Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), était l’invité de la matinale de Radio Classique. Sous le feu des critiques, la Coupe du Monde au Qatar rappelle pourtant la légitimité des pays non-occidentaux à organiser des compétitions, remarque-t-il.
Le Qatar est le premier représentant du monde arabe a accueillir une Coupe du monde
Il reste 10 jours avant l’ouverture de la Coupe du monde de football au Qatar. En amenant la mère des compétitions dans le monde arabe, la FIFA continue de bâtir son « empire universel », affirme Pascal Boniface. L’organisation avait déjà « conquis » l’Amérique du Nord en 1994, conquis l’Asie en 2002 avec la Corée du Sud et le Japon et l’Afrique en 2010. Le Maroc avait aussi déposé plusieurs candidatures sans succès, mais c’est bien cet émirat grand comme l’Île-de-France qui accueillera la compétition. « Comme c’est un tout petit pays très riche, ça prête à toutes les suspicions », assure Pascal Boniface, évoquant les nombreuses polémiques qui émaillent cette édition 2022. Quand l’instance suprême du football a, en 2010, validé le Qatar comme pays hôte en 2010, le pays ne comptait que 2 millions d’habitants, remarque le politologue. Aujourd’hui, c’est presque 3 millions pour seulement 10% de nationaux. Cette augmentation démographique est due selon lui « à l’augmentation des moyens et aux multiples projets dans le sport et bien d’autres domaines ».
L’enseignement majeur de cette Coupe du monde au Qatar est, d’après Pascal Boniface, que « les pays occidentaux ne peuvent plus avoir le monopole de l’organisation des grands évènements ». Des régimes qui « n’ont pas les mêmes notions et les normes démocratiques que nous » sont amenés à recevoir des compétitions sportives, toujours sous le même feu de critiques, notamment de « corruption », observe-t-il. Ces accusations n’ont « jamais été prouvées » à part en 2006, quand la compétition se tenait en… Italie, « un pays normalement jugé vertueux » pointe-t-il. Il poursuit avec un autre exemple : « en 2005, on a attribué les Jeux olympiques de 2012 au Royaume-Uni, qui s’était alors lancé dans une guerre très contestable en Irak ».
Nicolas Sarkozy n’a pas fait pression pour l’organisation de la Coupe au Qatar, selon le politologue
Ceci dit, Pascal Boniface reconnaît la situation problématique des travailleurs immigrés qui construisent les stades qataris et l’empreinte écologique désastreuse de la compétition, ainsi que le « clientélisme » dont l’émirat a dû faire preuve, « comme beaucoup ». Quant aux accusations de pressions de la part de Nicolas Sarkozy sur le vice-président de la FIFA Michel Platini lors du vote en 2010 [après un déjeuner avec le futur émir du Qatar, l’ancien président aurait conseillé Michel Platini de voter pour l’émirat, ce que dément l’intéressé], Pascal Boniface pense qu’elles sont de l’ordre de la « fantasmagorie ». « Michel Platini n’avait pas besoin des ordres de Sarkozy, il était indépendant », défend-il.
Faut-il s’attendre à beaucoup de démonstrations de défiance du public pendant la compétition? Cela va « dépendre de la sensibilité nationale et personnelle » de chaque pays, remarque le politologue. L’équipe australienne a déjà dénoncé face caméra le bilan humain de la compétition et le Danemark a dévoilé un maillot noir, « couleur du deuil ». Pascal Boniface prévoit qu’il y aura des « manifestations » et des messages à faire passer.
Clément Kasser