Dans la très grande majorité des pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, les établissements scolaires ont fermé leurs portes pour limiter la propagation du coronavirus. L’enseignement à distance est devenu la règle et de nombreuses initiatives ont été mises en place. Mais les professeurs doivent contourner une difficulté de taille : assurer la continuité pédagogique pour tous les élèves, même pour les enfants qui n’ont aucun accès à internet.
Depuis le 16 mars, face à la montée de l’épidémie de coronavirus, les écoles du Burkina Faso, du Sénégal, de la Mauritanie et de la quasi-totalité des pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre sont fermées. Au total, selon l’Unicef, 128 millions d’élèves de la région n’ont plus classe en présentiel. Un mois après les premières fermetures d’établissements scolaires, les autorités se sont organisées pour trouver des solutions afin de permettre aux enfants de suivre des cours à distance.
Pour de nombreux pays, c’est par la télévision et la radio que les élèves peuvent continuer leur apprentissage. Au Cameroun, les programmes de la CRTV sont bouleversés depuis la semaine dernière par des leçons pour tous les niveaux. Au Mali, la CRTM est elle aussi transformée en salle de classe. « Les radios locales sont également mises à contribution, explique Lucia Elmi, responsable Unicef à Bamako, pour toucher le plus de public possible dans plusieurs langues. » Un planning est mis en place pour les différentes matières et niveaux, avec en priorité des cours pour les classes d’examens en fin de cycle.
Des plateformes sont également mises en ligne au Sénégal et au Gabon par exemple, sur lesquelles les élèves ont accès à des leçons et des exercices corrigés. Au Niger, la messagerie Whatsapp a été privilégiée : le gouvernement a annoncé hier, dans un communiqué, la mise en place de groupes contenant des résumés de classes dans les matières principales.
Des initiatives limitées par l’accès à Internet
Mais ces différents dispositifs restent très limités pour de nombreux élèves. Notamment par les difficultés d’accès à une connexion internet ou à une télévision dans certaines zones. « Même dans les villes, tous les ménages n’ont pas de télévisions. Les enfants dépendent souvent des voisins pour suivre leurs cours. Et pour ceux qui vivent dans des régions sans aucun réseau, et ils sont très nombreux, il n’y a aucun suivi pédagogique », détaille Emmanuel Mbassi Ondoa, secrétaire général de la Fédération camerounaise et syndicat de l’éducation (Fecase).
Au Gabon, la Convention nationale des syndicats du secteur éducation refuse d’ailleurs dans une lettre ouverte publiée ce mardi d’être « complice d’un enseignement inégalitaire et discriminatoire », et a décidé de ne pas accompagner le gouvernement dans son projet d’enseignement à distance. Et si, au Burkina Faso (lire ci-dessous), les autorités sont actuellement en discussion avec les chefs d’établissements et les syndicats pour la mise en place d’une plateforme en ligne, Hector Ardent Ouedraogo, président de l’UNAPES-B (Union nationale des parents d’élèves du post-primaire, du secondaire et du supérieur du Burkina) estime déjà qu’elle ne touchera qu’une minorité de jeunes.
« Les fermetures d’écoles frappent plus durement les plus vulnérables. Elles privent les élèves les plus défavorisés de services essentiels, et notamment des repas scolaire et de la protection sociale », regrette Gwang-Chol Chang, responsable des politiques éducatives de l’Unesco. L’organisation internationale craint une augmentation des inégalités selon les catégories sociales, mais aussi selon le genre. « Nous l’avons observé par exemple avec la crise d’Ebola, les jeunes filles sont très exposées pendant cette période, aux abus sexuels, aux mariages et aux grossesses précoces, et risquent ensuite d’être déscolarisées », rajoute Gwang-Chol Chang.
Vers une année blanche ?
Une autre inquiétude monte dans plusieurs pays : l’incertitude autour des examens de fin d’année. Les pays africains se dirigent-ils vers une année blanche ? Pas en Côte d’Ivoire, selon Pacôme Attaby, porte-parole de la coalition des syndicats de l’éducation dans le pays. « Je ne pense pas que ce soit une menace réelle car nous avons pleinement exécuté les deux premiers trimestres. Cela devrait être suffisant pour valider l’année, même si la fermeture des écoles est prolongée », estime le syndicaliste. Au Cameroun non plus, l’année blanche ne devrait pas être une option, selon Emmanuel Mbassi Ondoa, de la Fecase. « Les enseignants sont supposés avoir couverts déjà 80% du programme, car le troisième trimestre est très court, donc une année blanche ne peut pas être décrétée. Le vrai problème qui se pose, c’est l’organisation des examens en eux-mêmes. »
Mais au Mali, la situation est différente. Certaines écoles étaient déjà fermées en raison de l’insécurité dans certaines régions, et des grèves des enseignants. « Toute la communauté éducative cherche des solutions alternatives pour assurer les examens, en prolongeant peut-être l’année scolaire », déclare Lucia Elmi, responsable Unicef dans le pays. « En réalité, nous ne sommes pas loin d’une année blanche, mais tout dépendra du gouvernement », indique, de son côté, Adama Fomba, porte-parole des syndicats de l’éducation du Mali.
■ Quelle réalité de l’enseignement à distance au Burkina Faso ?
Depuis la fermeture des écoles pour freiner la propagation du coronavirus, de nombreux élèves sont laissés à eux-mêmes. Pour les plus chanceux, ce sont les parents qui assurent les révisions après le travail. Pour appuyer ces parents et les élèves en clase d’examen, c’est-à-dire ceux des classes du CM2, troisième, et terminale, une chaine de télévision diffuse chaque soir, cinq heures de cours en direct. Les discussions sont toujours en cours entre les enseignants, les parents d’élèves et le gouvernement afin de trouver la bonne formule pour « sauver » l’année scolaire.
On a mis en place une plateforme pour recueillir les questions posées par les élèves
Une chaîne de télévision a décidé de combler le vide en proposant plusieurs heures de cours d’appui aux élèves en classe d’examen
■ L’Afrique de l’Est n’est pas épargnée : exemple au Kenya
Un mois jour pour jour après la décision de fermer les lieux d’enseignement, élèves et étudiants kényans sont toujours à la maison. Une situation difficile pour les femmes et notamment les mères célibataires. Le ministère de l’Éducation dit ne pas savoir quand les écoles rouvriront, d’autant que certaines servent de lieu de quarantaine pour les malades. Le gouvernement a bien mis en place des cours en ligne. Mais quand on est une famille pauvre de Kibera, étudier par Internet est impossible. Reportage dans le bidonville de Kibera, à Nairobi.
Christine Olesi explique devoir désormais les nourrir trois fois par jour, alors que l’école s’en occupait auparavant. Elle doit donc acheter plus de nourriture, alors que l’épidémie s’accompagne d’une inflation. Christine Olesi fait des ménages chez des particuliers. Elle ne peut plus le faire autant car les enfants ne peuvent pas rester seuls, à moins qu’elle ne paye quelqu’un pour les garder. Bref, ses revenus baissent. Ses dépenses augmentent. L’équation financière devient extrêmement compliquée à mesure que le temps passe.
Source: Rfi.fr