L’occasion fait le larron c’est bien connu… et suscite les vocations. Jamais depuis le coup d’État du 18 août, il n’y a eu autant de médecins autour de ce malade en phase terminale qu’est le Mali, rongé par la corruption, la mauvaise gouvernance, l’effondrement de ses structures éducatives et sanitaires, et menacé simplement de mort dans sa forme unitaire actuelle, sous les raids des irrédentistes du Centre et du Nord.
Des remèdes miracles et autres potions magiques lui sont proposés tous les jours à la télé, la radio, dans les réseaux sociaux et les journaux. Il est donc très difficile d’échapper aux conseils de ces pan-spécialistes restés silencieux pendant toutes ces années de crise et dont on pouvait espérer qu’ils auraient au moins la décence de continuer à se taire. Et il est devenu quasiment impossible de ne pas se laisser submerger par les recommandations doctes de ces muets du sérail retrouvant soudainement l’usage de la parole pour pontifier, la bouche en cœur, qu’ils ne pensent qu’au Mali. Ils ont réponse à tout pour résoudre en un tournemain les problèmes les plus inextricables du pays à coups de « il faut » et « il n’y a qu’à ».
Cependant, dans ce concert de propositions, toutes ne sont pas à rejeter sans examen et leurs auteurs ne sont pas tous nécessairement intéressés. Certains pourraient même apporter une contribution utile à la solution des maux du pays.
Mais comment faire le tri entre la bonne graine et l’ivraie ? Comment reconnaître le gestionnaire expérimenté, depuis longtemps retiré sur son Aventin et pourtant désireux maintenant de participer activement au sauvetage de sa patrie, de l’opportuniste qui flaire la dernière chance de sa vie de jouer enfin le rôle qui lui apportera notoriété et fortune ?
Comment distinguer les jeunes pousses qui seront les dirigeants intègres de demain, parmi ces cadres juvéniles, cachés parfois sous de jolies frimousses, mais tous piaffant d’impatience pour accéder au pouvoir en chassant sans ménagement les fossiles politiques de 1991, qui ont pourtant eu, eux, le courage de défier le pouvoir en place ?
Les nécessaires enquêtes de moralité et de probité suffiront peut-être pour disqualifier les ex-collaborateurs zélés des régimes prédateurs successifs ou pour percer à jour les vraies motivations des jeunes loups aux dents longues. Mais dans bien d’autres cas, elles seront de peu d’effets.
Il faut donc trouver d’autres méthodes pour identifier ceux qui auront la lourde tâche de conduire l’œuvre de redressement de notre pays. Celle qui est proposée ici a le mérite de la simplicité et sans doute de l’efficacité.
Elle consiste à décider que tous ceux, civils ou militaires, qui souhaiteraient se mettre au service du Mali, pour l’aider à surmonter ses crises actuelles, ne recevraient aucune rémunération pour les fonctions qu’ils seraient amenés à exercer. S’ils sont fonctionnaires, ils continueraient à percevoir leur salaire, le même qu’ils percevaient jusque-là, s’ils sont militaires, la même solde, ou s’ils sont retraités, la même pension sans un franc de plus. Les seules exceptions – et elles seront assez rares – concerneront ceux qui n’étant ni fonctionnaires, ni militaires, ni retraités, abandonneraient leurs activités lucratives pour servir l’État. Leurs émoluments se feraient alors sur la base de leurs diplômes ou de leur expérience, selon les règles en vigueur dans la fonction publique.
Il n’y aura en outre aucune indemnité de responsabilité, de logement, d’électricité ou de téléphone à attendre. Il n’ y aura pas non plus de véhicules de fonction. Toutefois pour ceux qui le désirent le transport aller et retour du domicile au lieu de travail sera assuré par les parcs des différents ministères, de préférence de façon collective si les mesures de distanciation sociale peuvent être respectées.
Certains diront que c’est trop radical, qu’il n’y a pas de précédent pour de telles mesures et qu’on ne peut exiger pareil sacrifice à tous ceux qui proclament qu’ils n’ont de cesse de voler au secours de leur pays meurtri.
Mais à bien y réfléchir pourquoi pas. Car, d’une part, rien ne les oblige à faire don de leur personne à la nation, et d’autre part, avec la crise financière très grave que connaît le Mali, ce train de vie spartiate est le seul que l’État peut offrir à ses serviteurs. En effet, on le sait, le déficit prévisionnel du budget 2020 qui était de 422 milliards de FCFA sera largement dépassé.
Car les recettes douanières au premier semestre étaient d’un tiers, inférieures aux prévisions ; et ce ne sera pas mieux au second, voire pire, à cause des conséquences de l’épidémie de coronavirus et de l’embargo de la Cedeao. Les perspectives sont tout aussi sombres pour l’année prochaine avec notamment la diminution de moitié des superficies consacrées à la culture du coton. Et nul partenaire international ne s’empressera à combler ces déficits, tant que l’incertitude persistera sur la conduite des affaires de l’État.
Il est à parier que ces conditions ascétiques vont décourager beaucoup de « vocations » surtout si elles s’accompagnent d’une vigoureuse campagne contre la corruption, le trafic d’influence et les mille et une façons de tirer profit d’un poste de premier plan dans l’appareil d’État.
Il ne demeurera alors que ceux qui veulent vraiment se retrousser les manches pour le bien commun, sans rien attendre d’autre que la satisfaction du devoir accompli. Ceux-là sont les patriotes sincères dont le pays a tant besoin.
Il reste maintenant à proposer cette méthode de sélection des futurs serviteurs de l’État, qui si elle était adoptée, créerait dans la population un véritable électrochoc qui commencera à convaincre les Maliens d’en bas que leurs concitoyens d’en haut sont capables de mettre leurs talents, leurs compétences et leur savoir-faire à leur service et à celui de toute la nation, sans escompter un bénéfice matériel et financier quelconque. Une première incontestablement.
Cheick Oumar
Sinayoko
Source : L’ESSOR