pression fiscale de 20% du PIB pour 2019, qui reste autour de 15%.
Les services du FMI, viennent de boucler une mission de revue dans notre pays. Dans le communiqué final du service de communication de l’institution, on pouvait lire avec une certaine auto satisfaction qu’un accord préliminaire, recommandant au Conseil d’administration, la conclusion de la septième revue du programme appuyé par la FEC et la prorogation d’une année du programme a été trouvé.
En effet, le communiqué précise que la croissance économique du Mali devrait rester forte en 2017, en minimisant les risques de contre-performance, notamment les conditions d’insécurité et du renchérissement des conditions de financement du marché.
Comment l’institution de Breton Wood et nos autorités sont-elles parvenues à des perspectives aussi optimistes ? Quels sont les éléments d’analyses existantes, permettant de telles prévisions ?
En faisant fi des formules protocolaires, l’analyse des points d’accord entre le Mali et le FMI pointe du doigt la délicate condition de notre économie et insiste sur une nécessaire réorientation des priorités en matière de politique économique.
L’optimisme d’une croissance forte en 2017 se fonde sur la maitrise d’une part, des conditions d’insécurités, et d’autre part, du renchérissement des conditions de financement sur le marché.
Vers une stagnation des investissements directs
Sur la question spécifique de l’insécurité, elle fait désormais parti du quotidien du malien. Pour ce premier trimestre de 2017, on enregistre même un record en matière d’insécurité. Les bases des données de la situation sécuritaire sur le site du groupe d’investigation Malilink sont sans appels : une vingtaine d’attaques et près de 200 victimes sur le territoire national depuis le 1er Janvier 2017). Très peu d’indicateurs et/ou d’actions sont, à ce jour, engagés par les pouvoirs publics pour inverser la tendance. Cette difficulté présage d’une stagnation des investissements directs étrangers et autres investissements à court et moyen termes dans le centre et le nord du pays.
Sur les conditions de financement sur le marché obligataire, tous les pays de la zone UEMOA font face à une situation critique depuis les décisions n°05 du 06/12/2016/CPM/BCEAO, fixant l’encours des refinancements de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sur le Guichet de prêt marginal et le guichet spécial de refinancement et les décision n°04 du 06/12/2016/CPM/BCEAO portant relèvement avec effet immédiat du taux directeur de la BCEAO de 3,5% à 4,5 %.
Ces décisions ont eu pour conséquences, l’assèchement de la liquidité dans notre économie par la non souscription des banques aux bons et obligations du trésor, mais surtout de priver notre économie d’une manne de ressources financières jusque-là assurées par les banques, indispensables au financement de notre investissement. C’est d’ailleurs l’une des causes des tensions de trésoreries actuelles avec même un risque de non-paiement des salaires.
Pour exemple, le Mali qui avait sollicité en Février 2017, 30 milliards de FCFA sur le marché, n’a finalement eu que 15 souscriptions pour un montant de 10 milliards de FCFA. Cette tendance se maintiendra toute cette année, compte tenue de l’inflexibilité de la BCEAO sur les variations du taux directeur.
Il apparaît donc clair que la maitrise de ces facteurs pour l’atteinte des objectifs de croissance de 2017 sont illusoires car ne résistant pas à l’analyse.
Face au défi de la discipline budgétaire et de la réduction du train de vie de l’Etat
L’équipe du FMI et les autorités se sont accordées sur l’importance de la mobilisation des recettes nationales et d’une trajectoire budgétaire qui maintienne la discipline budgétaire. Ce point semble être le plus important et le plus pertinent.
En 2015, les seules dépenses fiscales ont été chiffrées à près de 204 Milliards soit 3,17% du Produit Intérieur Brut. Leurs maitrises semblent donc indispensables pour espérer une discipline budgétaire à hauteur de souhait.
Il y a lieu d’accélérer la réforme de la gestion des finances publiques dans le cadre de la mise en œuvre du Programme de Transition Fiscale de l’UEMOA en vue d’atteindre un taux de pression fiscale de 20% du PIB pour 2019, qui reste autour de 15%.
Pourtant, la réduction du train de vie de l’Etat reste la seule alternative crédible pour une rigoureuse discipline budgétaire. Rationaliser les dépenses et cela commence d’abord par comprendre où va l’argent public, et à quoi il sert ? Comment convaincre l’opinion et les syndicats, que les revendications, surtout celles d’ordre financier ne peuvent pas être satisfaites pour fautes de ressources, alors que tous ceux qui ont un minimum de pouvoir de décision sont agglutinés aux mamelles de l’Etat ? Comment convaincre, quand on donne 300 litres de bon d’essence par mois à un officiel et que le citoyen d’un simple calcul se rend compte que cela fait approximativement 2,5 millions CFA par an soit l’équivalent de son salaire annuel ou de 5000 doses de maloxine?
Il est temps pour l’Etat malien de décider de ce qui doit vraiment constituer une dépense publique. Comment est-elle adéquate de dépenser 6 milliards pour acheter du carburant si on peut construire un hôpital, des salles de classes ou creuser des forages ou aménager des zones maraichères ? Faut-il recourir à l’endettement si des économies budgétaires peuvent permettre le financement par l’Etat lui-même ?
Prendre des décisions courageuses
Dans un tel contexte, le signal attendu des pouvoirs publics est un indicateur de la situation économique du pays, c’est pourquoi, il est nécessaire de procéder à la prise de certaines décisions courageuses dans l’arsenal budgétaire.
A titre d’exemple, dans l’administration publique, plusieurs avantages en nature (téléphone, essences, petits vivres trimestriels, missions à impact incertains, etc) sont accordés à une catégorie d’agents publics sur aucune base légale, ces montants avoisine des dizaines de milliards par an. Un mécanisme de réajustement budgétaire permettrait de faire des économies non négligeables dans ce secteur.
L’équipe du FMI et les autorités se sont accordées sur la nécessité de maintenir les dépenses en ligne avec les ressources budgétaires, tout en protégeant les dépenses sociales et en stimulant l’investissement public à moyen terme :
Cet objectif relève plus d’un optimisme utopique que sur la base d’indicateurs ou mêmes de décisions économiques solides.
Aujourd’hui plus que jamais, avec la satisfaction des revendications majeures des magistrats, des médecins et des enseignants du fondamental, les partenaires sociaux montent de plus en plus aux créneaux pour exiger une amélioration de leurs conditions de vie. Quoi de plus normal et légitime ? Les syndicats sont visiblement en position de force. La stratégie consistant à négocier avec chaque syndicat n’est pas payante à cause des incidences financières presque insoutenables pour l’Etat. Il convient alors de travailler avec les grandes centrales syndicales (UNTM, CSTM, CDTM) et proposer un regroupement de l’ensemble des revendications pour une prise en charge commune.
L’ampleur de la grogne sociale nous impose de plus en plus une approche globale afin de circonscrire l’ensemble des revendications sociales. Dans cette dynamique, un moratoire sur cinq ans sera proposé avec les partenaires sociaux découlant du doublement des dépenses salariales sous forme de primes et/ou indemnités.
Les charges de ce doublement salarial pourront en ce moment être échelonnées sur plusieurs exercices budgétaires y compris les différents collectifs budgétaires. Cette mesure graduelle, nous permettra d’échapper aux directives contraignantes de l’UEMOA en matière de rémunérations salariales et d’atteindre les objectifs d’équilibre budgétaire.
Aussi, au Mali, on semble avoir besoin de 2 ou 3 francs de dépenses (dépenses de fonctionnement et autres) pour investir seulement 1 franc, à défaut d’inverser, dans l’urgence cette tendance, pour une relance à court terme et apaiser le climat social, on peut agir sur le revenu national à travers les salaires, primes et indemnités. Des économies peuvent être faites sur les pans de ces dépenses.
C’est seulement à ces conditions que les objectifs de croissance économique de notre pays seront atteints.
Dr Etienne Fakaba SISSOKO
Directeur du Centre de Recherche d’Analyses
Politiques, Economiques et Sociales du Mali
Source: Le Républicain