Mutiques depuis le début des manifestations en Algérie contre le président Abdelaziz Bouteflika, le Maroc et la Tunisie observent avec circonspection, mais non sans inquiétude, la situation chez leur voisin.
Alors que la mobilisation se poursuit en Algérie contre le président Abdelaziz Bouteflika, qui a décidé de ne pas briguer un cinquième mandat et de reporter la présidentielle prévue le 18 avril, les développements de la crise sont suivis de très près par la Tunisie et le Maroc voisins. Même si les autorités s’abstiennent de les commenter.
Quelques jours à peine après le début des manifestations en Algérie, le chef de l’État tunisien Béji Caïd Essebsi avait déclaré, le 25 février à Genève, que le peuple algérien était « libre de s’exprimer comme il l’entend sur sa gouvernance ». « Chaque pays a ses propres règles, et je n’ai pas le droit de donner des leçons à qui que ce soit », avait-il cependant ajouté.
Une position diamétralement opposée à celle du président égyptienAbdel Fattah al-Sissi, seul dirigeant maghrébin à avoir mis en garde, le 10 mars, contre les risques que posent, selon lui, les manifestations dans des États de la région, en référence à l’Algérie et au Soudan. « Tout cela a un prix », avait-il prévenu, ajoutant que « le peuple, les jeunes enfants et les générations futures vont payer ce prix-là, celui de l’absence de stabilité ».
Élan de sympathie et franche inquiétude en Tunisie
La réserve tunisienne, toujours de mise après le renoncement du président algérien Abdelaziz Bouteflika, relève d’une constante de la diplomatie tunisienne. « Les autorités sont très prudentes avec le cas algérien, même si traditionnellement, depuis l’indépendance de 1958, Tunis n’intervient pas dans les affaires des pays voisins », explique Marilyne Dumas, correspondante de France 24 à Tunis.
L’Algérie et la Tunisie partagent une frontière de plus de 1 000 kilomètres et entretiennent des relations stratégiques, notamment sur le plan économique et sécuritaire. Une coopération en matière de lutte antiterroriste capitale aux yeux de Tunis, alors que le pays est toujours en état d’urgence depuis 2015. « Les Tunisiens redoutent la susceptibilité du pouvoir algérien, nombre d’entre eux se souviennent encore de la coupure d’électricité, fournie à l’époque par Alger, imposée par le président algérien Houari Boumédiène après un différend avec son homologue Habib Bourguiba dans les années 1960 », souligne Marilyne Dumas.
Ce qui n’empêche pas les Tunisiens d’observer avec sympathie la mobilisation algérienne, en mémoire de leurs propres mouvements de contestation de 2011, qui ont débouché sur la chute de l’ex-président Zine el-Abidine Ben Ali. Le 9 mars, plusieurs organisations de la société civile tunisienne ont organisé une manifestation de solidarité, qui a rassemblé plusieurs dizaines d’Algériens et de Tunisiens venus exprimer leur soutien aux manifestants en Algérie, alors mobilisés contre un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika.
Cependant, la situation en Algérie inquiète une partie des Tunisiens, marqués par l’instabilité qui sévit toujours en Libye, son unique autre voisin frontalier, depuis la chute du régime du colonel Khadafi en 2011, avec de graves conséquences sécuritaires et économiques sur le pays.
« Affectée par le chaos régnant en Libye, la Tunisie ne veut pas voir son partenaire régional plonger dans l’inconnu, rapporte Noureddine Mbarki, correspondant de l’antenne arabe de France 24 à Tunis. Les autorités ainsi que la population tiennent particulièrement à la stabilité de l’Algérie. Pour elles, toute atteinte à celle-ci aurait des répercussions sur leur pays et sur l’ensemble de la région. »
Et de poursuivre : « Plusieurs partis politiques nous ont confié leur soulagement après les annonces du pouvoir algérien, car elles vont, selon eux, dans le sens de la stabilité et tendent vers une sortie de crise. »
Grande précaution au Maroc
À l’instar du mutisme respecté par les autorités tunisiennes, au Maroc, la monarchie chérifienne ne s’est pas officiellement prononcée sur les turbulencestraversées par l’Algérie depuis le 22 février. Même si du côté de Rabat, nul doute qu’on examine avec une grande attention la situation chez le rival régional.
Du côté de la population, de nombreux Marocains ont exprimé leur soutien aux manifestants algériens via les réseaux sociaux. « Ils ont accueilli avec une certaine satisfaction ce qu’ils considèrent comme une rétractation du président algérien face à la jeunesse du pays, explique à France 24 Achraf Tribak, directeur du Centre de recherche Hespress, basé à Rabat. « Il y a toutefois une certaine inquiétude au Maroc, notamment en raison des modalités de la transition politique qui restent floues et incertaines. » La présidentielle, prévue le 18 avril en Algérie, a été reportée, jusqu’à un prochain scrutin que devra organiser une « conférence nationale », chargée de réformer le pays et de le doter d’une nouvelle Constitution avant fin 2019.
Cette incertitude place les autorités marocaines dans l’expectative. « Il y a une grande précaution du côté du pouvoir marocain, qui se refuse de commenter la situation en Algérie, sans compter leur prudence commandée par l’état précaire des relations entre les deux pays, confie à France 24 le président du Conseil national de la presse, Younes Moujahid. Rabat ne veut pas donner l’impression de se mêler des affaires internes de son voisin. » Le magazine Maroc Hebdo, réputé proche, a rappelé que « personne n’a intérêt à la déstabilisation de l’Algérie ».
Les deux voisins, dont la frontière commune est fermée depuis 1994, entretiennent des relations tendues depuis plusieurs décennies, sur fond d’antagonisme régional et de crispations diplomatiques, notamment en raison de la question du Sahara occidental. Seul territoire du continent africain au statut post-colonial non réglé, depuis le retrait de l’Espagne en 1975, il est contrôlé à 80 % par le Maroc, qui rejette toute autre solution que l’autonomie sous sa souveraineté, et à 20 % par le Front Polisario, qui revendique l’indépendance de la région avec le soutien de l’Algérie.
Selon Achraf Tribak, « la crise algérienne est scrutée au Maroc par le prisme de la relation entre les deux pays, avec l’espoir d’une évolution et une amélioration de leurs rapports difficiles, de manière à favoriser la réouverture des frontières et le règlement du dossier du Sahara occidental ».
Mais « d’aucuns pensent que l’avenir du voisin algérien, et donc des relations avec ce pays, restent tributaires d’un changement de la nature du pouvoir à Alger, qui est aux mains des militaires », conclut-il.
F24