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Côte d’Ivoire : pour Alassane Ouattara, les défis ne manquent pas

Historiques, graves, tendues. C’est dans ces circonstances qu’Alassane Dramane Ouattara avait été investi président, le 21 mai 2011. Devant les délégations de la vingtaine de chefs d’État présents et quelque 4 000 invités, l’ancien Premier ministre, exclu pendant une décennie de la course à la magistrature suprême pour « nationalité douteuse », avait d’abord demandé une minute de silence en hommage aux 3 000 victimes de la crise postélectorale qui venait de terrasser son pays et au terme de laquelle il était parvenu à se hisser à la tête de l’État. « Allons résolument à la réconciliation nationale en réapprenant à vivre ensemble, déclarait-il alors. De cette catharsis doit émerger un Ivoirien nouveau, déterminé à servir le pays avec amour et désintéressement. »

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Quatre ans plus tard et quelques marques de fatigue en plus, Alassane Ouattara a réussi à se faire réélire dès le premier tour, sur un score sans appel – validé par le Conseil constitutionnel – de 83,6 % et sans la moindre violence. Ses adversaires malheureux (au nombre de six, après le retrait de trois d’entre eux quelques jours avant le scrutin) ont d’ailleurs tous reconnu sa victoire. Et si le taux de participation est correct (près de 53 %, nettement inférieur à celui de 2010), il est à relativiser, compte tenu du faible niveau d’enrôlement sur les listes électorales en milieu d’année : environ 300 000 nouveaux inscrits sur les 3 millions attendus. Il est par ailleurs comparable à celui de plusieurs élections présidentielles qui se sont tenues récemment dans la sous-région (43,6 % au Nigeria en 2015, 46 % au Mali en 2013, 51 % au Sénégal en 2012).

Au menu du second mandat : la réconciliation et des réformes économiques

Quatre ans plus tard, et cette fois sans véritable opposition politique, le président a fait de l’« Ivoirien nouveau » un thème de campagne. Il a en revanche durci son discours sur la réconciliation. « Cette question n’est pas facile, car elle vient du cœur, et il faut être deux pour se réconcilier, déclarait-il à la veille du scrutin. Je tends la main, et je demande aux autres d’arrêter d’avoir des illusions. Ce que nous voulons, c’est que la justice fasse son travail. » Voilà ses opposants, au premier rang desquels les frondeurs du Front populaire ivoirien (FPI, le parti de l’ex-président Laurent Gbagbo), qui avaient appelé au boycott du scrutin, prévenus.

Pourtant, s’il est aujourd’hui un dossier sur lequel ADO est très attendu, c’est bien celui, en panne, de la réconciliation. D’un côté, transfèrement de Gbagbo à la Cour pénale internationale ; condamnation de plusieurs de ses proches, dont Simone, son épouse, à des peines de prison très lourdes, en mars ; « arrestation et détention arbitraires d’opposants » dénoncées ce mois-ci par Amnesty International. De l’autre, « seulement » une dizaine d’inculpations visant les chefs militaires du camp Ouattara ayant joué un rôle important dans la crise postélectorale… Pour beaucoup, la justice a été à double vitesse, ce qui entretient une sourde tension.

Il faut à l’avenir que cette prospérité soit partagée, que chaque Ivoirien sente qu’il en profite aussi, explique Terence McCulley

« D’ici à cinq ans, le gouvernement devra à la fois mettre l’accent sur la croissance économique et sur l’impartialité de la justice, souligne Jim Wormington, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. Traduire en justice tous les auteurs de violations des droits de l’homme, renforcer l’État de droit et résoudre les causes profondes des tensions intercommunautaires, telles que les rivalités foncières pour des terres de plus en plus rares. »

Sur le plan économique et social, l’ancien directeur général adjoint du FMI est attendu de pied ferme. Car si son bilan plaide en sa faveur (croissance de 8 % en moyenne depuis 2012, multiples chantiers, hausse des investissements étrangers…), de nombreuses carences subsistent. « La croissance a été impressionnante, explique Terence McCulley, ambassadeur des États-Unis en Côte d’Ivoire. Les entreprises américaines affluent. Il faut à l’avenir que cette prospérité soit partagée, que chaque Ivoirien sente qu’il en profite aussi. » Sans oublier la lutte contre la corruption – dont se plaignent les hommes d’affaires, malgré la création, fin 2014, d’une Haute Autorité pour la bonne gouvernance.

Son entourage confie qu’il ne changera pas tout de suite « une équipe qui gagne » et qu’il pourrait reconduire son Premier ministre

Fort de sa victoire, le chef de l’État devrait donc accélérer le rythme des réformes. Lui qui a plusieurs fois confié qu’il ne briguerait pas de troisième mandat a les coudées franches : il bénéficie d’une économie en bonne santé, du soutien des chancelleries étrangères et d’une armée réorganisée. Premier round prévu dès 2016, avec un projet de Constitution, qui devrait notamment modifier le très controversé article 35 (portant sur l’origine des candidats à la présidentielle) et voir la création d’un poste de vice-président.

Avec quelle équipe ? Là aussi, ADO peut s’affranchir du carcan d’un premier mandat où il avait dû à la fois gratifier de fidèles compagnons de route et intégrer de nouvelles personnalités, plus jeunes et bardées de diplômes – à l’image d’Abdourahmane Cissé, son ministre du Budget, 34 ans. Son entourage confie qu’il ne changera pas tout de suite « une équipe qui gagne » et qu’il pourrait reconduire son Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, au moins jusqu’aux législatives qui devraient se tenir dans les prochains mois, balayant les rumeurs selon lesquelles Thierry Tanoh, actuel secrétaire général adjoint de la présidence et ex-patron d’Ecobank, aurait pu lui succéder. « Le président a son propre calendrier, il prend parfois des décisions qui surprennent ses collaborateurs. Il faut donc s’attendre à tout », explique l’un de ses proches conseillers.

L’agenda politique d’ADO

Un agenda gouvernemental qui peut en cacher un autre, plus politique… Début 2016, un parti unifié, rassemblant le RDR de Ouattara et le PDCI-RDA d’Henri Konan Bédié, devrait voir le jour. Qui le dirigera ? Selon un proche de la présidence, la réforme constitutionnelle prévoirait également de lever l’interdiction de cumuler les fonctions de président de la République et de dirigeant de parti. Une double casquette qui permettrait à Ouattara de renforcer son ascendant et de contenir les ambitions de ses successeurs potentiels. « Il est conscient des chocs d’ego qui pourraient surgir et tient à léguer un pays stable. Il ne veut pas entrer dans l’Histoire comme celui dont le bilan aura été anéanti par une querelle de succession. Il choisira un dauphin et pèsera de tout son poids pour créer un consensus », ajoute ce même proche.

Hambak vs Soro en 2020… Cette concurrence, constamment alimentée par leurs entourages respectifs, fait fantasmer nombre de commentateurs

Car en coulisses, la bataille a commencé. Au RDR, si des candidats à la succession peuvent se révéler au fil des mois, c’est la rivalité entre Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale, et Hamed Bakayoko, le ministre de l’Intérieur, qui est pour le moment dans tous les esprits. « Hambak » vs Soro en 2020… Cette concurrence, constamment alimentée par leurs entourages respectifs, fait fantasmer nombre de commentateurs. Les deux intéressés démentent et confient à qui veut l’entendre qu’ils continuent « évidemment » de se parler.

Pourtant, dans les deux camps, on s’observe, on pèse les atouts et les faiblesses de l’autre. Proximité ancienne avec les Ouattara, réseaux francs-maçons, renseignement grâce à la police, pour le premier. Grande expérience des affaires de l’État, puissance militaire, relations avec nombre de dirigeants africains, pour le second.

Au PDCI aussi, les ambitions ne manquent pas : Ahoussou Jeannot, François Amichia, Jean-Louis Billon… Tous savent qu’au sein du futur parti unique, les places au soleil seront aussi chères que rares. Cadres du RDR ou du PDCI, accepteront-ils tous de s’effacer au profit de celui qu’aura choisi Ouattara ? Rien n’est moins sûr.

Triple zéro : Charles Konan Banny, Amara Essy et Mamadou Koulibaly

Charles Konan Banny, Amara Essy, Mamadou Koulibaly… Le 28 octobre, sur les ondes de la radiotélévision ivoirienne, la Commission électorale indépendante s’est appliquée à égrener leurs scores, aussi bas fussent-ils, dans chaque département. Deux voix ici, aucune là… Dénonçant une « mascarade électorale », les trois « ex- » (Premier ministre, ministre d’État et président de l’Assemblée nationale) s’étaient retirés à la dernière minute de la course à la présidentielle. Pourtant, leurs noms figuraient quand même sur les bulletins de vote. Trop tard pour les en enlever ? Les intéressés n’y croient pas et y voient une volonté de les humilier à jamais. Résultat : avec respectivement 0,28 %, 0,20 % et 0,11 % des voix, Konan Banny, Essy et Koulibaly apparaissent comme les grands perdants du scrutin.

Pour les deux premiers, c’est même une fin de carrière sans tambour ni trompette qui s’annonce. Âgés (72 et 70 ans), sans mandat électif, brouillés avec leur parti (le PDCI-RDA) pour s’être présentés contre l’avis du patron Bédié, ils voient s’éloigner leurs chances de renaître un jour en politique (Essy a d’ailleurs déjà annoncé son intention de créer une fondation). Quant à Koulibaly, 58 ans, à la tête de son propre parti, le Lider, il peut encore se présenter aux prochaines législatives pour tenter de faire mieux qu’en 2013 : à l’époque, il n’avait obtenu que 2,35 % à Koumassi, commune abidjanaise dont il avait pourtant été député pendant onze ans.

Source: J.A

 

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