Flop magistral! Échec retentissant ! Défaite lamentable ! Humiliation mortelle! Déculottée horripilante jusqu’à suggérer le suicide! Pour parler sans ambiguïté, même en usant néanmoins de quelques délicates précautions épistolaires ou oratoires, les élections législatives du 29 mars, trois jours après le 29e anniversaire de la révolution démocratique de 1991 passé sous silence, ont été une vraie galipette pour le pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta.
Il se murmure, avec force rires que juste après la fermeture des bureaux de vote à 18 heures, quand lui est remontée la nouvelle impossible à dissimuler de la pagaille gigantesque dans laquelle le scrutin s’est déroulé, IBK, du haut de ses 75 ans, a fondu en larmes comme une favorite soudainement congédiée. De chagrin ou de regret, de honte ou d’impuissance, on ne sait pas. Peu importe qu’on ait une vidéo authentique montrant le vieux président se prenant la tête entre les mains dans l’attitude de l’être sincèrement éploré, car, même virtuellement, on comprendrait qu’il sanglote. Pas comme il l’a fait en versant des larmes de crocodile parce que Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été froidement assassinés à Kidal, en terre malienne, et encore pas que la mythique cathédrale Notre-Dame de Paris ait pris feu, mais tout simplement parce IBK, sorte de réincarnation tropicale des rois français, se rend compte, au crépuscule approchant, que sa responsabilité est immense devant l’Histoire qui ne manquera pas de le condamner implacablement. Dans son exercice de culbute qui consiste à poser les mains et la tête à terre pour se rouler sur soi-même les jambes levées, IBK a appris à ses dépens qu’il n’a plus les nerfs suffisamment solides pour jouer ainsi dans l’arène politique où le public est d’ailleurs trop généreux en sarcasmes. Il a fait faillite, il est en totale situation de ruine, que ce soit en ce qui concerne son aura personnelle ou pour son bilan politique. Notre roi franco-malien, qui sait qu’en grec le roi est nommé tyran, est désormais devant la honte; il est nu, dramatiquement. La seule question à laquelle il cherche réponse est de savoir s’il doit continuer toute honte bue. Un roi nu, l’historien qu’il est doit en connaître à travers le temps. Au bout du fossé, la culbute dit le proverbe français, pour dire que les actions irréfléchies engendrent immanquablement des conséquences fâcheuses. Or, par son entêtement à tenir les législatives, au mépris incroyable de ce que le monde entier averti était en train de mettre en oeuvre pour freiner les ravages de la pandémie du Coronavirus, il a fait la culbute : il est maintenant ruiné, moralement et politiquement, sans aucun magistère désormais. Sa cuisine électorale du 29 mars 2020, faite de manigances politiques et d’opérations politiciennes louches, n’est pas consommable. Naturellement, il est désormais seul face au plat honni, se demandant, sans le dire, s’il n’est pas infecté de Coronavirus. Au-delà du désastre sanitaire qui ne tardera pas à étaler ses nuisances- mais croisons les doigts et prions -, les élections législatives ont été une imparable dévastation. C’est tout comme si tout le corps politique, social et humain du Mali a reçu en une journée le fameux virus. À quelque chose, malheur est bon, dit-on. Autant la pandémie a prouvé au monde, aux nantis comme aux déshérités, malgré le développement vertigineux des sciences, médicales en partie, que l’homme reste insuffisamment armé face à beaucoup de fléaux, autant les « Coronavirus-législatives » ont montré clairement à l’univers entier dont font partie Mars, Saturne, Jupiter, etc., que toutes les assurances proclamées par IBK avec un aplomb extraordinaire ne sont que les éléments d’un mensonge d’État jamais développé dans l’Histoire. Un menteur peut-il être un homme d’honneur? IBK a soutenu que tout était fait pour sécuriser les élections. Rien de plus faux. En amont comme en aval, l’insécurité a été la chose la mieux partagée, prouvant que l’État sous IBK est une faillite sécuritaire. Pendant les campagnes, il y a eu des enlèvements de plusieurs hommes politiques, dont le chef de file de l’opposition. Mais passons. À la veille du scrutin, les missions d’acheminement des matériels électoraux ont été attaquées avec succès par des assaillants, excluant des circonscriptions entières de l’affaire. Puis, aussi paradoxal que cela puisse être, c’est à moins de 24 heures du scrutin que le porte-parole du ministère de l’Administration territoriale, Monsieur Maïga, a affirmé de go que tout était prêt pour Bamako, mais que pour le reste du pays, « Nous avons été pris par le temps! » Terrible aveu disqualificatif et pour lui et pour son ministre, voire pour le président de la République. Mais nous sommes en République démocratico-dictatoriale « Boua-ienne A ta bla ». Effectivement, le jour même du scrutin, au moins 200 bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir. De matériels de protection contre le Coronavirus, il faut dire point puisque ni masques ni gel n’étaient au rendez-vous. Pas que ça. Les rares électeurs devaient tremper leurs doigts dans les mêmes encriers et utiliser les mêmes stylos, sans gants. Le représentant de Rfi au Mali a relayé une scène cocasse où, près d’un centre de vote vide, l’on jouait au football avec tout ce que cela impliquait comme promiscuité. Exemple effarant du respect des gestes-barrières! Les journalistes qui ont néanmoins tenu à faire leur job ont relevé partout le désintérêt colossal des populations à aller voter. Des candidats ont même été vus soudoyant des gens avec espèces sonnantes et trébuchantes. Comme si cela ne suffisait pas, des citoyens écoeurés ont pu relayer en direct par des vidéos d’innombrables bourrages des urnes. À Mopti, des fraudeurs ont été pris la main dans le sac en train de remplir les matériels électoraux de 36 bureaux. Ils étaient les agents de trois grands partis politiques unis sur une même liste : l’Adema-Pasj de l’ancien président de la Transition, Pr. Dioncounda Traoré et non moins Haut Représentant du chef de l’État pour le centre, du Rpm, parti d’Ibrahim Boubacar Keïta, président de la république et de l’Urd, parti de Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition. La police nationale est venue les arrêter et leur passant les menottes aux poignets. Voilà qui en dit long. Pour ces élections législatives boudées du reste par la communauté internationale dans son entièreté, laquelle n’a pas envoyé un traître observateur, les quelques journalistes étrangers et nationaux qui ont couvert l’évènement sont unanimes à dire que le taux d’abstention doit être de l’ordre de 85% au minimum. Pourtant, le fils du président de la République, Karim Keïta, sans attendre la proclamation légale des résultats provisoires par la CENI, s’est empressé de se fendre d’un tweet en annonçant 44% pour sa liste. Telle est l’inconfortable et l’ennuyeuse situation. Mais où vont-elles s’arrêter l’inconscience et l’insouciance au sommet de l’État ?
Pascal Toumagnon
LE COMBAT