Apaiser durablement le climat social et permettre un fonctionnement serein de l’économie nationale, c’est l’objectif que le gouvernement de la transition souhaite assigner à la Conférence sociale. Mais pour mettre en œuvre l’axe 5 de la Feuille de route, les autorités doivent encore convaincre les partenaires réticents face aux conditions d’organisation de ces assises. Une mission délicate dans le contexte de la grève déclenchée par l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) le 17 mai 2021.
C’est dans une atmosphère quasi délétère que l’UNTM a entamé cette grève de 5 jours, qui menace de se transformer en grève illimitée si ses doléances ne sont pas satisfaites. Une ambiance particulière, car la première centrale syndicale du Mali se dit non « respectée » par le gouvernement. D’âpres séances de négociation avaient pourtant permis d’aboutir à un protocole d’accord le 6 février 2021. Un procès-verbal de conciliation dont l’inexécution justifie sa sortie, selon l’UNTM. Une impasse dont l’issue semble loin tant la faîtière se dit déterminée à faire aboutir ses revendications.
Depuis quelques années, ses mouvements, mais aussi ceux de plusieurs autres syndicats ont créé un « besoin de pacification durable du climat social au Mali », explique M. Salif Bagayoko, Conseiller technique au ministère du Travail et de la fonction publique. « Des mouvements dans des secteurs aussi essentiels que celui de la santé, où on a assisté à des grèves illimitées », ont sérieusement perturbé l’activité économique, ajoute-t-il.
C’est donc « pour booster l’économie » que le gouvernement de la transition a prévu dans l’axe 5 de la Feuille de route l’adoption d’un pacte social. L’une des actions prioritaires est l’organisation d’une Conférence sociale, pour permettre aux employeurs et travailleurs de se consacrer à l’essentiel et de créer les conditions d’un rapport convivial entre les parties.
Malgré la tension palpable, et depuis le 14 mai la démission du gouvernement, les autorités n’ont pas renoncé aux préparatifs et ont décidé de prendre le taureau par les cornes. La nomination d’un facilitateur par le Premier ministre, la désignation d’un Point focal et d’un Conseiller spécial du Premier ministre chargé du dossier sont des étapes dont il faut se réjouir, selon les responsables du ministère du Travail. Des réunions de cadrage ont déjà eu lieu et « le gouvernement veut mener cette conférence avec l’ensemble des partenaires sociaux », ajoute M. Bagayoko.
Si l’objectif de tenir la conférence dans les deux semaines initialement annoncé par le Premier n’est plus réalisable, une date sera désormais « convenue pour une Conférence sociale inclusive qui doit se tenir dans les meilleures conditions », espèrent les autorités.
Réticences
Principaux acteurs de cette conférence dédiée au monde du travail, les syndicats ne sont pas tous pour le moment sur la même longueur d’onde. « L’UNTM n’est pas contre », affirme M. Issa Bengaly, Secrétaire administratif du syndicat. Cependant, il tient à attirer l’attention sur les conditions d’organisation de cette rencontre, pourtant une opportunité pour résoudre les questions brûlantes. Concernant sa représentativité, la centrale ne fait aucune concession. Avec sa capacité de mobilisation et de « nuisance », l’UNTM est convaincue qu’elle est le premier syndicat. Elle en veut pour preuve ses différents mouvements de grève, qui rassemblent des « milliers de travailleurs » dans tous les secteurs d’activité.
C’est pourquoi, « sans minimiser » les autres et en l’absence d’élections professionnelles pour déterminer le syndicat le plus représentatif, l’UNTM veut garder sa « position de leader », parce que l’on ne peut « mettre sur le même pied d’égalité les associations qui ont une envergure nationale » et celles qui ne l’ont pas, ajoute M. Bengaly.
L’organisation exprime aussi des réserves quant à la qualité des participants, qui ne « seraient pas des connaisseurs des problèmes des travailleurs ». Même si les syndicats sont partie intégrante de la société civile, l’UNTM souhaite que sur les questions essentiellement consacrées au monde du travail, toutes les composantes de la société civile ne soient pas appelées, comme lors de l’atelier préparatoire.
Rappelant qu’alors deux autres centrales syndicales avaient refusé de prendre part aux tracaux, au motif que l’UNTM « était fortement représentée », le Secrétaire administratif ajoute que son organisation n’acceptera pas de diktat « d’une majorité mécanique ».
Pour les syndicats de l’Éducation signataires du 15 octobre 2016, pas question de participer à cette Conférence sociale. Rencontrant le ministre de l’Éducation et ses homologues de l’Économie et des finances et du Travail et de la fonction publique, le 7 mai 2021, la synergie a réaffirmé sa position : « l’application totale de l’article 39 en toute circonstance ». Et, sur la question de « l’harmonisation, les syndicats refusent la remise en cause de leurs acquis syndicaux ».
Refaire un diagnostic
Malgré cela, les autorités veulent croire à la tenue de cette conférence, ultime chance de réunir les acteurs autour des questions cruciales qui assaillent le monde du travail. Parmi elles, la liberté syndicale, au centre des préoccupations des syndicalistes, qui la trouvent menacée, et des autorités, qui souhaitent son encadrement, tant son exercice ces dernières années leur a donné du fil à retordre, cantonnant les autorités en charge du travail à la gestion des mouvements de grève, reconnaît même un acteur syndical. Du côté des autorités, on espère en tout cas aborder la problématique « à cœur ouvert » et à l’issue des réflexions faire des recommandations qui permettront de définir de façon claire les règles à appliquer.
S’il n’a jamais été autant demandé, le dialogue social a besoin d’être « revitalisé » pour le rendre plus fructueux, y compris à travers le renforcement des capacités de ses acteurs. C’est pourquoi ce forum doit être l’occasion d’identifier « les forces et les faiblesses », pour mettre en place un cadre de dialogue performant. L’UNTM et les autorités sont par exemple favorables à un système où les discussions autour des questions du travail seraient organisées de façon périodique, avec des thèmes déterminés à l’avance sur lesquels les acteurs pourront se préparer, comme cela se fait dans certains pays.
Enfin, la Conférence sociale souhaite étudier la politique salariale de l’État pour résoudre les inégalités et les disparités en la matière et aboutir à l’équité et à la justice sociales. Les discussions autour des salaires n’étant pas figées, les acteurs devront parvenir à une périodicité convenable pour aboutir à des propositions objectives, tenant compte de l’état réel de l’économie.
S’engager franchement
« Si le non respect des engagements est retenu parmi les causes de la tension sociale, on s’y attaquera », affirme M. Bagayoko, le Conseiller technique en charge des questions de travail au ministère du Travail. Reconnaissant que, du fait de la tension sociale, pour éviter des mouvements de grève il y a eu des accords mais que certaines circonstances ont fait « qu’il était difficile de tenir les engagements dans les délais ».
Un reproche justement fait à l’État par l’UNTM. Même si elle affirme que la grève n’est pas un obstacle à la conférence, elle estime qu’il faut d’abord résoudre les questions pendantes. Sur les 8 points de revendication en souffrance, aucun n’est satisfait, alors que certains devaient l’être au plus tard en fin mars. « Où est la volonté », s’interroge-t-elle ?
« Trop de frustrations, d’injustices, de laisser-aller. Les pauvres s’appauvrissent, les riches s’enrichissent », voici, selon M. Mamoutou Karamoko Tounkara, enseignant-chercheur à l’Université de Ségou, autant de maux qui justifient la tenue d’une Conférence sociale. Mais pas « une de plus », car, malheureusement, si nous constatons autant de cassures, c’est que nous ne regardons pas en face « ce qui ne marche pas depuis très longtemps ». Il faut repartir sur de nouvelles bases et surtout que ceux qui sont à la tête de l’État ne se contentent pas de demander des sacrifices aux autres. Ils doivent montrer l’exemple « en réduisant leur train de vie » et ne pas créer de disparités entre les travailleurs.
Fatoumata Maguiraga
Repère :
29 – 31 mars 2021 : Atelier préparatoire de la Conférence sociale
7 mai 2021 : Refus des syndicats de l’Éducation signataires du 15 octobre 2016 de participer à la Conférence sociale
14 mai 2021 : Échec des pourparlers avec l’UNTM
17 mai 2021 : Début de la grève de 5 jours
Source: journaldumali